13 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-17.340

Chambre sociale - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00887

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL - Repos et congés - Congés payés - Indemnité - Attribution - Conditions - Exécution d'un travail effectif - Exclusion - Cas - Période de suspension du contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle - Portée

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail

UNION EUROPEENNE - Travail - Aménagement du temps de travail - Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 - Acquisition des droits à congés payés - Conditions - Fixation par un Etat membre d'une obligation de travail effectif du salarié - Portée

UNION EUROPEENNE - Travail - Aménagement du temps de travail - Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 - Disposition du droit national contraire à la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et à l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Suspension du contrat de travail - Cas - Arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle - Office du juge - Obligation d'interprétation conforme - Portée

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 septembre 2023




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 887 FP-B+R


Pourvois n°
C 22-17.340
D 22-17.341
E 22-17.342 JONCTION





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023

La société Transdev [Localité 4], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 5], a formé les pourvois n° C 22-17.340 à E 22-17.342 contre trois arrêts rendus le 6 avril 2022 par la cour d'appel de [Localité 4] (chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement :

1°/ à Mme [N] [Z], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à M. [F] [W], domicilié [Adresse 2],

3°/ à Mme [R] [M], domiciliée [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, un moyen commun de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Transdev [Localité 4], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mmes [Z], [M], et de M. [W], les plaidoiries de Me Goulet, et celles de Me Hourdeaux, et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, M. Rinuy, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Ott, M. Barincou, Mme Lacquemant, conseillers, Mme Ala, M. Le Corre, Mmes Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° C 22-17.340, D. 22-17.341, et E 22-17.342 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Reims, 6 avril 2022), Mme [Z] et deux autres salariés de la société Transdev [Localité 4] ont saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre des congés payés qu'ils soutenaient avoir acquis pendant la suspension de leur contrat de travail à la suite d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief aux arrêts de dire que les salariés sont en droit de récupérer des jours de congés et qu'il doit comptabiliser un certain nombre de jours annuels de congés payés en plus des droits à congés annuels acquis et en cours, alors :

« 1°/ que l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne permettant pas, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, le salarié ne peut prétendre, au regard des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3143-5 du code du travail, à l'acquisition de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail pour maladie d'origine non professionnelle ; qu'en décidant au contraire que "la Charte des droits fondamentaux (…), opposable dans les litiges entre particuliers, commande également de laisser le droit national inappliqué", pour en déduire que "c'est à raison que les salariés réclament un droit à congés payés annuels, nés pendant leur période d'absence pour cause de maladie non-professionnelle", la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et, par refus d'application, les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail ;

2°/ que l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne se borne à disposer que "Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés" ; qu'en se fondant sur cet article 31, § 2, de la Charte pour en déduire un droit des salariés à un congé annuel minimal garanti de quatre semaines quand l'article 31, § 2, ne fixe pas de durée minimale pour la période annuelle de congés payés, la cour d'appel a violé l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.

6. En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.

7. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.

8. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16, point 80).

9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).

10. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).

11. Par arrêt du 6 novembre 2018 (Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.

12. La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, Bull. V, n° 73).

13. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union.

14. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.

15. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

16. La cour d'appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Transdev [Localité 4] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Transdev [Localité 4] et la condamne à payer à Mme [Z], M. [W] et Mme [M] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.

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