6 juillet 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.283

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C200777

Titres et sommaires

SECURITE SOCIALE, ASSURANCES SOCIALES - Tiers responsable - Pension d'invalidité servie par une caisse primaire d'assurance maladie - Imputation - Modalités - Détermination - Portée - Pertes de gains professionnels et incidence professionnelle

La pension d'invalidité versée à une victime ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Dès lors, elle ne s'impute que sur les postes de pertes des gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle

SECURITE SOCIALE - Assurances sociales - Tiers responsable - Recours des caisses - Exercice - Limite - Pension d'invalidité

Texte de la décision

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation partielle


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 777 F-B

Pourvoi n° D 21-24.283




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

1°/ M. [T] [S],

2°/ Mme [G] [F], épouse [S],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° D 21-24.283 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2021 par la cour d'appel de Douai (3ème chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Mutuelle assurance instituteur France (MAIF), dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits et obligations de la société FILIA MAIF,

2°/ à la caisse mutualité sociale agricole Picardie (MSA), dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La société Mutuelle assurance instituteur France a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, six moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [S], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Mutuelle assurance instituteur France, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Isola, conseiller rapporteur, M. Martin, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement du pourvoi incident

1. Il est donné acte à la société Mutuelle assurance des instituteurs de France du désistement de son pourvoi incident.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 9 septembre 2021), le 15 novembre 2015, M. [S] qui circulait, sans ceinture de sécurité et sous l'empire d'un état alcoolique, à bord de son véhicule assuré par la société Pacifica crédit agricole a été victime d'un accident de la circulation, impliquant un véhicule qui était assuré par la société FILIA MAIF, aux droits de laquelle se trouve la société Mutuelle assurance des instituteurs de France (l'assureur).

3. Le 22 février 2017, une transaction a été signée entre M. [S] et la société FILIA MAIF, aux termes de laquelle, les parties ont fixé le droit à indemnisation de M. [S] à hauteur de 75 % de son préjudice.

4. M. [S] et Mme [S], son épouse, ont assigné la société FILIA MAIF et la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie (la caisse) devant un tribunal de grande instance en indemnisation de leurs préjudices.

5. L'assureur est intervenu à l'instance d'appel, comme venant aux droits de la société FILIA MAIF.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [S] fait grief à l'arrêt de limiter à 45 euros la condamnation de l'assureur au titre de ses dépenses de santé actuelles, alors « que dans le cas d'une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ; qu'en limitant à 45 euros la somme due par l'assureur à M. [S] au titre des dépenses de santé actuelles, cependant que le droit de préférence de la victime sur la caisse impliquait, d'abord, que la créance de cette dernière, d'un montant de 143 728,17 euros, soit imputée sur les dépenses de santé actuelles évaluées à 143 788,17 euros, sans tenir compte du partage de responsabilité, puis que le préjudice subsistant de la victime, égal à son reste à charge, soit intégralement réparé, puisqu'il était inférieur à l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable, d'un montant de 107 841,13 euros, et enfin que le tiers payeur ne puisse exercer son recours que sur le reliquat, qui s'élevait à la somme de 107 781,13 euros, la cour d'appel a violé les articles 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'article 25, IV, de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de l'article 25, IV, de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 :

7. Selon ce texte, les recours subrogatoires des tiers payeurs contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel et, conformément à l'article 1252 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été indemnisée qu'en partie. En ce cas, cette dernière peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence au tiers payeur subrogé. Il en résulte que dans le cas d'une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat.
8. Pour condamner l'assureur à payer à M. [S] la somme de 45 euros au titre de ses dépenses de santé actuelles, l'arrêt, qui a relevé que la créance de la caisse à ce titre s'élevait à la somme de 143 728,17 euros, énonce qu'une somme de 60 euros, relative à l'achat d'un fauteuil roulant, est restée à la charge de M. [S], soit une somme de 45 euros après application du droit à indemnisation de 75 %.

9. En statuant ainsi, en appliquant la limitation du droit à indemnisation de la victime sur le solde resté à sa charge après déduction des prestations versées par la caisse, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. M. [S] fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 6 528,25 euros l'indemnité due par l'assureur au titre des pertes de gains professionnels actuels et de le débouter de sa demande en paiement de celle de 7 789,50 euros au titre des besoins d'assistance complémentaires nécessaires pour maintenir le revenu par économie, alors « que le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour la victime une perte ou un profit ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande formulée par M. [S], tendant à l'indemnisation du besoin, rendu nécessaire par la survenance de l'accident, d'une assistance par tierce personne pour assurer à sa place l'activité personnelle de culture et d'élevage qu'il réalisait avant l'accident, que cette demande « ne correspond aucunement au poste de préjudice « perte de gains professionnels actuels » », cependant que, peu important le classement qu'en avait fait la victime au regard de la nomenclature Dintilhac, dépourvue de valeur normative, il lui appartenait d'apprécier l'existence de cet élément de préjudice, et, le cas échéant, de l'indemniser, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit ».

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

11. Pour limiter à la somme de 6 528,25 euros l'indemnité due par l'assureur au titre des pertes de gains professionnels actuels, l'arrêt énonce que M. [S] reconnaît dans ses écritures que son épouse a repris une partie d'une activité de maraîchage et de petit élevage que les séquelles de son accident l'empêchent d'exercer et que l'absence de pièces suffisantes versées par M. et Mme [S] ne permet pas d'établir la réalité de cette perte de revenu alléguée.

12. Pour, ensuite, débouter M. [S] de sa demande subsidiaire relativement à l'aide humaine apportée par son épouse, l'arrêt retient que si celle-ci est recevable en cause d'appel en ce qu'une victime d'un accident corporel est recevable à solliciter l'indemnisation de nouveaux postes de préjudices en lien avec les faits dont elle a été victime, cette demande ne correspond pas au poste de préjudice de la perte de gains professionnels actuels.

13. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher si le préjudice invoqué par M. [S] au titre du besoin d'assistance par son épouse pour l'activité de maraîchage et de petit élevage était ou non établi, et, dans l'affirmative, de le réparer, peu important la qualification qui lui avait été donnée par la victime au regard de la nomenclature Dintilhac, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. M. [S] fait grief à l'arrêt de limiter à 16 244,92 euros l'indemnisation de ses dépenses de santé futures, alors « que les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel ; qu'en jugeant, s'agissant des « aides techniques », que M. [S] « ne produit aucune pièce justifiant de la réalité de son préjudice, à savoir une somme restant le cas échéant à sa charge après la perception des sommes versées par la MSA à ce titre », sans évaluer préalablement le préjudice de la victime résultant des dépenses de santé futures, et sans préciser dans quelle mesure il était et serait pris en charge par les prestations servies par la caisse ni procéder aux imputations correspondantes, la cour d'appel a violé l'article 31, alinéa 1er, de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ».

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

15. Pour limiter à la somme 16 244,92 euros la condamnation de l'assureur au titre des dépenses de santé futures, l'arrêt énonce que M. [S] ne produit aucune pièce justifiant de la réalité de son préjudice, à savoir une somme restant, le cas échéant, à sa charge après la perception des sommes versées par la caisse à ce titre. Il ajoute que le relevé de la caisse du 20 juillet 2018 fait état de frais futurs viagers d'appareillage pour un montant de 194 408,06 euros, M. [S] ne contestant pas que ces frais comprennent ceux occasionnés par l'acquisition de ce matériel et leur renouvellement.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui aurait dû évaluer préalablement ce poste de préjudice et déterminer la dette du tiers responsable en faisant application de la réduction du droit à indemnisation, avant d'allouer à la victime la somme demeurée, le cas échéant, à sa charge après déduction des prestations ayant partiellement réparé ce poste, dans la limite de la dette du tiers responsable, a violé le principe susvisé.

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

17. M. [S] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre des pertes de gains professionnels futurs, alors « que le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour la victime une perte ou un profit ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande formulée par M. [S], tendant à l'indemnisation du besoin, rendu nécessaire par la survenance de l'accident, d'une assistance par tierce personne pour assurer à sa place l'activité personnelle de culture et d'élevage qu'il réalisait avant l'accident, que cette demande « ne correspond aucunement au poste de préjudice « perte de gains professionnels […] » », cependant que, peu important le classement qu'en avait fait la victime au regard de la nomenclature Dintilhac, dépourvue de valeur normative, il lui appartenait d'apprécier l'existence de cet élément de préjudice, et, le cas échéant, de l'indemniser, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit ».

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

18. Pour rejeter la demande de M. [S] au titre d'une « perte de gains professionnels futurs » en raison d'un besoin d'assistance par son épouse pour l'activité de maraîchage et de petit élevage, l'arrêt énonce que, pour les mêmes motifs que ceux exposés relativement au poste « perte de gains professionnels actuels », seules les deux activités salariées de M. [S] exercées avant l'accident seront prises en compte pour la fixation de ce poste de préjudice et, dès lors, pour la détermination du salaire de référence.

19. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher si le préjudice invoqué par M. [S] au titre du besoin d'assistance par son épouse pour l'activité de maraîchage et de petit élevage, après la consolidation, était ou non établi, et, dans l'affirmative, de le réparer, peu important la qualification qui lui avait été donnée par la victime au regard de la nomenclature Dintilhac, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Sur le sixième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

20. M. [S] fait grief à l'arrêt de limiter à la période du 13 novembre 2017 au 16 septembre 2019 la condamnation de l'assureur à payer les intérêts au double du taux légal sur le total du montant des sommes en capital qui lui ont été allouées, avant déduction de la provision, et de la créance de l'organisme social, soit 920 839,60 euros, alors « qu'une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident ; que cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime ; qu'en jugeant que la circonstance qu'« au cours des mois de juin à novembre 2016, des discussions ont lieu de manière fondée entre la MAIF et la société Pacifica, assureur de M. [S], en raison des fautes de conduite qui étaient opposées à ce dernier, à savoir une conduite sous l'empire d'un état alcoolique et un défaut de port de ceinture de sécurité » et que « la procédure pénale a ainsi été communiquée à la MAIF en juin 2016 » dispensaient l'assureur de formuler une offre d'indemnisation provisionnelle complète et suffisante, dans un délai de huit mois à compter de l'accident, la cour d'appel a violé l'article L. 211-9 du code des assurances ».

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances :

21. En application du premier de ces textes, l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu, dans un délai maximum de huit mois à compter de l'accident, de présenter une offre d'indemnité à la victime qui subit une atteinte à sa personne. En application du deuxième, lorsque l'offre n'a pas été faite dans ce délai, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.

22. Pour limiter à la période du 13 novembre 2017 au 16 septembre 2019 la condamnation de l'assureur à payer les intérêts au double du taux légal sur la somme allouée en capital à la victime, l'arrêt énonce qu'il ressort des lettres produites que, au cours des mois de juin à novembre 2016, des discussions ont eu lieu entre l'assureur et la société Pacifica, en raison des fautes de conduite opposées à M. [S] et relève que la procédure pénale a ainsi été communiquée à l'assureur en juin 2016.

23. Il en déduit que, en raison de ces circonstances particulières non imputables à l'assureur, il ne peut être retenu le caractère tardif de son offre provisionnelle du 9 février 2017.

24. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations qu'une offre provisionnelle n'avait pas été faite par l'assureur dans les huit mois de l'accident, la cour d'appel, qui n'a caractérisé aucune des causes de suspension prévues aux articles R. 211-29 et suivants du code des assurances, a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen relevé d'office

25. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

26. Il résulte du second de ces textes que le recours des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.

27. Selon le premier, l'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme.

28. La Cour de cassation juge, depuis 2013, que cette pension indemnise, d'une part, les préjudices de pertes de gains professionnels et d'incidence professionnelle, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 13 juin 2013, n° 12-10.145 Bull. II, n°125 ; 2e Civ., 29 mars 2018, pourvoi n° 17-15.260, Bull. 2018, II, n° 66 ; 2e Civ., 16 juillet 2020, pourvoi n° 18-23.242).

29. Cette jurisprudence, qui se justifiait par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, se conciliait imparfaitement, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, avec les modalités selon lesquelles cette pension est calculée. En effet, selon les articles R. 341-4 et suivants du code de la sécurité sociale, elle est déterminée, de manière forfaitaire, en fonction du salaire annuel moyen de l'assuré et de la catégorie d'invalidité qui lui a été reconnue.

30. La Cour de cassation, qui décidait, depuis 2009, que la rente accident du travail indemnisait les postes de pertes de gains professionnels et d'incidence professionnelle ainsi que celui du déficit fonctionnel permanent (notamment 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155), a remis en cause sa jurisprudence par deux arrêts rendus en assemblée plénière qui ont jugé que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947 et Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, publiés).

31. Le calcul de la rente accident du travail se fait, comme pour la pension d'invalidité, sur une base forfaitaire, de sorte qu'une distinction entre les modalités de recours des tiers payeurs selon qu'il s'agit de l'une ou l'autre prestation ne se justifie pas.

32. L'ensemble de ces considérations conduit à juger, désormais, que la pension d'invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

33. Pour fixer l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent à la somme de 140 048,13 euros, l'arrêt énonce qu'il est constant que, en application du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la pension d'invalidité servie par l'organisme social s'impute, même si celui-ci n'exerce pas son recours, sur les pertes de gains professionnels futurs, l'incidence professionnelle et, en cas de reliquat, sur le déficit fonctionnel permanent.

34. Il ajoute que le premier juge a justement évalué ce poste de préjudice à la somme de 196 000 euros, soit 147 000 euros après application du droit à indemnisation de 75 % et que le reliquat de la pension d'invalidité de 6 951,87 euros, après imputation sur le poste de la perte de gains professionnels futurs, devra être déduit de la somme fixée au titre du déficit fonctionnel permanent.

35. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France à payer à M. [S] les sommes de 45 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 6 528,25 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, 16 244,92 euros au titre des dépenses de santé futures, 140 048,13 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, rejette la demande de M. [S] au titre de la perte de gains professionnels futurs et condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France à payer les intérêts au double du taux légal sur le total du montant des sommes en capital ainsi allouées à M. [S], avant déduction de la provision, et de la créance de l'organisme social, soit 920 839,60 euros, pour la période du 13 novembre 2017 au 16 septembre 2019, l'arrêt rendu le 9 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. et Mme [S] à l'encontre de la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie et par la société Mutuelle assurance des instituteurs de France et condamne cette dernière à payer à M. et Mme [S] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.

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