9 août 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-83.132

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01035

Texte de la décision

N° M 23-83.132 F-D

N° 01035


ECF
9 AOÛT 2023


CASSATION PARTIELLE


Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 AOÛT 2023


Mme [E] [K], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 18 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre M. [Z] [F] et la société EURL [O] des chefs d'homicide involontaire aggravé, destruction involontaire par un moyen dangereux et infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, a confirmé l'ordonnance de non-lieu partiel rendue par le juge d'instruction.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [E] [K], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [Z] [O] et de la société EURL [O], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 août 2023 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Rouvière, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 26 octobre 2018, M. [I] [R], employé de la société EURL [O] (la société) a reçu du dirigeant de celle-ci, M. [Z] [F], l'ordre de procéder à une soudure sur un container dans un hangar de l'entreprise.

3. Cette soudure, réalisée sans respect des normes de sécurité et par un employé non formé, a provoqué un incendie que des salariés de la société ont tenté d'éteindre.

4. L'un d'eux, [H] [G], est décédé, les pompiers n'étant pas parvenus à l'extraire du hangar en feu.

5. Le 16 avril 2019, [V] [M] [K], l'un des pompiers, s'est suicidé. Son épouse, Mme [E] [K], a porté plainte et s'est constituée partie civile.

6. Le juge d'instruction a renvoyé M. [O] et la société devant le tribunal correctionnel sous la prévention susvisée et, s'agissant du décès de [V] [M] [K], a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef d'homicide involontaire.

7. Mme [K] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches


8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu relative au délit d'homicide involontaire commis au préjudice de [V] [M] [K], alors « que la chambre de l'instruction ne peut tenir compte d'un mémoire qu'elle a déclaré irrecevable comme étant tardif ; qu'en mentionnant que M. [R] concluait à la confirmation de l'ordonnance de non-lieu, cependant qu'en déclarant irrecevable le mémoire déposé par le conseil de l'intéressé, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire et 198 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ».

Réponse de la Cour

10. Après avoir énoncé que le mémoire déposé au greffe de la chambre de l'instruction le 14 mars 2023 au soutien des intérêts de M. [R] devait être déclaré irrecevable comme ayant été déposé hors délai, l'arrêt attaqué mentionne que M. [R] conclut par mémoire à la confirmation de l'ordonnance de non-lieu.

11. C'est à tort que les juges font état du contenu d'un mémoire dont ils constatent qu'il est irrecevable.

12. Cependant, la demanderesse ne saurait s'en faire un grief, dès lors que son appel n'a été déclaré recevable qu'à l'encontre du non-lieu prononcé à l'égard de M. [O] et de la société pour le délit d'homicide involontaire commis au préjudice de [V] [M] [K], et qu'elle ne critiquait pas devant la chambre de l'instruction la décision de non-lieu rendue à l'égard de M. [R].

13. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.

Mais sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu relative au délit d'homicide involontaire commis au préjudice de [V] [M] [K], alors :

« 1°/ que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; qu'en exigeant un lien de causalité direct entre la faute délibérée reprochée à M. [O] et le décès de [V] [M] [K], la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal ;

2°/ qu'en retenant, par motifs à supposer adoptés, qu'il résultait du rapport d'expertise psychologique que le suicide de [V] [M] [K] ne trouvait pas son origine dans l'incendie, lorsqu'elle constatait que cette expertise psychologique faisait état de ce que l'incendie avait généré chez [V] [M] [K] un état de stress post-traumatique, que l'impact de cet événement avait réveillé des blessures non cicatrisées de son passé et notamment des réminiscences massives du suicide paternel et que ladite expertise avait conclu que le suicide de l'intéressé avait été nourri notamment par un état de stress post-traumatique suite à l'incendie, la chambre de l'instruction a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que l'imputabilité du dommage doit être appréciée sans qu'il soit tenu compte des prédispositions de la victime dès lors que ces prédispositions n'avaient pas déjà eu des conséquences préjudiciables au moment où s'est produit le fait dommageable ; qu'en se bornant à constater que [V] [M] [K] présentait un fond dépressif antérieur et que l'intéressé souffrait manifestement de troubles psychologiques ayant leur origine dans une histoire personnelle difficile n'ayant aucun rapport avec les faits poursuivis, lorsqu'il suffisait que l'incendie et l'état de stress post-traumatique qui s'en est suivi aient été une condition sine qua non du suicide de l'intéressé, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants et a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 121-3 et 221-6 du code pénal :

15. Ces textes n'exigent pas, pour que soit engagée la responsabilité pénale de l'auteur d'une faute délibérée, un lien de causalité direct entre cette faute et le décès de la victime mais seulement l'existence d'un lien de causalité certain.

16. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef d'homicide involontaire au préjudice de [V] [M] [K], l'arrêt attaqué retient qu'il résulte d'une expertise psychologique que ce dernier présentait des troubles de l'affectivité, manifestés par une anxiété de fond et des mouvements dépressifs avec, en parallèle, une forme de rigidité, de perfectionnisme, une probable exigence voire intransigeance à l'égard de lui-même et des autres.

17. Les juges ajoutent que, selon cette expertise, l'incendie a généré chez lui un état de stress post-traumatique et réveillé des blessures non cicatrisées de son passé, que le suicide semble avoir été nourri par différents facteurs endogènes et exogènes, soit le suicide paternel, les agressions sexuelles intra-familiales, la rupture familiale partielle qui en avait résulté, la complexité de la relation conjugale, les troubles de l'affectivité, deux interventions professionnelles vécues comme des échecs et un état de stress post-traumatique suite à l'incendie, de sorte que l'incendie ne peut à lui seul expliquer l'agir suicidaire.

18. Ils énoncent encore que [V] [M] [K] avait toujours été rempli de « peur intérieure » et que sa relation avec son épouse s'était dégradée en raison du traumatisme de l'intervention mais également de problèmes professionnels et de difficultés liées à la construction de leur maison et qu'il avait déjà fait part à son entourage d'intentions suicidaires en avril 2019 et avait même été hospitalisé sous contrainte.

19. Les juges en concluent qu'il n'est pas établi qu'un lien de causalité direct existe entre les faits reprochés à M. [O] et à la société et le décès de [V] [M] [K].

20. En prononçant ainsi, sans rechercher ni exclure l'existence d'un lien de causalité indirect mais certain entre les fautes délibérées qu'elle retient à l'encontre de M. [O] et de la société et le décès de [V] [M] [K], la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au délit d'homicide involontaire au préjudice de [V] [M] [K]. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 18 avril 2023, mais en ses seules dispositions relatives au délit d'homicide involontaire au préjudice de [V] [M] [K], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du neuf août deux mille vingt-trois.

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