28 juin 2023
Cour d'appel de Riom
RG n° 21/02147

Chambre Commerciale

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N°293



DU : 28 Juin 2023



N° RG 21/02147 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FWAP

VD

Arrêt rendu le vingt huit Juin deux mille vingt trois



Sur APPEL d'une décision rendue le 12 juillet 2021 par le Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n° 19/04392 ch1 cab1)



COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Virginie DUFAYET, Conseiller



En présence de : Mme Rémédios GLUCK, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Cécile CHEBANCE lors du prononcé



ENTRE :



Mme [X] [P]

née le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 8]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 8]



Représentant : la SCP GOUNEL-LIBERT-PUJO, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND



APPELANTE



ET :



M. [N] [S]

[Adresse 7]

[Localité 8]



Non représenté, assigné à personne



Compagnie d'assurances AXA FRANCE IARD

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 722 057 460

dont le siège social est [Adresse 3]

[Localité 10]



Représentant : la SCP VIGNANCOUR ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND







MUTUELLE DES ETUDIANT - LMDE

[Adresse 5]

[Localité 4]



Non représentée, assignée à étude



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY DE DOME venant aux droits de la caisse locale déléguée our la sécurité sociale des travailleurs independants venant elle- même aux droits de la caisse RSI AUVERGNE

[Adresse 6]

[Localité 8]



Représentant : la SCP BOISSIER, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND



INTIMÉS



DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 10 Mai 2023, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame DUBLED-VACHERON et Madame DUFAYET, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.



ARRET :

Prononcé publiquement le 28 Juin 2023 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




Exposé du litige



Le 29 octobre 2008, Mme [P] s'est adressée au docteur [S] afin de procéder à l'extraction de ses dents de sagesse. Une des quatre dents n'a pas pu être extraite.

A compter du mois d'octobre 2010, elle a présenté des douleurs sur le secteur maxillaire gauche.

Une radiographie réalisée en octobre 2010 a permis de constater la présence du germe 28.

Un scanner a été réalisé lors duquel la dent de sagesse a été retrouvée dans la fosse ptéro-maxillaire gauche en arrière de l'apophyse ptérygoïde externe.

Suite à de nombreux symptômes infectieux et inflamatoires, Mme [P] a été opérée le 21 février 2014 par le docteur [K], l'opération étant dite de type Lefort I.

Un nouveau scanner a été réalisé lequel a révélé des séquelles avec anesthésie complète de l'hémi-palais gauche, de la face interne de la joue gauche et l'hémi-langue gauche.



Par acte du 15 février 2017, Mme [P] a saisi le juge des référés afin de voir ordonner une expertise judiciaire.



Par ordonnance de référé du 21 mars 2017, le juge des référés a ordonné la mesure d'expertise et commis pour y procéder le docteur [D] qui a déposé son rapport le 16 février 2018.



Par actes des 4, 5 et 7 novembre 2019, Mme [P] a saisi le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand afin de juger le docteur [S] responsable du préjudice subi et d'obtenir l'indemnisation, outre une demande de provision et d'expertise complémentaire.



Par jugement en date du 12 juillet 2021, le tribunal a :

- reçu l'intervention volontaire de la Caisse locale déléguée pour la sécurité sociale,

- déclaré M. [N] [S] responsable du préjudice de perte de chance de Mme [X] [P] pour manquement à son obligation d'information et manque de diligence dans le suivi pré et post chirurgical sur le fondement des articles 1240 du code civil et L.1142-1 et L.1111-2 du code de la santé publique,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à Mme [X] [P] la somme de 1 893,60 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice de perte de chance

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à la caisse la somme de 5 677,17 euros,

- rejeté les autres demandes de Mme [X] [P],

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer Mme [X] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à la caisse la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion,

- rejeté la demande d'AXA sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD aux entiers dépens, comprenant les frais d'instance de référé et d'expertise judiciaire.



Par déclaration électronique en date du 14 octobre 2021 Madame [X] [P] a interjeté appel de ce jugement.



Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 13 janvier 2022, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 1240 et suivants du code civil, L.1111-2 et suivants du code de la santé publique, de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- déclaré M. [N] [S] responsable du préjudice de perte de chance de Mme [X] [P] pour manquement à son obligation d'information et manque de diligence dans le suivi pré et post chirurgical,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à Mme [P] la somme de 1 893,60 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice de perte de chance,

- rejeté les autres demandes de Mme [P],

- jugeant de nouveau :

- dire et juger que le docteur [S] a commis les fautes suivantes dans sa prise en charge :

' une faute pré-opératoire par défaut d'information

' une faute dans l'exécution de l'acte médical résidant dans la projection d'un germe de 28 dans la gencive, laissé sans précaution

' une faute de surveillance dans la non prise en compte des complications de l'intervention, au regard des acquis actuels de la science,

' une faute de diagnostic sur les conséquences des complications de l'intervention,

- par conséquent le déclarer entièrement responsable de l'intégralité du préjudice subi par elle,

- condamner le docteur [S] à lui payer et porter une provision d'un montant de 3 156 euros à valoir sur son préjudice définitif.

- ordonner une expertise complémentaire pour évaluer l'intégralité de ses préjudices, en ce compris ceux liés à l'intervention de reprise chirurgicale rendue nécessaire par les fautes commises par le docteur [S],

- dire et juger le jugement à intervenir commun et opposable à la société AXA France, assureur du docteur [S], ainsi qu'à la CPAM représentant le RSI et à la LMDE en qualité d'organismes sociaux,

- statuer ce que de droit sur la créance de ces derniers,

- débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [S] et la Compagnie AXA France IARD à payer et porter la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais de l'expertise qui sera ordonnée.



Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 10 avril 2022, la SA compagnie AXA France IARD demande à la cour au visa des articles 1240 et suivants du code civil, L. 1111-2 et suivants du code de la santé publique, vu le rapport du docteur [T] [D], de :

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

- déclaré M. [N] [S] responsable du préjudice de perte de chance de Mme [X] [P] pour manquement à son obligation d'information et manque de diligence dans le suivi pré et post chirurgical,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à Mme [P] la somme de 1 893,60€ de dommages et intérêts au titre de son préjudice de perte de chance,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à la Caisse Locale Déléguée pour la Sécurité Sociale des travailleurs indépendants la somme de 5 677, 17 euros,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à Mme [X] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à la Caisse Locale Déléguée pour la Sécurité Sociale des travailleurs indépendants la somme 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion prévue à l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;

- rejeté la demande de la compagnie AXA France IARD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile (qui n'avait pas été formulée) ;

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD aux entiers dépens, comprenant les frais de l'instance de référé et d'expertise judiciaire,

- confirmer pour le surplus,

- en conséquence :

- juger que l'information pré et post-opératoire a été régulièrement donnée,

- juger qu'une information plus complète sur les complications exceptionnelles d'extraction de germe de dent de sagesse maxillaire n'aurait pas conduit Mme [X] [P] à renoncer à ce traitement chirurgical nécessaire,

- juger que la complication survenue est un risque exceptionnel de ce type de chirurgie et que le docteur [N] [S] n'a commis aucune faute d'exécution de son geste,

- juger que le docteur [S] a assuré la surveillance et le suivi post-opératoire de sa patiente dans des conditions convenables eu égard au fait qu'il n'était ni son praticien traitant, ni l'orthodontiste qui la suivait, ni un chirurgien maxillo-facial,

- juger que le docteur [S] a prodigué des soins conformes aux données acquises de la science,

- déclarer Mme [P] mal fondée en ses demandes formulées en cause d'appel et l'en débouter,

- la condamner à restituer à la SA AXA France IARD la somme de 3 393,60 euros perçue au titre de l'exécution provisoire, outre intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2022, date du paiement,





- à titre subsidiaire :

- liquider les seuls préjudices imputables, après application du pourcentage en considération de la chance perdue qui ne peut qu'être minime,

- réduire les évaluations chiffrées par Mme [X] [P] à de plus justes proportions,

- dire n'y avoir lieu à compléter la mission de l'expert et à accorder une provision,

- débouter Mme [X] [P] de ses demandes plus amples ou contraires,

- en tout état de cause :

- débouter la Caisse Locale Déléguée pour la Sécurité Sociale des travailleurs indépendants de l'intégralité de ses demandes, si elles étaient réitérées devant la cour,

- condamner la Caisse Locale Déléguée pour la Sécurité Sociale des travailleurs indépendants à restituer à la SA AXA France IARD la somme de 8 268,17 euros perçue au titre de l'exécution provisoire, outre intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2022, date du paiement,

- condamner Mme [X] [P] à payer à la SA AXA France IARD la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700,

- la condamner aux entiers dépens et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, la SCP Vignancour associés pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.



Suivant conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 25 juillet 2022, la CPAM du Puy-de-Dôme, venant aux droits de la Caisse Locale Déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, venant elle-même aux droits de la Caisse RSI Auvergne, demande à la cour, au visa des articles 376-1 et R.315-2 du code de la sécurité sociale, 1231 du code civil, 1 de l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022, de :

- confirmer le jugement,

- subsidiairement, en cas d'infirmation sur la responsabilité du docteur [S] et des préjudices soufferts par Mme [P] :

- condamner solidairement le docteur [S] et son assureur AXA France IARD à lui verser la somme de 9 461,94 euros relative aux prestations versées à Mme [P], son assurée,

- juger que cette somme portera intérêts au taux légal à compter des premières écritures de la CPAM du Puy-de-Dôme,

- en toute hypothèse, condamner solidairement le docteur [S] et son assureur AXA France à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Le docteur [N] [S], à qui la déclaration d'appel a été signifiée à personne par acte du 28 décembre 2021, n'a pas constitué avocat.



Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l'exposé complet de leurs prétentions et moyens.



La procédure a été clôturée par ordonnance du 23 février 2023.



Motivation de la décision



1/ Sur les fautes du docteur [S]



Aux termes de l'article L.1142-1 du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.



L'engagement de la responsabilité du médecin est subordonné à la preuve d'une faute, qui peut résulter d'une imprudence, d'une négligence ou d'une inattention commise dans l'accomplissement de l'acte médical, d'un préjudice et d'un lien de causalité certain entre la faute et le préjudice.



L'appelante rappelle que l'expert judiciaire a mis en évidence de la part du docteur [S] les fautes suivantes qui sont, selon elle, parfaitement caractérisées :

- une faute pré-opératoire par défaut d'information,

- une faute dans l'exécution de l'acte médical,

- une faute de surveillance dans la non-prise en compte des complications de l'intervention,

- une faute de diagnostic sur les conséquences de la complication de l'intervention.



La compagnie AXA rétorque que, s'agissant de l'obligation d'information en phase pré-opératoire, elle a nécessairement été délivrée par le docteur [S] qui pratiquait très fréquemment cette opération. L'appelante a reconnu qu'un entretien individuel avait eu lieu le 8 octobre 2008 et qu'il avait duré une vingtaine de minutes. La production d'un écrit n'est pas nécessaire pour rapporter cette preuve.

S'agissant de l'obligation d'information en phase post-opératoire, le docteur [S] l'a respectée puisque le jour de l'intervention, 28 octobre 2008, il a envoyé le compte-rendu d'intervention au dentiste traitant de l'appelante et chargé à ce titre d'assurer le suivi. Le docteur [S] a également revu sa patiente 20 jours après l'intervention. Il a informé la patiente de ce qu'un germe avait été laissé, ainsi qu'elle le reconnaît elle-même, et l'a dirigée vers de docteur [K], spécialiste de ce genre de problème.

En ce qui concerne le geste chirurgical, la compagnie estime qu'il s'agit d'un aléa thérapeutique car le risque qui s'est réalisé, à savoir la fuite du germe, fait partie des risques inhérents à cette intervention.

Le docteur [S] a parfaitement assuré la surveillance et le suivi car il résulte du compte-rendu opératoire qu'il avait préconisé une radio de contrôle et de revoir la patiente.



Sur ce :

- s'agissant du manquement au devoir d'information, il appartient au professionnel de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée au patient dans les conditions prévues par cet article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.

En l'espèce, le docteur [S] n'est pas représenté à la procédure de sorte qu'il ne peut rapporter cette preuve.

Par ailleurs, il n'est pas démontré par les autres éléments du dossier qu'il aurait informé la patiente sur les conséquences de l'intervention et ses risques fréquents ou graves normalement prévisibles.

L'expert relève d'ailleurs en page 13 de son rapport que le docteur [S] 'n'a pas informé Mlle [P] des risques inhérents à cette chirurgie' et qu'il y a eu un 'manque d'information sur les complications potentielles de l'intervention'.

Le fait que Mme [P] ait bénéficié d'un entretien préalable à l'intervention d'une vingtaine de minutes ou encore que le docteur [S] soit un spécialiste de cette intervention ne suffit pas à apporter la preuve de la délivrance de cette information.

Le défaut d'information est donc caractérisé.



- s'agissant de l'erreur technique lors du geste chirurgical, l'expert relève en page 13 de son rapport ceci : 'Nous ne pouvons établir si la projection du germe 28 est liée à une maladresse ou un excès de confiance ou d'inattention et/ou de précipitation. Il ne s'agit pas d'un aléa thérapeutique mais bien d'une erreur du Dr [S].' Il évoque plus bas une 'erreur technique lors de l'extraction du germe 28'.

La compagnie AXA produit des fiches d'informations relatives à l'extraction des dents de sagesse élaborées par plusieurs praticiens ainsi que la thèse d'un dentiste dont il résulte que le glissement de la dent dans la fosse ptérygo-maxillaire fait partie des risques exceptionnels mais possibles. Elle en déduit qu'il s'agit d'un aléa thérapeutique.

Si la frontière entre la faute et l'aléa thérapeutique est parfois ténue, il convient de rappeler qu'en matière de responsabilité médicale, la faute peut résulter d'une imprudence, d'une négligence ou d'une inattention.

Or, il résulte de l'expertise que la faute est en l'espèce caractérisée car au-delà de l'affirmation reprise ci-dessus, l'expert indique en page 19 de son rapport en réponse aux dires que 'parmi les erreurs commises par le Dr [S] dans le traitement de [X] [P], nous intégrons effectivement le fait de ne pas avoir eu recours à une imagerie type scanner ou CBCT qui aurait permis de mieux localiser les germes de dents de sagesse et de mieux conduire le geste opératoire'. Il ajoute en conclusion que 'le choix d'un examen radiologique limité à la radiographie panoramique et l'absence de recours à un scanner ou CBCT, de même que la conduite maladroite de son geste chirurgical sont constitutifs d'une faute au sens médico-légal.' La faute réside ainsi dans la maladresse du geste, précédé d'investigations préalables insuffisantes en terme d'imagerie médicale.



- s'agissant des fautes de surveillance dans la non prise en compte des complications de l'intervention et de la faute de diagnostic sur les conséquences de la complication de l'intervention, l'expert indique en page 13 de son rapport que 'suite à la complication survenue, le Dr [S] aurait dû s'assurer de la position précise du germe par un examen au scanner ou CBCT afin de décider de la suite à donner. Il aurait aussi pu prendre l'avis d'un confrère médecin maxillo-facial pour conseiller au mieux sa jeune patiente. Ce double manquement constitue une erreur du Dr [S]. Ainsi l'intervention du Dr [S] et le suivi de la complication survenue n'ont pas été conformes aux données acquises de la science.' Il qualifie encore cette faute de 'négligence dans le suivi de la complication.'

Dans ses réponses aux dires en page 19, il ajoute que 'suite à la projection de dent de sagesse en direction de la fosse ptérygo-maxillaire, le docteur [S] aurait dû prendre l'avis immédiat d'un chirurgien maxillo-facial car la gestion de cette complication n'est pas de la compétence d'un chirurgien dentiste. Cette négligence constitue une faute de sa part'.

Le fait que le docteur [S] ait informé la patiente de la non-extraction de la dent ne lui permet de s'exonérer de cette faute, laquelle est également caractérisée.



2/ Sur les conséquences des fautes



L'existence de plusieurs fautes imputables au Docteur [S] étant démontrée, il convient de déterminer le préjudice causé à Mme [P] et le lien de causalité entre eux.



L'appelante critique le jugement en ce que, tout en retenant d'une part un défaut d'information pré et post opératoire et d'autre part des fautes techniques dans la réalisation de l'acte et une négligence dans le suivi de la complication, il a cependant retenu seulement une perte de chance.

Elle indique que si un défaut d'information pouvait s'analyser par le passé sur le terrain de la perte de chance, cette faute et devenue autonome et la faute dans la réalisation technique du geste ne peut être analysée comme telle.

Si l'expert retient que, médicalement, l'essentiel des préjudices qu'elle subit découle de l'opération de Lefort, il ne s'agit pas là de la preuve de ce que le préjudice ne serait constitué que d'une perte de chance. En effet, si elle a dû subir cette intervention, c'est pour réparer les dommages causés par l'opération du docteur [S].

Si le docteur [S] n'avait pas commis ces fautes, elle n'aurait pas eu à subir l'opération de Lefort et les complications qui en découlent. En application de la théorie de l'équivalence des conditions, il faut considérer que si le fait fautif à l'origine de la





lésion n'était pas survenu, elle n'aurait pas subi cette seconde intervention. Les suites de cette seconde opération doivent être prises en compte dans l'indemnisation de son préjudice, lequel ne peut être évalué qu'avec un complément d'expertise.



De son côté, l'appelante estime que les préjudices imputables aux manquements du docteur [S] ne sont constitués que des préjudices temporaires avant la seconde intervention effectuée par le docteur [K] outre la nécessité d'avoir recours à cette intervention, sans y englober ses conséquences. Elle conclut ainsi au rejet de la demande de contre-expertise.

S'agissant du diagnostic post-opératoire, elle estime comme l'expert qu'il n'est pas possible de dire si un examen radiologique plus précoce aurait pu, ou non, permettre d'intervenir dans de meilleures conditions. La perte de chance n'est donc pas démontrée.



Sur ce,

- en ce qui concerne le manquement au devoir d'information pré-opératoire, il en résulte pour Mme [P] une perte de chance de refuser l'intervention. L'indemnité qui est due dans ce cas correspond à une fraction des préjudices corporels découlant de la réalisation du risque. Cette fraction est déterminée en fonction de la probabilité qu'une parfaite information aurait conduit la patiente à refuser l'intervention.

L'expert note en page 15 de son rapport que 'la fréquence de survenue d'un échec d'extraction de germe de dent de sagesse maxillaire avec projection en direction de la fosse ptérygo-maxillaire est exceptionnelle'. Il indique encore dans sa conclusion que 'une information plus complète sur les complications exceptionnelles d'extraction de germe de dent de sagesse maxillaire n'aurait pas forcément conduit à renoncer à ce traitement chirurgical nécessaire.' D'ailleurs, l'appelante ne prétend pas que mieux informée sur les risques exceptionnels d'une telle opération, elle y aurait renoncé. La perte de chance n'est donc pas caractérisée.



- en ce qui concerne l'erreur technique lors du geste chirurgical, l'expert indique en page 13 de son rapport que 'le choix d'une intervention à type Lefort I et les conséquences indirectes de l'échec d'extraction du germe 28 ne sont pas imputables au Dr [S]. En page 15, il écrit que 'les seules conséquences directes et certaines des erreurs du Dr [S] sont les suites douloureuses en attente de réintervention et la nécessité de cette réintervention du fait de l'échec du premier geste.'

Selon la théorie de l'équivalence des conditions dont se prévaut l'appelante, tous les faits sans lesquels le dommage ne se serait pas produit sont considérés comme en étant la cause. Au contraire, la théorie de la causalité adéquate implique l'identification de la cause adéquate, c'est-à-dire de la cause qui a provoqué le dommage. Généralement la première théorie s'applique dans les régimes de responsabilité pour faute, et la seconde dans les régimes de responsabilité sans faute.

En l'espèce, il est certain que si l'intervention du docteur [S] avait été réalisée correctement, Mme [P] n'aurait pas eu à subir l'intervention dite Lefort I. Cependant, il ne résulte pas des pièces du dossier qu'une telle intervention devait entraîner automatiquement des conséquences dommageables. L'expert souligne d'ailleurs en page 14 de son rapport que 'les conséquences dommageables de cette réintervention (...) n'étaient pas certaines mais possibles'.

En outre dans un premier temps en 2011, l'équipe médicale a décidé de ne pas procéder à une intervention en l'absence de signes cliniques majeurs. Ce n'est qu'en 2014 que la seconde intervention sera préconisée suite à de nouveaux épisodes inflammatoires et infectieux. Cela signifie que la migration du germe dans la fosse ptérygo-maxillaire ne constituait pas forcément une indication pour une intervention de type Lefort I, une telle décision relevant d'une analyse in concreto au regard des troubles présentés et de l'évolution de la situation.

Aussi, le préjudice de Mme [P] consécutif au geste fautif du docteur [S] est constitué par la perte de chance de ne pas avoir à subir une autre intervention dont les conséquences dommageables n'étaient pas certaines.



- en ce qui concerne les fautes de surveillance dans la non prise en compte des complications de l'intervention et de diagnostic sur les conséquences de la complication de l'intervention, l'expert répondant à un dire des parties en page 19 de son rapport précise que le fait de ne pas avoir pris immédiatement l'avis d'un chirurgien maxillo-facial constitue 'une perte de chance pour la patiente', ajoutant que ' a posteriori il ne peut être établi si cet examen précoce aurait permis ou non d'intervenir dans de meilleures conditions.'

Aussi, le préjudice de Mme [P] qui en résulte est constitué par la perte de chance de bénéficier d'un geste précoce et plus simple.



Les pertes de chance ci-dessus déterminées peuvent souverainement être évaluées à hauteur de 50% des préjudices subis in fine par Mme [P], c'est-à-dire postérieurement à l'intervention de type Lefort I.

Cependant, l'expert ne s'étant pas intégralement prononcé sur l'ensemble des préjudices de Mme [P], il convient de lui confier une mission complémentaire comme il sera dit au dispositif du présent arrêt.

Il sera rappelé que l'expert a d'ores et déjà fixé la date de consolidation au 16 février 2015. Il s'agit du seul élément de l'évaluation du préjudice qui sera retenu.

En effet, s'il indique n'avoir chiffré que les préjudices indemnisables par le docteur [S] à savoir les conséquences de la première intervention, il a proposé pour le DFT '20 jours à 30% lié à la réintervention', ce qui interroge sur cette évaluation qui semble bien avoir été faite en tenant compte de la seconde intervention.

Par ailleurs, il a évalué les souffrances endurées à 2,5/7, ne précisant pas davantage à quelle intervention elles se rapportaient, le doute étant permis au regard des observations ci-dessus.

L'évaluation de ces postes de préjudice lui sera donc de nouveau soumise en plus des autres.



Il sera fait droit à la demande de provision de Mme [P] à hauteur de 3 000 euros.



Les autres demandes des parties seront réservées et il sera sursis à statuer sur les autres dispositions du jugement.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et mixte à savoir:

- en dernier ressort s'agissant des dispositions du présent arrêt qui emportent confirmation, infirmation, statuent à nouveau, ordonnent et condamnent,

- avant-dire droit s'agissant des autres dispositions,



Confirme le jugement en ce qu'il a :

- reçu l'intervention volontaire de la Caisse locale déléguée pour la sécurité sociale, et y ajoutant constate que la Caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme vient désormais aux droits de celle-ci,

- déclaré M. [N] [S] responsable du préjudice de perte de chance de Mme [X] [P] pour manque de diligence dans le suivi pré et post chirurgical sur le fondement des articles 1240 du code civil et L.1142-1 et L.1111-2 du code de la santé publique,



Infirme le jugement en ce qu'il a :

- déclaré M. [N] [S] responsable du préjudice de perte de chance de Mme [X] [P] pour manquement à son obligation d'information,



Statuant à nouveau et y ajoutant :

- dit que le défaut d'information retenu contre M. [N] [S] n'a pas causé de préjudice à Mme [X] [P] ;

- déclare M. [N] [S] responsable du préjudice de perte de chance de Mme [X] [P] résultant de son erreur technique dans le geste chirurgical,

- dit que le préjudice de perte de chance de Mme [X] [P] doit être apprécié au regard des conséquences de l'intervention de type Lefort I et qu'il représente 50% des préjudices découlant de cette intervention,



Sursoit à statuer s'agissant des dispositions du jugement qui ont :

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à Mme [X] [P] la somme de 1 893,60 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice de perte de chance

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à la caisse la somme de 5 677,17 euros,

- rejeté les autres demandes de Mme [X] [P],

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer Mme [X] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD à payer à la caisse la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion,

- rejeté la demande d'AXA sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [N] [S] et son assureur la compagnie AXA France IARD aux entiers dépens, comprenant les frais d'instance de référé et d'expertise judiciaire.



Ordonne un complément d'expertise confié au docteur [T] [D], exerçant [Adresse 9] à [Localité 11] avec la mission suivante et étant rappelé que la date de consolidation a déjà été fixée par ses soins au 16 février 2015 :

- convoquer les parties et leurs conseils en les informant de leur droit de se faire assister par un médecin conseil de leur choix ;

- déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec l'accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités scolaires ou professionnelles, ou ses activités habituelles ; si l'incapacité fonctionnelle n'a été que partielle, en préciser le taux ;

- décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation) du fait des blessures subies. Les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés ;

- donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique temporaire (avant consolidation). Le décrire précisément et l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés ;

- chiffrer le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent imputable à l'intervention, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation ;

- donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique permanent ; le décrire précisément et l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit ;

- lorsque la victime allègue un préjudice d'agrément, à savoir l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de sport et de loisir, ou une limitation de la pratique de ces activités, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette limitation et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation ;

- lorsque la victime allègue une répercussion dans l'exercice de ses activités scolaires ou professionnelles, recueillir les doléances, les analyser, les confronter avec les séquelles retenues, en précisant les gestes professionnels rendus plus difficiles ou impossibles ; dire si un changement de poste ou d'emploi apparaît lié aux séquelles ;



Dit que l'expert devra adresser aux parties un document de synthèse, ou pré-rapport,



Dit que l'original du rapport définitif sera déposé en double exemplaire au greffe, tandis que l'expert en adressera un exemplaire aux parties et à leur conseil, avant le 30 octobre 2023, sauf prorogation expresse ;



Fixe à la somme de 750 euros, le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par Mme [X] [P] à la régie d'avances et de recettes de la cour avant le 21 juillet 2023 ;



Dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;



Désigne la présidente de la troisième chambre civile et commerciale pour contrôler les opérations d'expertise ;



Renvoie à l'audience de mise en état du 14 septembre 2023 pour vérification du versement de la consignation.



Condamne la compagnie AXA France IARD à verser à Mme [X] [P] à titre de provision la somme de 3 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;



Réserve les demandes des parties en cause d'appel au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.



Le greffier La Présidente

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