29 juin 2023
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 21/18347

Chambre 1-6

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 29 JUIN 2023



N° 2023/298





N° RG 21/18347



N° Portalis DBVB-V-B7F-BITHP







[V] [Z]

La MACSF - MUTUELLE D'ASSURANCES DU CORPS DE SANTÉ FRANÇAIS





C/



[B] [L]

[I], [U], [S] [L]

Société GÉNÉRATION

Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



-Me Agnès ERMENEUX



-Me Michel MAS













Décision déférée à la Cour :



Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GRASSE en date du 09 Novembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/05556.



APPELANTS



Monsieur [V] [Z]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 13],

demeurant [Adresse 12]



représenté et assisté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE



La MACSF - MUTUELLE D'ASSURANCES DU CORPS DE SANTÉ FRANÇAIS

Société d'assurance mutuelle, Entreprise régie par le Code des Assurances, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège social sis,

demeurant [Adresse 10]



représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE



INTIMES



Monsieur [B] [L]

né le [Date naissance 8] 1983 à [Localité 14],

demeurant [Adresse 5]



représenté et assisté par Me Michel MAS, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Alexia MAS, avocat au barreau de TOULON



Monsieur [I] [L]

né le [Date naissance 2] 1991 à [Localité 11],

demeurant [Adresse 3]



représenté par Me Michel MAS, avocat au barreau de TOULON, substitué par Me Alexia MAS, avocat au barreau de TOULON



SAS GÉNÉRATION

Immatriculée au R.C.S. de QUIMPER sous le numéro 410 069 066,

Assignation en date du 16/02/2022 à personne habilitée. Assignée le 01/04/2022 à personne habilitée,

demeurant [Adresse 4]



Défaillante.



La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR,

Assignation en date du 18/02/2022 à personne habilitée. Assignée le 01/04/2022 à personne habilitée,

demeurant [Adresse 9]



Défaillante.



*-*-*-*-*







COMPOSITION DE LA COUR



L'affaire a été débattue le 17 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.



La Cour était composée de :



Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Anne VELLA, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère



qui en ont délibéré.



Greffier lors des débats : Mme Anne-Marie BLANCO.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023.



ARRÊT



Réputé contradictoire,



Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023,



Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




***







































































FAITS & PROCÉDURE



En octobre 2015, Mme [R] [M] épouse [L] a consulté M. [Z], dentiste, aux fins de réalisation d'un traitement bucco-dentaire. Des douleurs et des pertes osseuses s'en sont suivies, ainsi que la perte d'un implant.



Par ordonnance du 09/05/2018, le juge des référés de Grasse a commis le docteur [P] aux fins d'expertise médicale. Le rapport, déposé le 28/12/2018, a retenu la responsabilité de M. [Z] pour n'avoir pas réalisé d'étude et de plan de traitement avant d'administrer les soins, et pour n'avoir pas réalisé un aménagement osseux et tissulaire avant la pose des implants.



Par acte d'huissier de justice des 22/11, 25/11 et 02/12/2019, Mme [R] [M] épouse [L] a saisi le tribunal judiciaire de Grasse d'une action en réparation de son préjudice corporel dirigée contre M. [Z] et la MACSF.



Mme [R] [M] épouse [L] est décédée en cours d'instance le [Date décès 7]/2021.



MM. [B] et [I] [L], héritiers réservataires, sont volontairement intervenus à l'instance.



Par jugement réputé contradictoire du 09/11/2021, le tribunal judiciaire de Grasse a':

- constaté que Mme [R] [M] épouse [L] est décédée en cours d'instance le [Date décès 7]/2021,

- déclaré MM. [B] et [I] [L] recevables en leur intervention volontaire principale, en leur qualité d'héritiers réservataires de la défunte,

- déclaré M. [V] [Z] responsable des préjudices subis par Mme [R] [M] épouse [L] du fait des fautes commises dans les soins prodigués et du fait du défaut d'information préalable,

- débouté MM. [B] et [I] [L] de leur demande de remboursement des soins inefficaces prodigués par M. [V] [Z], de leur demande de dommages-intérêts au titre du dossier médical incomplet et de leur demande au titre du préjudice moral d'impréparation,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical à verser à MM. [B] et [I] [L], en leur qualité d'héritiers de Mme [R] [M] épouse [L], la somme de 34.507,70 € en réparation de l'entier préjudice subi par leur mère,

- déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance-maladie du Var et à la mutuelle Génération,

- fixé la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie du Var au titre des dépenses de santé à la somme de 547,27 €,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical à verser à MM. [B] et [I] [L], en leur qualite d'héritiers de Mme [R] [M] épouse [L] la somme de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire qui seront distraits, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.



Le tribunal a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime directe :

- dépenses de santé actuelles': 547,27 € (créance de la caisse primaire d'assurance-maladie du Var)

- dépenses de santé futures': 19.299,70 € (dépose des implants 12 et 21, soit 65'% des frais d'aménagement tissulaire, osseux et gingival, pose de 3 implants de 12 à 22, un implant et une couronne supra-implantaire en 13),

- déficit fonctionnel temporaire': 1.008,00 €

- souffrances endurées': 7.000,00 €

- défaut d'information et impréparation': 3.000,00 €

- déficit fonctionnel permanent': 4.200,00 €.



Pour statuer ainsi, le premier juge a considéré notamment que':

- M. [Z] a prodigués à [R] [M] épouse [L] des soins non conformes aux données acquises de la science, ce que l'intéressé ne conteste pas,

- M. [Z] n'a pas correctement informé [R] [M] épouse [L] des soins qu'il allait lui prodiguer et des risques encourus,

- M. [Z] a méconnu ses obligations concernant la tenue et l'actualisation du dossier médical de [R] [M] épouse [L],

- le préjudice d'impréparation invoqué se confond avec le préjudice résultant du défaut d'information et ne peut donc être accueilli,

- les souffrances endurées que le docteur [P] a retenues après la date de consolidation se rattachent en réalité au déficit fonctionnel permanent et sont réparables à ce titre.



Par déclaration du 27/12/2021 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [Z] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Grasse en ce qu'il a':

- déclaré M. [V] [Z] responsable des préjudices subis par Mme [R] [M] épouse [L] du fait des fautes commises dans les soins prodigués et du fait du défaut d'information préalable,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical à verser à MM. [B] et [I] [L], en leur qualité d'héritiers de Mme [R] [M] épouse [L], la somme de 34.507,70 € en réparation de l'entier préjudice subi par leur mère,

- déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance-maladie du Var et à la mutuelle Génération,

- fixé la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie du Var au titre des dépenses de santé à la somme de 547,27 €,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical à verser à MM. [B] et [I] [L], en leur qualite d'héritiers de Mme [R] [M] épouse [L] la somme de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire qui seront distraits, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.



MM. [B] et [I] [L] ont formé appel incident.



PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Aux termes de ses dernières conclusions en réplique notifiées par RPVA le 04/08/2022, auxquelles il est renvoyé par application de l'article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens et sur l'évaluation des préjudices, M. [Z] demande à la cour de':

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de M. [Z],

- le confirmer en ce qu'il a débouté MM. [L] de leurs demandes au titre des soins présentés comme inefficaces, des sommes réclamées au titre du dossier médical presenté comme incomplet, ainsi que du préjudice moral d'impréparation de la patiente,

- le réformer en ce qu'il a condamné M. [Z] et son assureur à payer une somme de 19.299,00 € au titre des dépenses de santé futures en l'état du décès de Mme [L] en cours de procédure,

- débouter en conséquence MM. [L] de leur demande de condamnation de M. [Z] au paiement d'une somme de 19.299,00 € au titre des dépenses de santé futures en l'état du décès de Mme [L],

- le réformer en ce qu'il l'a condamné à payer une somme de 7.000,00 € au titre des souffrances endurées et réduire cette somme à 6.000,00 €,

- le réformer en ce qu'il a alloué aux héritiers de Mme [L] une somme de 4.200,00 € au titre des souffrances liées aux travaux de réhabilitation,

- débouter MM. [B] et [I] [L] de leur appel incident,

- rejeter l'ensemble des demandes de M. [B] et [I] [L] plus amples ou contraires,

- ramener à de plus justes proportions la demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



M. [Z] fait valoir que :

- le poste dépenses de santé futures est sans objet eu égard au décès de Mme [R] [M] épouse [L]'; il est constant en effet que la cour doit évaluer le dommage subi au moment où elle statue'; or, précisément, les travaux de reprise n'avaient pas été réalisés à la date du décès de [R] [M] épouse [L]';

- la preuve d'un lien de cause à effet entre la mauvaise tenue du dossier médical de [R] [M] épouse [L] et le préjudice subi n'est pas rapportée': ce préjudice est purement hypothétique';

- le premier juge a rejeté à juste titre la demande de MM. [L] concernant le remboursement des actes que M. [Z] a effectués, dans la mesure où ils ne prouvent pas que [R] [M] épouse [L] les ait jamais réglés';

- le préjudice d'impréparation allégué se confond avec le préjudice né du défaut d'information.



* * *



Aux termes de leurs dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par RPVA le 20/06/2022 auxquelles il est renvoyé par application de l'article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens et sur l'évaluation des préjudices, MM. [B] et [I] [L] demandent à la cour de':

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel principal de M. [Z] et la MACSF,

- déclarer recevable et fondé leur appel incident, en leur qualité d'héritiers réservataires de Mme [R] [M] épouse [L],

- débouter M. [Z] et la MACSF de l'ensemble de leurs fins, demandes et prétentions,

' confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- constaté que Mme [R] [M] épouse [L] est décédée en cours d'instance le [Date décès 7]/2021,

- déclaré MM. [B] et [I] [L] recevables en leur intervention volontaire principale, en leur qualité d'héritiers réservataires de la défunte,

- déclaré M. [V] [Z] responsable des préjudices subis par Mme [R] [M] épouse [L] du fait des fautes commises dans les soins prodigués et du fait du défaut d'information préalable,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical à verser à MM. [B] et [I] [L], en leur qualité d'héritiers de Mme [R] [M] épouse [L], la somme de 34.507,70 € en réparation de l'entier préjudice subi par leur mère,

- déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance-maladie du Var et à la mutuelle Génération,

- fixé la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie du Var au titre des dépenses de santé à la somme de 547,27 €,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical à verser à MM. [B] et [I] [L], en leur qualite d'héritiers de Mme [R] [M] épouse [L] la somme de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [V] [Z] et la MACSF ' Le Sou Médical aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire qui seront distraits, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

' réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté M. [B] et [I] [L] de leur demande de remboursement des soins inefficaces prodigués par M. [Z], de leur demande de dommages-intérêts au titre du dossier médical incomplet et de leur demande au titre du préjudice moral d'impréparation,

' et, statuant à nouveau, liquider le préjudice comme suit':













Victime





CPAM





Total





Dépenses de santé actuelles



4.895,68 €



547,27 €



5.442,95 €





Déficit fonctionnel temporaire



1.008,00 €







1.008,00 €





Souffrances endurées



7.000,00 €







7.000,00 €





Déficit

fonctionnel permanent



4.200,00 €







4.200,00 €





Défaut d'information



3.000,00 €







3.000,00 €





Préjudice d'impréparation



5.000,00 €







5.000,00 €





Dossier médical incomplet



1.500,00 €







1.500,00 €





Dépenses de santé futures



19.299,70 €

(à titre principal)



2.631,78 €

(à titre subsidiaire)







19.299,70 €

(à titre principal)



2.631,78 €

(à titre subsidiaire)





Total



45.903,38 €

(à titre principal)



29.235,48 €

(à titre subsidiaire)



547,27 €



46.450,65 €

(à titre principal)



29.782,73 €

(à titre subsidiaire)







En conséquence,

- condamner in solidum M. [Z] et la MACSF à verser à M. [B] et [I] [L], en leur qualité d'héritiers de Mme [R] [M] épouse [L] la somme de 45.903,38 € à titre principal, ou à titre subsidiaire la somme de 29.235,46 €, en réparation de l'entier préjudice subi par leur mère,

- condamner in solidum M. [Z] et la MACSF à verser à MM. [B] et [I] [L] la somme de 1.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.



MM. [B] et [I] [L] font valoir les observations suivantes :

- dépenses de santé futures': il y a lieu de confirmer la somme de 19.299,70 € allouée par le premier juge'; à défaut, il convient de pondérer': i) l'espérance de vie de [R] [M] épouse [L] à la date de consolidation le 29/08/2018, soit 75 ans pour une femme de 53 ans née le [Date naissance 6]/1965, par ii) la durée de vie effective post-consolidation jusqu'au décès survenu le [Date décès 7]/2021, soit 19.299,70 € x (3 / 22) = 2.631,78 €';

- défaut d'information': 3.000,00 €. Il est acquis que [R] [M] épouse [L] n'a jamais été informée de la possibilité de bénéficier d'une greffe osseuse autorisant la pose d'implants, et a dû subir la pose de prothèses sur pilotis'; le premier juge lui a accordé à juste titre une somme de 3.000,00 € de dommages-intérêts de ce chef';

- dépenses de santé actuelles': [R] [M] épouse [L] a réglé un montant de 17.742,00 € à MM. [L]'; il lui a restitué un chèque de 10.000,00 €'; la caisse primaire d'assurance-maladie a réglé la somme de 547,47 €'; M. [Z] reste donc lui devoir la somme de 4.895,68 €';

- préjudice d'impréparation': 5.000,00 €. Contrairement aux développements de M. [Z], le préjudice d'impréparation peut se cumuler avec le préjudice né d'un défaut d'information';

- préjudice lié au dossier médical incomplet': 1.500,00 €. Le défaut d'organisation du dossier de Mme [R] [M] épouse [L] a possiblement empêché le docteur [P], expert judiciaire désigné, de caractériser d'autres manquements dans la prise en charge de la patiente.



* * *



Assignée à personne habilitée le 18/02/2022 par acte d'huissier contenant dénonce de l'appel, la caisse primaire d'assurance-maladie du Var n'a pas constitué avocat. Elle a communiqué le montant de ses débours définitifs, soit la somme de 547,27 € correspondant à des frais médicaux.



* * *



Assignée à personne habilitée le 18/02/2022 par acte d'huissier contenant dénonce de l'appel, la mutuelle Génération n'a pas constitué avocat. Elle n'a communiqué aucune créance. MM. [L] indiquent toutefois que la mutuelle a versé des prestations de santé à hauteur de la somme de 2.299,05 €.



* * *



La clôture a été prononcée le 02/05/2023.



Le dossier a été plaidé le 17/05/2023 et mis en délibéré au 29/06/2023.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la nature de la décision rendue':



L'arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.





Sur l'indemnisation du préjudice corporel':



M. [Z] ne conteste pas que sa responsabilité est engagée sur le fondement de l'article L.1142-1 du code de la santé publique.



Le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit, sans qu'il n'en résulte pour elle ni perte ni profit.



L'évaluation doit intervenir au vu des diverses pièces justificatives produites et de l'âge de la victime au moment de la consolidation (53 ans), afin d'assurer la réparation intégrale du préjudice et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 05/07/1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.



Le rapport du docteur [P] contre lequel aucune critique médicalement fondée n'est formulée constitue une base valable d'évaluation des préjudices subis par Mme [R] [M] épouse [L]. L'évaluation du dommage doit être faite au moment où la cour statue.



Sous le bénéfice de ces observations, le préjudice corporel de Mme [R] [M] épouse [L] doit être évalué comme suit.



I. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX



a) préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)



Dépenses de santé actuelles (DSA)': 2.846,32 €



Ce poste est constitué des frais médicaux et pharmaceutiques, frais de transport, massages, appareillage pris en charge par la caisse primaire d'assurance-maladie, soit 547,27 €, et par la mutuelle Génération, soit 2.299,05 €.



MM. [L] font valoir que Mme [R] [M] épouse [L] a réglé de ses deniers la somme de 11.486,00 € suivant facture du 15/12/2015 et de 6.256,00 € suivant facture du 18/12/2015, soit un montant total de 17.742,00 €.



Après imputation des montants servis par la caisse primaire d'assurance-maladie et la mutuelle Génération, et après retranchement d'un montant de 10.000,00 € restituée par M. [Z], MM. [L] entendent voir condamner ce dernier au paiement d'une somme de 4.895,68 €.



Le paiement qui a constitué la contrepartie des soins dentaires a correspondu à l'exécution du contrat et ne peut donner lieu à remboursement. Seules les dépenses de santé consécutives aux soins défectueux'sont indemnisables. Par suite, M. [Z] n'est tenu au paiement d'aucune somme envers Mme [R] [M] épouse [L] ou ses ayants-droits.



b) préjudices patrimoniaux permanents après consolidation



Dépenses de santé futures (DSF)': 0,00 €



Ce poste vise les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation et incluent les frais liés soit à l'installation de prothèses soit à la pose d'appareillages spécifiques nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique.



La caisse primaire d'assurance-maladie du Var n'invoque aucune dépense de cette nature. Le docteur [P] retient en revanche des frais de dépose des implants non fonctionnels encore en place (dents 12 et 21), 65'% des frais d'aménagement tissulaire, osseux et gencive, pour l'augmentation du volume osseux et aménagement des tissus, la pose de trois implants à l'endroit des dents 12 à 22, un implant sur la dent 13 et une couronne supra-implantaire.



Ces prestations ont été devisées par le docteur [F] (dents 11, 12, 13, 21 et 22': 15.499,50 €, dont 1.500,00 € de frais de greffe osseuse) et par le docteur [Y] (dents 31, 32, 41 et 42': 4.174,70 €) mais non réalisées en raison du décès de Mme [R] [M] épouse [L].



L'évaluation du dommage devant être effecutée à la date à laquelle la cour statue, il y a lieu de constater': i) d'une part, qu'aucune dépense effective n'a grevé le patrimoine de Mme [R] [M] épouse [L] et, ii) d'autre part, qu'aucun besoin n'existe plus du fait de son décès prématuré.



II. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX



a) préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)



Déficit fonctionnel temporaire (DFT)': 1.008,00 €



Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence ainsi que le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.



Ce poste de préjudice n'est contesté en appel par aucune des parties.



Souffrances endurées (SE)': 7.000,00 €



Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime. Le docteur [P] mentionne sept interventions sous anesthésie locale ainsi qu'un retentissement psychique important et des troubles de l'élocution. Ce poste sera réparé par l'allocation d'une somme de 7.000,00 €.



b) préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)



Déficit fonctionnel permanent (DFP)': 4.200 €



Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence personnelle, familiale et sociale. Les séquelles conservées, le taux d'incapacité et l'âge de la victime déterminent le quantum de l'évaluation du poste déficit fonctionnel permanent.



Ce poste de préjudice n'est contesté en appel par aucune des parties.



Sur le défaut d'information et le préjudice d'impréparation':



Par application des articles L.1111-2 et R.4127-35 du code de la santé publique, le médecin est tenu de donner à son patient sur son état de santé une information portant sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Délivrée au cours d'un entretien individuel, cette information doit être loyale, claire et appropriée. La charge de la preuve de son exécution pèse sur le praticien, même si elle peut être rapportée par tous moyens.



En l'occurrence, le docteur [P] souligne que Mme [R] [M] épouse [L] n'a signé un consentement le 29/11/2015, c'est-à-dire après la pose des implants, qu'elle n'a pas été informée des conséquences possibles des interventions qu'elle a subies et qu'elle n'a pas non plus été informée des risques de perte osseuse en cas d'échec de la pose des implants. Par ailleurs, il ne lui a pas été donné connaissance, avant la pose des implants, des inconvénients propres aux prothèses sur pilotis (fausse gencive, inconfort) qui représentait dans son cas la seule possibilité sans greffe osseuse préalable. Enfin, M. [Z] n'avait pas prévu de prothèse avec pilotis au moment où Mme [R] [M] épouse [L] a signé le document de consentement aux soins.



Le défaut d'information est réparé au regard des conséquences qu'il a entraînées pour le patient, en l'espèce la perte d'une chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation d'un risque en refusant que l'acte soit pratiqué. La valeur de la chance perdue étant placée sous le signe d'un certain aléa, sa réparation ne peut être égale à la valeur de cette chance si elle s'était réalisée.





La réparation de la perte de chance n'a donc de sens que si la responsabilité du praticien n'a pas été engagée sur le fondement de l'article L.1142-1 du code de la santé publique.



Or, en l'occurrence, Mme [R] [M] épouse [L] a été admise au bénéfice d'une réparation de l'intégralité du préjudice qu'elle a subi, et non d'une simple perte de chance. La réparation de cette dernière est donc sans objet.



En tout état de cause, indépendamment des cas dans lesquels le patient subit une perte de chance du fait d'un défaut d'information, le non-respect par un professionnel de santé de son devoir d'information cause à celui auquel l'information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice moral résultant d'un défaut de préparation aux conséquences d'un tel risque qui, dès lors qu'il est invoqué, doit être réparé, de sorte que ces préjudices distincts peuvent être, l'un et l'autre, indemnisés sur le fondement des articles 16, 16-3 alinéa 2 et 1240 du code civil qui protègent le respect de la dignité de la personne humaine et de l'intégrité du corps humain.



Ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 3.000,00 €.



Sur le préjudice lié au dossier médical incomplet':



MM. [L] ne démontrent pas que l'incomplétude du dossier médical de Mme [R] [M] épouse [L] ait entraîné un préjudice distinct de celui qui a été réparé en raison des manquements professionnels que le docteur [P], expert judiciaire désigné, a en tout état de cause caractérisés à l'encontre de M. [Z]. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.



Récapitulatif de la réparation du préjudice corporel de Mme [R] [M] épouse [L] :













Victime





CPAM 83





Mutuelle Génération





Total





Dépenses de santé actuelles



0,00 €



547,27 €



2.299.05 €



2.846,32 €





Déficit fonctionnel temporaire



1.008,00 €



-



-



1.008,00 €





Souffrances endurées



7.000,00 €



-



-



7.000,00 €





Déficit fonctionnel permanent



4.200,00 €



-



-



4.200,00 €





Défaut d'information



0,00 €



-



-



0,00 €





Préjudice d'impréparation



3.000,00 €



-



-



3.000,00 €





Dossier médical incomplet



0,00 €



-



-



0,00 €





Dépenses de santé futures



0,00 €



-



-



0,00 €





Total



15.208,00 €



547,27 €



2.299.05 €



18.054,32 €







Le préjudice corporel global subi par Mme [R] [M] épouse [L] s'établit ainsi à la somme de 18.054,32 €. Soit, après imputation des débours définitifs des tiers payeurs, un montant d'indemnisation de 15.208,00 € revenant à MM. [B] et [I] [L].



Sur les demandes annexes':



Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime doivent être confirmées.



M. [Z] est débiteur de l'obligation d'indemnisation et succombe partiellement dans ses prétentions. Il supportera la charge des entiers dépens d'appel.



L'équité ne justifie pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La Cour,



Confirme le jugement entrepris, hormis sur le montant de l'indemnisation de la victime et les sommes lui revenant.



Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,



Condamne in solidum M. [Z] et la MACSF à payer à MM. [B] et [I] [L] au paiement des sommes suivantes':

- dépenses de santé actuelles': rejet

- dépenses de santé futures': rejet

- déficit fonctionnel temporaire': 1.008,00 € (mille huit euros)

- souffrances endurées': 7.000,00 € (sept mille euros)

- déficit fonctionnel permanent': 4.200,00 € (quatre mille deux cents euros)

- défaut d'information': rejet

- préjudice d'impréparation': 3.000,00 € (trois mille euros)

- dossier médical incomplet': rejet.



Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Condamne in solidum M. [Z] et la MACSF aux entiers dépens d'appel.



LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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