20 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.494

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00902

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement économique - Cause - Cause réelle et sérieuse - Motif économique - Appréciation - Exclusion - Cas - Salarié protégé - Licenciement pour motif économique - Autorisation administrative

Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique. Il peut seulement se prononcer, lorsqu'il en est saisi, sur la responsabilité de l'employeur et la demande du salarié en réparation des préjudices que lui aurait causés une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, y compris le préjudice résultant de la perte de son emploi. Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui déclare le licenciement d'un salarié protégé sans cause réelle et sérieuse et lui alloue des dommages-intérêts à ce titre, alors que par une décision devenue définitive ce licenciement avait été autorisé par l'inspection du travail

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Salarié protégé - Mesures spéciales - Autorisation administrative - Faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité - Demande de dommages-intérêts du salarié - Préjudice découlant de la perte de l'emploi - Appréciation - Compétence - Détermination

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 septembre 2023




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 902 FS-B


Pourvois n°
X 22-13.494
Y 22-13.495
Z 22-13.496
D 22-13.500
E 22-13.501 JONCTION



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 SEPTEMBRE 2023


La société TW, venant aux droits de la société TA, anciennement dénommée société Aptalis Pharma, dont le siège est [Adresse 6], a formé les pourvois n° X 22-13.494, Y 22-13.495, Z 22-13.496, D 22-13.500, et E 22-13.501 contre cinq arrêts rendus le 20 janvier 2022 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre) dans les litiges l'opposant respectivement à :

1°/ M. [S] [M], domicilié [Adresse 1],

2°/ Mme [E] [T], épouse [F], domiciliée [Adresse 4],

3°/ Mme [D] [B], épouse [N], domiciliée [Adresse 2],

4°/ M. [S] [P], domicilié [Adresse 5],

5°/ M. [O] [R], domicilié [Adresse 3]

La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, un moyen de cassation commun.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la Sarl Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société TW, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [M] et des quatre autres salariés, ainsi que l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller rapporteur référendaire, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, MM. Le Corre, Carillon, Mme Maitral, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° X 22-13.494, Y 22-13.495, Z 22-13.496, D 22-13.500 et E 22-13.501 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 20 janvier 2022) et les productions, M. [M] et quatre autres salariés protégés ont été engagés par la société Aptalis Pharma (la société), exerçant une activité de commercialisation de produits pharmaceutiques, devenue la société TA, aux droits de laquelle vient la société TW.

3. La société, alors filiale du groupe Allergan et dont l'associé unique était la société Axcan Invest, a été rachetée par le groupe Teva, le 2 août 2016, avec cession d'une partie majoritaire de ses produits à celui-ci et rétrocession préalable de produits au groupe Allergan, dans le cadre d'un contrat de distribution transitoire prévoyant la poursuite par la société de ses activités sur les produits exclus du périmètre de l'acquisition jusqu'au 31 décembre 2016. Ce projet de cession entraînant un déséquilibre immédiat de fonctionnement de la société, la cessation d'activité avec transfert au groupe Teva des cinq produits génériques demeurant dans son portefeuille était prévue au cours du premier trimestre 2017.

4. Un accord collectif majoritaire portant sur le projet de licenciement collectif incluant un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été signé, le 14 novembre 2016, entre la société et les organisations syndicales représentatives. Cet accord prévoyait le licenciement résultant de la suppression des cinquante-et-un postes existants.

5. Cet accord a été validé, le 30 novembre 2016, par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.

6. Les salariés ont été licenciés pour motif économique en raison de la cessation complète et définitive de l'activité de la société par lettres notifiées les 6, 10, 11 et 13 avril 2017, après autorisation de l'inspection du travail par décisions des 30 mars, 6 et 11 avril 2017. Ces autorisations ont été contestées devant un tribunal administratif, lequel a rejeté les recours par jugements définitifs du 14 janvier 2020.

7. Contestant leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale.

Sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

9. Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique. Il peut seulement se prononcer, lorsqu'il en est saisi, sur la responsabilité de l'employeur et la demande du salarié en réparation des préjudices que lui aurait causés une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, y compris le préjudice résultant de la perte de son emploi.

10. Les arrêts, après avoir retenu que la cessation d'activité de la société Aptalis Pharma n'était pas effective et définitive lors des licenciements et que celle-ci, notamment par le biais de son associé unique, avait participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts ce qui traduisait une légèreté blâmable, en déduisent que les licenciements ne sont pas fondés et allouent à chacun des salariés une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que par décisions des 30 mars, 6 et 11 avril 2017, l'inspection du travail avait autorisé les licenciements pour motif économique des salariés, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils mettent hors de cause la société Téva santé, les arrêts rendus le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne MM. [M], [P] et [R] et Mmes [T] et [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille vingt-trois.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.