30 août 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-21.850

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00512

Titres et sommaires

BOURSE - Autorité des marchés financiers (AMF) - Compétence - Exclusion - Cas - Dépôt d'une offre publique d'acquisition (OPA) obligatoire d'une société ayant son siège à l'étranger - Titres admis aux négociations sur un marché réglementé français - Absence d'influence

L'article L. 433-3, I, du code monétaire et financier édicte des dispositions spéciales applicables aux seules offres publiques obligatoires qui, dès lors, dérogent aux dispositions générales, applicables aux offres volontaires, énoncées à l'article L. 433-1 du code monétaire et financier et à l'article 231-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Il s'ensuit que, hors le cas prévu au III de l'article L. 433-3 du code monétaire et financier, lorsqu'une société n'a pas son siège social en France, les conditions de dépôt d'une offre publique d'acquisition (OPA) obligatoire la concernant ne relèvent pas de la loi française et, par conséquent, de la compétence de l'AMF, peu important que ses titres soient admis aux négociations sur un marché réglementé français


BOURSE - Autorité des marchés financiers (AMF) - Pouvoirs - Injonction - Conditions - Manquements aux règlements de l'Union européenne et aux dispositions de droit interne

Il résulte de l'article L. 621-14, II, du code monétaire et financier que le collège de l'AMF dispose d'un pouvoir d'injonction à la condition que cette autorité soit compétente pour sanctionner les manquements qu'il énonce et qu'il ne peut s'agir, par suite, que de manquements aux règlements de l'Union européenne et aux dispositions législatives et réglementaires françaises qui entrent dans le champ de compétence de cette autorité

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 août 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 512 FS-B

Pourvoi n° J 21-21.850




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AOÛT 2023

La société Financière Taulane, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-21.850 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l'opposant à l'Autorité des marchés financiers, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Financière Taulane, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2021), la société Financière Taulane est porteur de bons de souscription d'actions remboursables (BSAR) émis en 2007 par la société Orco Property Group, ayant son siège social au Luxembourg et dont les titres ont été admis aux négociations sur le marché réglementé Euronext Paris jusqu'au 18 février 2016.

2. La société Orco Property Group a, par un communiqué de presse du 18 novembre 2014, informé le public du franchissement à la hausse, par les sociétés Aspley Venture Limited et Fetumar Developpement Limited, du seuil de 30 % de détention de son capital ou de ses droits de vote.

3. La société Financière Taulane a demandé à l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) d'enjoindre aux actionnaires ayant individuellement franchi à la hausse le seuil de 30 % de détention du capital ou des droits de vote de la société Orco Property Group de déposer une offre publique d'acquisition (OPA) obligatoire visant les BSAR émis par cette société.

4. Par une lettre du 14 avril 2016, le secrétaire général de l'AMF a indiqué à la société Financière Taulane qu'elle pouvait saisir la Commission de surveillance du secteur financier (la CSSF), autorité de marché luxembourgeoise, dont il a précisé qu'elle était seule compétente pour apprécier s'il y avait lieu de déposer une OPA obligatoire.

5. La société Financière Taulane a assigné l'AMF aux fins de voir annuler sa décision du 14 avril 2016 et de la voir condamner à lui payer une certaine somme en réparation du préjudice qu'elle soutenait avoir subi en raison de la faute que l'AMF aurait commise en refusant de faire usage des pouvoirs d'injonction qu'elle tient de l'article L. 621-14, II, du code monétaire et financier.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société Financière Taulane fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la décision de l'AMF du 14 avril 2016, ainsi que celle relative à la réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de cette décision, alors « que les dispositions de l'article 234-2, alinéa 1er, (dépôt obligatoire d'un projet d'offre publique), du règlement général de l'AMF relèvent, par renvoi de l'article 231-1, alinéa 1er, dudit règlement, de l'article L. 433-1, II, du code monétaire et financier, relatif aux offres publiques visant des instruments financiers émis par une société dont le siège statutaire est établi sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen autre que la France lorsque les titres de capital de cette société auxquels sont attachés des droits de vote : 1°, ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé de l'Etat sur le territoire duquel la société a son siège statutaire et 2°, ont été admis aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen pour la première fois en France ; que la revendication d'une offre publique obligatoire de la société Financière Taulane portait sur des BSAR émis en 2007 par la société de droit luxembourgeois Orco Property Group et admis aux négociations sur le marché réglementé Euronext Paris entre le 15 décembre 2000 et le 17 février 2016 ; qu'en déterminant dès lors la compétence de l'AMF pour délivrer une injonction de déposer un projet d'offre visant les BSAR du fait du franchissement de seuil sur la base de l'article L. 433-3, I, du code monétaire et financier, quand le règlement général de l'AMF (article 231-1) n'y renvoie pas et que celui-ci s'applique seulement aux sociétés dont le siège social est établi en France, ce qui n'était pas le cas de la société émettrice des BSAR (de droit luxembourgeois), la cour d'appel a violé ledit texte par fausse application et l'article L. 433-1, II, du code monétaire et financier par refus d'application. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article L. 433-3, I, du code monétaire et financier, qui figure à la section 2 « Obligation de déposer un projet d'offre publique » du chapitre III du titre III du livre IV de ce code, le règlement général de l'AMF fixe les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale, actionnaire d'une société dont le siège social est établi en France, et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, agissant seule ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce, venant à détenir, directement ou indirectement, plus des trois dixièmes du capital ou des droits de vote, ou détenant, directement ou indirectement, un nombre compris entre trois dixièmes et la moitié du capital ou des droits de vote et qui, en moins de douze mois consécutifs, augmente sa détention en capital ou en droits de vote d'au moins un centième du capital ou des droits de vote de la société, est tenue d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société.

9. Selon l'article 234-2 du règlement général de l'AMF, inséré au chapitre IV « Dépôt obligatoire d'un projet d'offre publique » du titre III de son livre II, lorsqu'une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce, vient à détenir, directement ou indirectement, plus de 30 % des titres de capital ou des droits de vote d'une société, elle est tenue à son initiative d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre publique visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote, et libellé à des conditions telles qu'il puisse être déclaré conforme par l'AMF.

10. L'article L. 433-3, I, du code monétaire et financier édicte des dispositions spéciales applicables aux seules offres publiques obligatoires qui, dès lors, dérogent aux dispositions générales, applicables aux offres volontaires, énoncées à l'article L. 433-1 du code monétaire et financier et à l'article 231-1 du règlement général de l'AMF.

11. Or, il résulte de l'article L. 433-3, I, précité, en l'absence de toute disposition légale ou réglementaire imposant, hors le cas prévu au III du même article, le dépôt d'une OPA obligatoire sur des titres d'une société n'ayant pas son siège en France, fussent-ils admis aux négociations sur un marché réglementé français, que les conditions de dépôt d'une OPA obligatoire ne relèvent de la loi française, en particulier de l'article 234-2 du règlement général de l'AMF, et, par suite, de la compétence de cette autorité, que si la société concernée par cette OPA obligatoire a son siège social en France, quand bien même ses titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen.

12. Il s'ensuit que, hors le cas prévu au III de l'article L. 433-3 du code monétaire et financier, lorsqu'une société n'a pas son siège social en France, les conditions de dépôt d'une OPA obligatoire la concernant ne relèvent pas de la loi française et, par conséquent, de la compétence de l'AMF, peu important que ses titres soient admis aux négociations sur un marché réglementé français.

13. Ayant énoncé à bon droit que la compétence de l'AMF devait être appréciée au regard de l'article L. 433-3, I, du code monétaire et financier, qui édicte des dispositions spécifiques en matière d'offre publique obligatoire, et relevé que la société Orco Property Group avait son siège social au Luxembourg, la cour d'appel en a exactement déduit que l'AMF n'était pas compétente pour apprécier les conditions de dépôt d'une OPA obligatoire sur les titres de cette société.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. La société Financière Taulane fait le même grief à l'arrêt, alors « que viole par fausse interprétation l'article L. 621-14, II, du code monétaire et financier la cour d'appel qui énonce qu'il "se déduit de ces dispositions que l'exercice du pouvoir d'injonction vise à mettre fin à des manquement aux règlements européens applicables directement en droit national, et aux dispositions législatives et réglementaires issues de ce même droit" et "ne saurait donc être exercé… pour mettre fin au manquement à une obligation de déposer une OPA, qui ne résultait pas de l'article 234-2 du règlement général de l'AMF, mais de la loi luxembourgeoise sur les OPA du 19 mai 2006 et dont l'appréciation relevaient de la seule compétence de la CSSF", quand ledit texte dispose que "le collège peut, après avoir mis la personne concernée en mesure de présenter ses explication, ordonner qu'il soit mis fin en France et à l'étranger, aux manquements aux obligations résultant des règlements européens, des dispositions législatives ou règlementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de marché et la divulgation illicite d'informations privilégiées mentionnées au c et d du II de l'article L. 621-15 ou à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés ou à tout autre manquement aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme prévues aux chapitres I et II du titre VI du livre V du présent code." »

Réponse de la Cour

16. Selon l'article L. 621-14, II, du code monétaire et financier, le collège de l'AMF peut, après avoir mis la personne concernée en mesure de présenter ses explications, ordonner qu'il soit mis fin, en France et à l'étranger, aux manquements aux obligations résultant des règlements européens, des dispositions législatives ou réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de marché et la divulgation illicite d'informations privilégiées mentionnées aux c et d du II de l'article L. 621-15, ou à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés ou à tout autre manquement aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme prévues aux chapitres I et II du titre VI du livre V du même code.

17. Il résulte de ce texte que le collège de l'AMF dispose d'un pouvoir d'injonction à la condition que cette autorité soit compétente pour sanctionner les manquements qu'il énonce et qu'il ne peut s'agir, par suite, que de manquements aux règlements de l'Union et aux dispositions législatives et réglementaires françaises qui entrent dans le champ de compétence de l'AMF.

18. Ayant retenu à bon droit que le manquement éventuel à l'obligation de déposer une OPA des titres de la société Orco Property Group ne résultait pas du droit français dès lors que cette société avait son siège social au Luxembourg, la cour d'appel en a exactement déduit que l'AMF n'avait pu engager sa responsabilité en n'exerçant pas le pouvoir d'injonction qu'elle tient de l'article L. 621-14, II, du code monétaire et financier.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Financière Taulane aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Financière Taulane et la condamne à payer à l'Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.

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