13 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-12.855

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00558

Titres et sommaires

UNION EUROPEENNE - Règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 - Articles 3, § 1, et 4 - Extension de procédure pour confusion de patrimoine - Vérification d'office de la compétence pour ouvrir la procédure d'insolvabilité - Centre effectif de direction et de contrôle de la société visée par l'action aux fins d'extension - Appréciation globale de l'ensemble des éléments pertinents

En application de l'article 3 du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité et, selon l'article 4 de ce règlement, la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité examine d'office si elle est compétente, indique dans la décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité les fondements de sa compétence et précise, notamment, si sa compétence est fondée sur les paragraphes 1 ou 2 de l'article 3. Le règlement du 20 mai 2015 ne contenant pas de règle de compétence se référant expressément à l'extension, au motif d'une confusion des patrimoines, d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un État membre à une société dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre et son article 3, § 1, étant rédigé dans des termes identiques à celui de l'article 3, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, il s'en déduit que la règle énoncée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 15 décembre 2011 (CJUE, arrêt du 15 décembre 2011, Rastelli, C-191/10) s'applique de façon similaire aux procédures soumises au règlement du 20 mai 2015 et que ce règlement doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où une société, dont le siège statutaire est situé sur le territoire d'un État membre, est visée par une action tendant à lui étendre les effets d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre État membre à l'encontre d'une autre société établie sur le territoire de ce dernier État, la seule constatation de la confusion des patrimoines de ces sociétés ne suffit pas à démontrer que le centre des intérêts principaux de la société visée par ladite action se trouve également dans ce dernier État. Il est donc nécessaire, pour renverser la présomption selon laquelle ce centre se trouve au lieu du siège statutaire, qu'une appréciation globale de l'ensemble des éléments pertinents permette d'établir que, de manière vérifiable par les tiers, le centre effectif de direction et de contrôle de la société visée par l'action aux fins d'extension se situe dans l'État membre où a été ouverte la procédure d'insolvabilité initiale

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 septembre 2023




Cassation


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 558 F-B

Pourvoi n° C 22-12.855











R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 SEPTEMBRE 2023

La société Lek Beteiligungen UG, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 2]), a formé le pourvoi n° C 22-12.855 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2021 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [K] [D], mandataire judiciaire, domicilié [Adresse 5], pris en qualité de liquidateur à la procédure de liquidation judiciaire de la société ATC RIB,

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Dijon, domicilié en son Parquet général, cour d'appel de Dijon, [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Lek Beteiligungen UG, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [D], ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 2 décembre 2021), la société ATC RIB, qui exerçait son activité dans des locaux donnés à bail par la société de droit allemand Lek Beteiligungen UG (la société Lek), qui avait le même dirigeant et dont elle était la filiale, a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 14 mai 2018. Un jugement du 3 août 2018, confirmé par un arrêt du 25 avril 2019, a converti cette procédure en liquidation judiciaire, M. [D] étant désigné en qualité de liquidateur.

2. Le liquidateur a assigné la société Lek pour lui voir étendre la procédure collective de la société ATC RIB en invoquant l'existence de relations financières anormales. La société Lek a contesté la compétence du tribunal de la procédure collective en se prévalant des dispositions du Règlement (UE) 215/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

3. La société Lek fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement rejetant l'exception d'incompétence territoriale qu'elle avait soulevée et de lui étendre la liquidation judiciaire de la société ATC RIB, alors :

« 1°/ que la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité entrant dans le champ d'application du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 examine d'office si elle est compétente en vertu de l'article 3, indique, dans sa décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité, les fondements de sa compétence et précise notamment si sa compétence est fondée sur le § 1 ou le § 2 de l'article 3 ; que doit, pareillement, vérifier d'office si elle est compétente en vertu de ce texte et indiquer les fondements de sa compétence, la juridiction d'un Etat membre qui, après avoir ouvert une procédure principale d'insolvabilité à l'encontre d'une société en retenant que le centre des intérêts principaux de celle-ci était situé sur le territoire de cet Etat, est saisie, en application d'une règle de son droit national, d'une demande d'extension cette procédure à une deuxième société, dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre ; que pour confirmer le jugement du tribunal ayant rejeté l'exception d'incompétence territoriale et s'étant déclaré compétent pour statuer sur l'extension à la société Lek, dont le siège social était en Allemagne, de la procédure de liquidation judiciaire affectant la société ATC RIB, l'arrêt retient qu'il résulte de la combinaison des articles 562 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile que la partie qui entend voir infirmer le chef d'un jugement ayant rejeté l'exception d'incompétence soulevée en première instance et accueillir cette exception doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d'appel, que le dispositif des dernières conclusions d'appel de la société Lek se borne à solliciter l'infirmation du jugement frappé d'appel, sans réitérer l'exception d'incompétence rejetée par celui-ci, et que ledit jugement ne peut dès lors qu'être confirmé de ce chef ; qu'en se prononçant de la sorte, sans examiner d'office si elle était internationalement compétente pour étendre à la société de droit allemand Lek une procédure d'insolvabilité ouverte à l'égard de la société ATC RIB, ni indiquer les fondements de sa compétence, la cour d'appel a violé l'article 4 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 ;

2°/ qu'une juridiction d'un Etat membre qui a ouvert une procédure principale d'insolvabilité à l'encontre d'une société, en retenant que le centre des intérêts principaux de celle-ci est situé sur le territoire de cet Etat, ne peut étendre, en application d'une règle de son droit national, cette procédure à une deuxième société, dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre, qu'à la condition qu'il soit démontré que le centre des intérêts principaux de cette dernière se trouve dans le premier Etat membre ; que lorsqu'une société, dont le siège statutaire est situé sur le territoire d'un Etat membre, est visée par une action tendant à lui étendre les effets d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre à l'encontre d'une autre société établie sur le territoire de ce dernier Etat, la seule constatation de la confusion des patrimoines de ces sociétés ne suffit pas à démontrer que le centre des intérêts principaux de la société visée par ladite action se trouve également dans ce dernier Etat ; qu'il est nécessaire, pour renverser la présomption selon laquelle ce centre se trouve au lieu du siège statutaire, qu'une appréciation globale de l'ensemble des éléments pertinents permette d'établir que, de manière vérifiable par les tiers, le centre effectif de direction et de contrôle de la société visée par l'action aux fins d'extension se situe dans l'Etat membre où a été ouverte la procédure d'insolvabilité initiale ; que pour confirmer le jugement du tribunal ayant, après s'être déclaré compétent, étendu à la société Lek, dont le siège social était en Allemagne, la procédure de liquidation judiciaire affectant la société ATC RIB, l'arrêt s'est borné à retenir qu'est démontrée l'existence de relations financières entre ces deux sociétés, facilitées par le fait qu'elles ont le même dirigeant, incompatibles avec des obligations contractuelles réciproques normales, et de nature à caractériser une confusion des patrimoines ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le centre des intérêts principaux de la société Lek était sur le territoire français, ce qui ne pouvait se déduire de la seule constatation de la confusion de son patrimoine avec celui de la société ATC RIB, mais exclusivement d'une appréciation globale de l'ensemble des éléments pertinents permettant d'établir que, de manière vérifiable par les tiers, le centre effectif de direction et de contrôle de la société Lek se situait en France et non au lieu de son siège statutaire en Allemagne, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 3 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 ;

3°/ que pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire; que pour confirmer le jugement du tribunal ayant, après avoir rejeté l'exception d'incompétence territoriale, étendu à la société Lek, dont le siège social était en Allemagne, la procédure de liquidation judiciaire affectant la société ATC RIB, l'arrêt a retenu, par motifs éventuellement adoptés, que rien ne permet de démontrer que le centre des intérêts principaux de la société Lek se situait à [Localité 3] ; qu'en se déterminant ainsi, bien que centre des intérêts principaux d'une société soit présumé, jusqu'à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, en violation de l'article 3 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3, § 1 et 4 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 :

4. Selon le second de ces textes la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité examine d'office si elle est compétente en vertu de l'article 3 du règlement, indique, dans la décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité, les fondements de sa compétence et précise, notamment, si sa compétence est fondée sur le paragraphe 1 ou 2 de l'article 3.

5. Selon le premier de ces textes, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité.

6. Après avoir relevé que le règlement (CE) nº 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ne contient pas de règle de compétence se référant expressément à l'extension, au motif d'une confusion des patrimoines, d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un État membre à une société dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 1re ch., 15 décembre 2011, affaire C-191/10, Rastelli), a dit pour droit que ce règlement « doit être interprété en ce sens que dans l'hypothèse où une société, dont le siège statutaire est situé sur le territoire d'un État membre, est visée par une action tendant à lui étendre les effets d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre État membre à l'encontre d'une autre société établie sur le territoire de ce dernier État, la seule constatation de la confusion des patrimoines de ces sociétés ne suffit pas à démontrer que le centre des intérêts principaux de la société visée par ladite action se trouve également dans ce dernier État. Il est nécessaire, pour renverser la présomption selon laquelle ce centre se trouve au lieu du siège statutaire, qu'une appréciation globale de l'ensemble des éléments pertinents permette d'établir que, de manière vérifiable par les tiers, le centre effectif de direction et de contrôle de la société visée par l'action aux fins d'extension se situe dans l'État membre où a été ouverte la procédure d'insolvabilité initiale ».

7. Le règlement du 20 mai 2015 ne contenant pas non plus de règle de compétence se référant expressément à l'extension, au motif d'une confusion des patrimoines, d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un État membre à une société dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre et son article 3 § 1 étant rédigé dans des termes identiques à celui de l'article 3 § 1 du règlement du 29 mai 2000, il s'en déduit, sans aucun doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union sur les questions soulevées par le moyen, que la règle énoncée par la CJUE dans son arrêt du 15 décembre 2011 précité s'applique de façon similaire aux procédures soumises au règlement du 20 mai 2015.

8. Pour étendre à la société Lek la liquidation judiciaire de la société ATC RIB, l'arrêt retient, par motifs propres, avant d'énumérer les éléments qu'elle considère de nature à établir l'existence de relations financières anormales entre les deux sociétés, que la partie qui entend voir infirmer le chef d'un jugement ayant rejeté l'exception d'incompétence soulevée en première instance et accueillir cette exception doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions. Il ajoute, par motifs adoptés, que la société Lek détient 49 % du capital de la société New Worl Wing, ayant son activité principale à [Localité 4], commune située en France, que la détention de cette part du capital de la société New Worl Wing ne peut pas être considérée comme un simple actif financier et que M. [M], gérant de la société Lek, est aussi président de la New Worl Wing, rien ne permettant de démontrer que le centre des intérêts principaux de la société Lek se situe à [Localité 3].

9. En se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que le centre des intérêts principaux de la société Lek se trouvait en France et à fonder sa compétence, ce qui ne pouvait se déduire de la confusion de son patrimoine avec celui de la société ATC RIB, mais exclusivement d'une appréciation globale de l'ensemble des éléments pertinents permettant d'établir que, de manière vérifiable par les tiers, le centre effectif de direction et de contrôle de la société Lek se trouvait en France et non au lieu de son siège statutaire en Allemagne, la cour d'appel, à qui il appartenait d'office de vérifier sa compétence, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. [D], en sa qualité de liquidateur de la société ATC RIB, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.

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