14 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.107

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300608

Titres et sommaires

ASSURANCE RESPONSABILITE - Action directe de la victime - Conditions - Réalisation du risque - Définition - Condamnation de l'assuré à raison de sa responsabilité - Cas - Portée

La décision judiciaire condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est opposable, à moins de fraude à son encontre. La fraude, qui rend recevable la tierce opposition de l'assureur à l'encontre de la décision judiciaire condamnant son assuré à réparation, peut être le fait de l'assuré ou du tiers victime, mais ne peut pas être déduite de la seule absence d'appel en la cause de l'assureur dans l'instance opposant le tiers lésé à l'assuré

Texte de la décision

CIV. 3

VB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 septembre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 608 FS-B

Pourvoi n° B 22-13.107



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023

1°/ M. [S] [W],

2°/ Mme [H] [L],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° B 22-13.107 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige les opposant à la société Areas dommages, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [W] et de Mme [L], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Areas dommages, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano conseiller doyen, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, conseiller référendaire ayant voix délibérative, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 janvier 2022), M. [W] et Mme [L] ont confié à la société Les Maisons Nema, assurée en responsabilité décennale auprès de la société Areas dommages (société Areas), la maîtrise d'oeuvre complète de la construction d'une maison avec un garage en limite de voirie, les travaux ayant été réceptionnés sans réserve le 10 septembre 2013.

2. Se plaignant d'une erreur altimétrique de la construction les privant d'accès à leur garage, ils ont saisi, par lettre du 15 novembre 2015, l'assureur du constructeur, qui a décliné sa garantie, puis ont assigné, le 3 mars 2016, la société Les Maisons Nema en réparation, laquelle n'a pas constitué avocat.

3. Par un jugement du 30 mai 2017, la société Les Maisons Nema a été condamnée à payer diverses sommes aux maîtres de l'ouvrage.

4. Après la radiation de cette société du registre du commerce et des sociétés, M. [W] et Mme [L] ont mis en demeure la société Areas de payer le montant des condamnations prononcées à l'encontre de son assurée puis l'ont assignée en paiement.

5. La société Areas a formé une tierce opposition incidente au jugement du 30 mai 2017.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen

7. M. [W] et Mme [L] font grief à l'arrêt de déclarer recevable la tierce opposition de la société Areas, de réformer le jugement du 30 mai 2017 à l'égard de celle-ci et de rejeter leurs demandes, alors :

« 3°/ que la décision condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur la preuve de la réalisation du risque garanti, de sorte que cette décision lui est opposable même s'il n'a pas été partie au procès opposant le tiers lésé à l'assuré et qu'il ne peut ni discuter les éléments de responsabilité retenus par la décision ni le montant du dommage qu'elle a arrêté, sauf en cas de fraude ; que la fraude s'apprécie dans le chef de l'assuré, même si la décision retenant sa responsabilité est réputée contradictoire à son égard qu'en affirmant au contraire que la fraude pouvait émaner du tiers lésé et en estimant qu'une telle fraude avait été commises par M. [W] et Mme [L], rendant recevable la tierce opposition de la société Areas dommages contre le jugement du 30 mai 2017, réputé contradictoire à l'égard de la société Les maisons Nema, la cour d'appel a violé l‘article L. 113-5 du code des assurances ;

4°/ que l'arrêt attaqué a jugé que M. [W] et Mme [L] avaient commis une fraude envers la société Areas dommages pour n'avoir pas mis en cause celle-ci lors de l'instance ayant donné lieu au jugement du 30 mai 2017 de sorte qu'elle n'avait pu faire valoir que la société Les Maisons Nema ne devait pas sa garantie décennale parce que les désordres étaient apparents et non réservés à la réception ; qu'en ne caractérisant pas ainsi la fraude, dès lors qu'en raison de la défaillance de la société Les Maisons Nema le juge avait été tenu de vérifier d'office le bien-fondé de la demande en garantie décennale formée contre elle, et en particulier vérifier si les désordres n'étaient pas apparents et non réservés à la réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l‘article L. 113-5 du code des assurances, ensemble l'article 472 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. La décision judiciaire condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est opposable, à moins de fraude à son encontre (1re Civ., 29 octobre 2014, pourvoi n° 13-23.506, Bull. 2014, I, n° 177).

9. La fraude, qui rend recevable la tierce opposition de l'assureur à l'encontre de la décision judiciaire condamnant son assuré à réparation, peut être le fait de l'assuré ou du tiers victime (1re Civ., 27 avril 1994, pourvoi n° 92-10.905), mais ne peut pas être déduite de la seule absence d'appel en la cause de l'assureur dans l'instance opposant le tiers lésé à l'assuré (1re Civ., 2 juillet 1991, pourvoi n° 89-21.622 ; 2e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-21.854).

10. La cour d'appel a relevé que l'assureur de responsabilité décennale du constructeur avait opposé, par une lettre du 12 novembre 2015, un refus de garantie aux maîtres de l'ouvrage au motif que le désordre d'altimétrie rendant impossible l'accès des véhicules aux garages, situés 45 cm plus haut que la voirie achevée, était apparent à la réception et n'avait fait l'objet d'aucune réserve, que les maîtres de l'ouvrage avaient ensuite assigné en réparation le seul constructeur, lequel n'avait pas constitué avocat, faisant ainsi ressortir que leurs demandes n'avaient été examinées qu'au vu de leurs seules pièces, avant de mettre l'assureur en demeure de payer le montant des condamnations prononcées contre le constructeur.

11. Ayant souverainement retenu que les maîtres de l'ouvrage, qui connaissaient la position de non-garantie de l'assureur en raison du caractère apparent du désordre, avaient délibérément omis de l'informer de l'instance engagée contre le constructeur ou de l'attraire dans la cause pour le mettre devant le fait accompli, elle a, par ce seul motif, caractérisé la fraude aux droits de l'assureur et en a exactement déduit que sa tierce opposition était recevable.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [W] et Mme [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois.

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