6 juillet 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-22.052

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300533

Titres et sommaires

BAIL COMMERCIAL - Bailleur - Garantie de paiement des loyers ou des charges locatives - Mesures conservatoires - Mise en oeuvre - Interdiction - Mesures législatives de police administrative prises dans le cadre de la crise sanitaire - Domaine d'application - Conditions - Détermination

L'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 a interdit aux bailleurs de pratiquer des mesures conservatoires à l'encontre de locataires, satisfaisant à plusieurs critères d'éligibilité et exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l'article 1 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ou du 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, soit la fermeture provisoire et la réglementation de l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, des catégories d'établissements recevant du public concernées. Les mesures de police administrative relatives à la sortie des personnes de leur domicile et à leur circulation, prises en application de dispositions autres que celles susvisées, quand bien même elles affecteraient l'activité économique des locataires, n'interdisent pas la mise en oeuvre de mesures conservatoires par les bailleurs

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 533 FS-B

Pourvoi n° Z 22-22.052







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

La société Hôtel Rochambeau, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-22.052 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige l'opposant à la société Compagnie française d'investissement (CFI), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. David, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Hôtel Rochambeau, de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Compagnie française d'investissement, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. David, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mmes Andrich, Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 juin 2022) et les productions, le 1er juillet 1997, la société Comaco, aux droits de laquelle s'est trouvée la société Compagnie française d'investissement (la bailleresse), a donné à bail commercial à la société Hôtel Rochambeau (la locataire) un immeuble à usage d'hôtel, bar et restaurant.

2. Le 21 mars 2016, le bail a été renouvelé, avec restriction de la destination des lieux à l'activité d'hôtel avec salle de petit-déjeuner et bar.

3. Le 23 avril 2021, la bailleresse a, en vertu de l'acte de renouvellement précité, procédé à une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la locataire en garantie du paiement d'une créance correspondant aux loyers des deux premiers trimestres de l'année 2021 ainsi qu'à des charges et accessoires.

4. Le 20 mai 2021, la locataire a assigné la bailleresse en annulation ou mainlevée de la saisie et paiement de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le second moyen


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu d'annuler ou de donner mainlevée de la saisie conservatoire, d'en cantonner les effets à une certaine somme et de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts, alors « qu'en application de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, applicable à compter du 17 octobre 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cessait d'être affectée par une mesure de police administrative prise en application des textes relatifs à la crise sanitaire, la mise en oeuvre de toute action, sanction ou voie d'exécution forcée pour retard ou non paiement des loyers et charges locatives, était interdite à l'encontre de toute personne morale de droit privé exerçant une activité économique soumise aux dispositions du 2° du I de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 et de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, permettant aux pouvoirs publics de « réglementer l'ouverture au public, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou de plusieurs catégories d'établissement recevant du public ainsi que les lieux de réunion » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'« il n'est pas contestable qu'à l'époque de la mise en place de la saisie conservatoire querellée, l'importance de la clientèle accédant à l'hôtel avait diminué de par les mesures prises par le gouvernement pour tenter d'endiguer l'épidémie de Covid 19. En effet, à partir du mois d'avril 2021, les dispositions qui étaient déjà applicables dans 19 départements reconfinés depuis le 19 mars 2021 ont été étendues à tout le territoire, pour une durée de quatre semaines, à savoir un couvre-feu de 19 heures à 6 heures, et surtout l'interdiction des déplacements interrégionaux à partir du 5 avril 2021, sauf pour motif impérieux ; les déplacements étant restreints, cela a nécessairement eu pour effet une baisse de fréquentation de l'hôtel, alors que les règles de distanciation et le nécessaire respect des gestes barrières rendaient compliquée la gestion de l'établissement » ; qu'il résultait de ces constatations que les conditions d'accès et de présence du public à l'hôtel exploité par la société Hôtel Rochambeau étaient réglementées par les mesures de reconfinement, consistant en un couvre-feu de 19 heures à 6 heures et en l'interdiction des déplacements interrégionaux, ainsi que par les mesures de distanciation sociale, de sorte que l'article 14 précité était applicable ; qu'en jugeant au contraire, pour statuer comme elle l'a fait, que « les conditions d'accès au public à l'hôtel exploité par la société Hôtel Rochambeau n'étaient pas modifiées pour autant par les diverses mesures prises par le gouvernement », la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020. »

Réponse de la Cour

7. L'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 a interdit aux bailleurs de pratiquer des mesures conservatoires à l'encontre de locataires, satisfaisant à plusieurs critères d'éligibilité et exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l'article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ou du 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, soit la fermeture provisoire et la réglementation de l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, des catégories d'établissements recevant du public concernées.

8. Les mesures de police administrative relatives à la sortie des personnes de leur domicile et à leur circulation, prises en application de dispositions autres que celles susvisées, quand bien même elles affecteraient l'activité économique des locataires, n'interdisent pas la mise en oeuvre de mesures conservatoires par les bailleurs.

9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Hôtel Rochambeau aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Hôtel Rochambeau et la condamne à payer à la société Compagnie française d'investissement la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.

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