20 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-12.751

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00899

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 septembre 2023




Cassation partielle sans renvoi


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 899 F-D

Pourvoi n° Q 22-12.751




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 SEPTEMBRE 2023

L'Association gestionnaire de la formation professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 22-12.751 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2022 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [J] [X], domicilié [Adresse 4], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de l'Association gestionnaire de la formation professionnelle, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 6 janvier 2022), M. [X] a été engagé en qualité de professeur de physique, chimie et mathématique à compter du mois de septembre 1997 par l'association gestionnaire de la formation professionnelle (l'association) qui dirige le [2] à [Localité 3].

2. Aux termes d'un avenant à son contrat de travail du 30 août 2017, il a été mis à la disposition du centre de formation [5].

3. Licencié le 25 septembre 2018 pour motif économique, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. L'association reproche à l'arrêt de dire que l'indemnité de seize mois de salaire prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail était inadéquate, M. [X] subissant un préjudice de perte d'emploi plus élevé que cette indemnité, et de la condamner à payer à M. [X] la somme de 33 305 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte ; qu'en n'appliquant pas ce barème en l'espèce, au motif que ''l'indemnité de 16 mois de salaires prévue par l'article 1235-3 du code du travail est inadéquate, M. [X] subissant un préjudice de perte d'emploi plus élevé que cette indemnité'', quand le salarié n'entrait dans aucune des exceptions prévues par le texte qui permettaient de ne pas en faire application, la cour d'appel, qui a refusé d'appliquer la loi et a ainsi méconnu son office, a violé l'article L. 1235-3 du code du travail et l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur :

6. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.

7. En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.

8. Ces dispositions et celles des articles L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

9. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

10. Pour condamner l'employeur au paiement d'une indemnité excédant le montant maximal prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail, l'arrêt retient d'abord que l'article 10 de la convention de l'Organisation internationale du travail est directement applicable dans le droit interne ; que la réparation prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail n'exclut pas in abstracto une réparation adéquate en tenant compte de l'ancienneté ou d'autres critères liés à la perte d'emploi ; que, si le barème pris dans l'ensemble du dispositif prévu par le code du travail n'est pas en soi contraire à l'article 10 de la convention de l'OIT, il entre dans l'office du juge de s'assurer concrètement que l'application du barème ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux des justiciables, et en particulier que l'indemnité prévue par le barème est proportionnée au but légitime poursuivi et si elle reste donc adéquate conformément à l'article 10 de la convention de l'Organisation internationale du travail.

11. L'arrêt relève ensuite qu'en appliquant le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail, le salarié peut prétendre au maximum à une indemnité correspondant à 16 mois de salaires, soit 25 375,68 euros ; qu'à la fin de l'année 2020, le salarié subissait déjà un préjudice de perte d'emploi de 14 734,32 euros : qu'âgé de 57 ans lors du licenciement et encore en âge de travailler, il éprouvera des difficultés à retrouver un emploi stable jusqu‘à ce qu'il parvienne à l'âge de la retraite et qu'à ce jour il n'a pas retrouvé d'emploi malgré ses recherches ; qu'il est donc prévisible qu'il ne retrouve pas d'emploi au niveau de ce qu'il connaissait avant son licenciement avant qu'il n'atteigne le terme de l'indemnisation par Pôle emploi.

12. Il en déduit qu'il est établi in concreto que l'indemnité prévue par le barème est d'un montant qui ne répare pas le préjudice effectivement subi résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse ; l'indemnité du barème est donc en l'espèce inadéquate et qu'il y a lieu, compte tenu de l'ancienneté du salarié de lui allouer une somme de 33 305 euros correspondent à 21 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

13. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

16. En considération de l'ancienneté du salarié (21 ans), de sa rémunération mensuelle moyenne, de son âge lors de la rupture du contrat de travail (57 ans), de sa formation et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, de la durée de sa période de recherche d'emploi ou de reconversion professionnelle et des aides dont il a pu bénéficier, il convient de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, la somme de 25 375,68 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'indemnité de seize mois de salaires prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail est inadéquate, M. [X] subissant un préjudice de perte d'emploi plus élevé que cette indemnité et condamne en conséquence l'association gestionnaire de la formation professionnelle à payer à M. [X] la somme de 33 305 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 6 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne l'association gestionnaire de la formation professionnelle à payer à M. [X] la somme de 25 375,68 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne M. [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille vingt-trois.

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