29 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-14.929

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2023:C200831

Titres et sommaires

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Mesure conservatoire - Saisie conservatoire - Saisie d'avoirs irakiens précédemment gelés - Mise en oeuvre - Conditions - Détermination - Portée

Saisie par la Cour de cassation d'une question préjudicielle portant sur les articles 4, § 1 et 2, et 6 du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (CJUE, 15 décembre 2022, n° C-753/21 et C-754/21) que ces textes doivent être interprétés en ce sens que les fonds et les ressources économiques gelés conformément à ce règlement demeurent, jusqu'à la décision de transfert aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Iraq, la propriété des personnes physiques et morales, des organes et des entités associés au régime de l'ancien président Saddam Hussein, visés par le gel. Il résulte des dispositions des articles 104 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 et 85 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 que le transfert des avoirs gelés au profit du Fonds de développement pour l'Iraq puis de ses mécanismes successeurs, conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 1210/2003 du 7 juillet 2003, s'effectue selon une procédure en deux étapes, destinée à permettre l'exercice de recours par les personnes intéressées et matérialisée par la publication successive de deux arrêtés, le premier établissant la liste des fonds et ressources détenues par les personnes visées et le second énumérant, pour chaque personne concernée, la liste des fonds et ressources économiques transférés. En conséquence, viole les dispositions des articles L. 111-2, L. 211-1, L. 221-1 du code des procédures civiles d'exécution, 4, § 1 et 2, et 6 du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003, la cour d'appel qui, pour valider des actes de conversion de mesures conservatoires, retient que les fonds saisis appartiennent à l'Iraq, alors qu'à défaut de publication d'un arrêté mettant en oeuvre le troisième alinéa de l'article 104 de la loi du 30 décembre 2009 précitée ou de l'article 85 de la loi du 26 juillet 2013 précitée, les fonds et ressources gelés demeurent la propriété des personnes visées par le gel

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Mesures conservatoires - Saisie conservatoire - Saisie d'avoirs irakiens précédemment gelés - Procédure de transfert - Mise en oeuvre - Conditions - Détermination

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Mesures conservatoires - Saisie conservatoire - Saisie d'avoirs irakiens précédemment gelés - Actes de conversion - Mise en oeuvre - Conditions - Détermination

UNION EUROPEENNE - Règlement (CE) n° 1210/2003 du 7 juillet 2003 - Avoirs irakiens précédemment gelés - Procédures civiles d'exécution - Mise en oeuvre - Conditions - Détermination - Portée

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 juin 2023




Cassation partielle
sans renvoi


Mme MARTINEL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 831 FS-B+R

Pourvoi n° V 19-14.929






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 JUIN 2023

La société Montana Management Inc., société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2] (Panama), a formé le pourvoi n° V 19-14.929 contre l'arrêt rendu le 28 février 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Heerema Zwijndrecht BV, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 3] (Pays-Bas),

2°/ à la société BNP Paribas securities services, société en commandite par actions, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La société Heerema Zwijndrecht BV a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Montana Management Inc., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société BNP Paribas securities services, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Heerema Zwijndrecht BV, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 13 juin 2023 où étaient présents Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Durin-Karsenty, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mmes Bohnert, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 28 juin 2018, pourvoi n° 17-12.063), un arrêt de la cour d'appel de La Haye (Pays-Bas) en date du 31 octobre 2000, déclaré exécutoire en France par une ordonnance du président d'un tribunal de grande instance du 31 août 2011, a condamné solidairement l'État d'Irak et la banque centrale d'Irak à payer à la société Heerema Zwijndrecht BV (la société Heerema) une certaine somme.

2. En exécution de cette décision, la société Heerema a fait pratiquer, le 28 juillet 2011, entre les mains de la société BNP Paribas securities services (la banque), une saisie conservatoire de créances et une saisie conservatoire de droits d'associé et de valeurs mobilières à l'encontre de « l'État irakien et ses entités dont les fonds appartiennent à l'Iraq en vertu des résolutions de l'ONU, à savoir Montana Management Inc. ».

3. Les saisies conservatoires ont été respectivement converties en saisie-attribution et saisie-vente les 24 juin 2014 et 24 septembre 2014.

4. Le 12 décembre 2014, la société Montana Management Inc. (la société Montana) a assigné la société Heerema devant un juge de l'exécution en contestation de ces mesures. La banque est intervenue volontairement à l'instance.

5. Par arrêt du 28 février 2019, la cour d'appel de renvoi a infirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a reçu la banque en son intervention volontaire, constaté le désistement de la société Heerema de sa demande en paiement formé à l'encontre de la banque et condamné la société Montana au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et, statuant à nouveau, déclaré la société Montana recevable en sa contestation et validé les actes de conversion à hauteur d'une certaine somme.

6. La société Montana a formé un pourvoi principal contre cet arrêt et la société Heerema, un pourvoi incident.

7. Par un arrêt du 21 décembre 2021 (2e Civ., 2 décembre 2021, pourvoi n° 19-14.929), la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de questions préjudicielles portant sur l'interprétation des articles 4 et 6 du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003.

8. Par un arrêt du 15 décembre 2022 (CJUE, 15 décembre 2022, n° C-753/21 et C-754/21), la CJUE a répondu aux questions préjudicielles.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen dont la première branche n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation et la seconde est irrecevable .

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

10. La société Montana fait grief à l'arrêt de valider les actes de conversion à hauteur de la somme de (6 067 478,19 – 4 391 351,69 =) 1 676 351,69 euros et de la condamner à payer à la société Heerema la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, alors « que selon le règlement (CE) 1210/2003, le gel des fonds ou ressources s'entend de « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuille » ; que selon l'article 6.2 du même texte, les fonds gelés « ne font l'objet d'une levée de gel qu'aux fins de leur transfert aux mécanismes successeurs du Fonds de Développement pour l'Irak mis en place par le gouvernement irakien » ; qu'il s'ensuit que la mesure de gel n'emporte aucune conséquence sur la propriété des fonds visés, celle-ci empêchant précisément et expressément toute modification du droit de propriété sur lesdits fonds dans l'attente de leur transfert aux mécanismes successeurs, de sorte que seul ce transfert opère cession du droit de propriété au profit de l'État irakien ; qu'en jugeant en conséquence que les fonds gelés étaient la propriété de l'État irakien du seul fait de la mesure de gel, la cour d'appel a violé l'article 6 du règlement (CE) 1210/2003. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 111-2, L. 211-1, L. 221-1 du code des procédures civiles d'exécution, les articles 4, § 1 et 2, et 6 du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003 :

11. Il résulte du premier de ces textes que le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ne peut en poursuivre l'exécution forcée que sur les biens de son débiteur.

12. Selon les deuxième et troisième de ces textes relatifs respectivement à la saisie-attribution et à la saisie-vente, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent ou faire procéder à la saisie et à la vente des biens meubles corporels appartenant à son débiteur, qu'ils soient ou non détenus par ce dernier.

13. Aux termes du quatrième de ces textes, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent au précédent gouvernement iraquien, ou à tout organe, entreprise (y compris les sociétés de droit privé dans lesquelles les pouvoirs publics détiennent une participation majoritaire ou de contrôle) ou institution de ce gouvernement désignés par le comité des sanctions et énumérés dans l'annexe III sont gelés dès lors qu'ils se trouvaient hors d'Iraq à la date du 22 mai 2003.
Tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes visées ci-après, désignées par le comité des sanctions et énumérées dans l'annexe IV, ou étant en leur possession ou détenus par elles, sont gelés :
a) l'ancien président [D] [Z] ;
b) des hauts responsables de son régime ;
c) des membres de leur famille proche, ou
d) des personnes morales, des organes ou des entités détenus ou contrôlés directement ou indirectement par les personnes visées au points a), b) et c) ou par des personnes morales ou physiques agissant en leur nom ou selon leurs instructions.

14. Il résulte du cinquième de ces textes que, hors les dérogations prévues, les fonds, ressources économiques et produits des ressources économiques gelés en application de l'article 4 ne font l'objet d'une levée du gel qu'aux fins de leur transfert aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Iraq mis en place par le gouvernement iraquien, selon les conditions énoncées dans les résolutions 1483 (2003) et 1956 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies.

15. Répondant aux questions préjudicielles qui lui étaient renvoyées par l'arrêt du 2 décembre 2021, dans le présent litige, la Cour de justice a dit pour droit :

« L'article 4, paragraphes 2 à 4, et l'article 6 du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil, du 7 juillet 2003, concernant certaines restrictions spécifiques applicables aux relations économiques et financières avec l'Iraq et abrogeant le règlement (CE) n° 2465/1996 du Conseil, tel que modifié en dernier lieu par le règlement (UE) n° 85/2013 du Conseil, du 31 janvier 2013, doivent être interprétés en ce sens que : les fonds et les ressources économiques gelés demeurent, jusqu'à la décision de transfert aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Iraq, la propriété des personnes physiques et morales, des organes et des entités associés au régime de l'ancien président [D] [Z], visés par le gel. »

16. La Cour de justice a indiqué dans les motifs de son arrêt qu'une lecture combinée de l'article 4, paragraphe 2, et de l'article 6 du même règlement fait apparaître deux étapes distinctes consistant, d'une part, en un gel des avoirs et, d'autre part, en un transfert de ces avoirs au Fonds de développement (§ 44).

17. Elle a par ailleurs énoncé que le transfert intervient comme une mesure active de la part des États membres après le gel et ne se fait qu'à la suite de la levée de ce gel conformément aux modalités prévues à cet effet par le règlement (§ 48).

18. Elle en déduit que la mesure de gel n'a pas, à elle seule, d'incidence sur la propriété des avoirs faisant l'objet de cette mesure (§ 51).

19. Dès lors, la question se pose de savoir si le transfert des fonds a été effectué, conformément aux dispositions du règlement précité, par l'effet de dispositions de droit interne.

20. Selon l'article 104 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, les fonds et ressources économiques, au sens des articles 1er et 4 du règlement (CE) n° 1210/2003, du 7 juillet 2003, concernant certaines restrictions spécifiques applicables aux relations économiques et financières avec l'Iraq et abrogeant le règlement (CE) n° 2465/1996 du Conseil, des personnes physiques ou morales figurant sur la liste annexée audit règlement, qui se trouvent sur le territoire ou qui sont détenus par des entités de droit français, sont, conformément audit règlement et en application de la résolution 1483 (2003) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies à sa 4761e séance le 22 mai 2003, relative à l'aide internationale à la reconstruction et au développement de l'Iraq, transférés au Fonds de développement pour l'Iraq, dans les conditions fixées par le présent article.
L'autorité administrative établit par arrêté publié au Journal officiel la liste des fonds et ressources économiques détenus par les personnes physiques ou morales figurant sur la liste mentionnée au premier alinéa. Toute personne physique ou morale, autre que celles figurant sur la liste annexée au règlement (CE) n° 1210/2003, du 7 juillet 2003, précité, qui justifie d'un droit établi, avant le 22 mai 2003, par acte authentique ou par une mesure ou décision judiciaire, administrative ou arbitrale sur les fonds et ressources économiques des personnes listées, ou qui a introduit avant cette date une action visant à obtenir une mesure ou décision judiciaire, administrative ou arbitrale portant sur ces fonds et ressources économiques, dispose d'un délai de deux mois à compter de la publication de cet arrêté pour établir par tout moyen les droits invoqués.
L'autorité administrative publie par arrêté au Journal officiel, pour chaque personne concernée, la liste des fonds et ressources économiques transférés en tenant compte des droits acquis sur ces fonds et ressources économiques ou des procédures de reconnaissance de titre en cours au moment de la publicité prévue au deuxième alinéa, tels qu'ils ont été notifiés.
Les fonds et ressources économiques énumérés par l'arrêté prévu à l'alinéa précédent bénéficient de l'immunité accordée aux biens d'État.
Un décret en Conseil d'État précise, pour chaque catégorie de biens, les modalités particulières de leur transfert.

21. À la suite de la décision du Conseil de sécurité des Nations unies, par la résolution n° 1956 (2010), de faire transférer tous les produits du Fonds de développement pour l'Iraq au compte ou aux comptes des mécanismes successeurs du gouvernement iraquien et de clôturer le Fonds de développement pour l'Iraq le 30 juin 2011 au plus tard, l'article 104 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 a été abrogé par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013.

22. Selon l'article 85 de cette dernière loi, les fonds et ressources économiques, au sens des articles 1er et 4 du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003 concernant certaines restrictions spécifiques applicables aux relations économiques et financières avec l'Irak et abrogeant le règlement (CE) n° 2465/1996 du Conseil, des personnes physiques ou morales figurant sur la liste fixée par les annexes III et IV du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003 précité, qui se trouvent sur le territoire français ou qui sont détenus par des entités de droit français sont, conformément au même règlement et en application des résolutions 1483 (2003) du Conseil de sécurité des Nations unies du 22 mai 2003 et 1956 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies du 15 décembre 2010, relatives à l'aide internationale à la reconstruction et au développement de l'Irak, transférés aux mécanismes successeurs du Fonds de développement pour l'Irak, dans les conditions fixées au présent article.
L'autorité administrative établit, par arrêté publié au Journal officiel, la liste des fonds et ressources économiques détenus par les personnes physiques ou morales figurant sur la liste mentionnée au premier alinéa. Toute personne physique ou morale, autre que celles figurant sur la liste fixée par les annexes III et IV du règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003 précité, qui justifie d'un droit établi, avant le 22 mai 2003, par acte authentique ou par une mesure ou décision judiciaire, administrative ou arbitrale sur les fonds et ressources économiques des personnes listées ou qui a introduit avant cette date une action visant à obtenir une mesure ou décision judiciaire, administrative ou arbitrale portant sur ces fonds et ressources économiques dispose d'un délai de deux mois à compter de la publication de cet arrêté pour établir, par tout moyen, les droits invoqués.
L'autorité administrative publie, par arrêté au Journal officiel, pour chaque personne figurant sur la liste mentionnée aux premier et deuxième alinéas, la liste des fonds et ressources économiques transférés en tenant compte des droits acquis sur ces fonds et ressources économiques ou des procédures de reconnaissance de titre en cours au moment de la publicité prévue au deuxième alinéa, tels qu'ils ont été notifiés.
Les fonds et ressources économiques énumérés par l'arrêté prévu au troisième alinéa bénéficient de l'immunité accordée aux biens d'État.
Un décret en Conseil d'État précise, pour chaque catégorie de biens, les modalités particulières de leur transfert.

23. Il résulte des dispositions des articles 104 et 85 précités que le transfert des avoirs gelés au profit du Fonds de développement pour l'Iraq puis de ses mécanismes successeurs s'effectue selon une procédure en deux étapes, destinée à permettre l'exercice de recours par les personnes intéressées et matérialisée par la publication successive de deux arrêtés, le premier établissant la liste des fonds et ressources détenues par les personnes visées et le second énumérant, pour chaque personne concernée, la liste des fonds et ressources économiques transférés.

24. Un arrêté du 25 mai 2011 « mettant en œuvre le deuxième alinéa de l'article 104 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 » et un arrêté du 31 juillet 2017 « mettant en œuvre l'alinéa 2 de l'article 85 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 » ont été publiés au Journal officiel, respectivement, les 2 juin 2011 et 4 août 2017.

25. Ces arrêtés, qui sont destinés à permettre l'exercice de recours par les personnes intéressées, répondent à la première étape de la procédure de transfert prévue aux articles 104 et 85 précités.

26. Pour valider les actes de conversion, l'arrêt retient, d'abord, que selon le paragraphe 23 de la résolution 1483 (2003), les fonds gelés conformément à l'article 4, § 2, du règlement n° 1210/2003 du 7 juillet 2003 se trouvaient sur des comptes dont les organes de l'État irakien n'étaient plus directement ou indirectement les bénéficiaires, mais qui étaient constitués d'actifs qui, du fait de la confusion entre le patrimoine de l'État irakien et celui de ses plus hauts dirigeants, résultaient de la captation et du détournement frauduleux de ses richesses au profit de certaines personnes ou entités ou étaient affectés à des personnes et/ou entités distinctes de l'État irakien, mais sous le contrôle effectif de ses anciens dirigeants et ce, afin de servir de paravent aux activités officieuses de l'État irakien, de sorte que les fonds sont présumés appartenir à l'État irakien.

27. L'arrêt retient, ensuite, que le Comité du Conseil de sécurité des Nations unies a, le 26 avril 2004, listé la société Montana en tant qu'entité proche du régime irakien dont il convenait de geler les actifs et que cette société ne soutient pas avoir déposé une demande de radiation à l'encontre de ce « listage » auprès du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité des Nations unies.

28. Il retient, en outre, que l'article 4 du règlement n° 1210/2003 qui met en oeuvre la résolution n° 1483 (2003) a prescrit le gel des fonds de personnes et d'entités listées dans ses annexes III et IV, parmi lesquelles la société Montana, et que cette dernière ne soutient pas plus avoir déposé auprès du Conseil de l'Union européenne une demande ou un recours gracieux visant à obtenir son « délistage » ni un recours contentieux auprès de la Cour de justice des Communautés européennes visant à contester une décision européenne de gel, peu important, à cet égard, le recours qu'elle a exercé devant la Cour européenne des droits de l'homme à l'encontre d'une décision l'opposant au gouvernement fédéral suisse.

29. L'arrêt en déduit que les fonds de la société Montana, laquelle ne soutient pas avoir exercé, dans le délai de deux mois qui lui était ouvert à compter de la publication de cet arrêté, un recours contre cette décision, appartiennent à l'État irakien.

30. En statuant ainsi, alors qu'à défaut de publication, au jour de la conversion des saisies conservatoires, d'un arrêté mettant en œuvre le troisième alinéa de l'article 104 de la loi du 30 décembre 2009 précitée ou de l'article 85 de la loi du 26 juillet 2013 précitée, les fonds et ressources gelés demeuraient la propriété de la société Montana, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

31. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

32. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

33. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 11 et 30, qu'en l'absence de publication d'arrêtés mettant en œuvre le troisième alinéa, respectivement, de l'article 104 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 et de l'article 85 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, la saisie conservatoire de créances et la saisie conservatoire de droits d'associé et de valeurs mobilières, pratiquées sur des biens n'appartenant pas au débiteur visé dans le titre exécutoire, ainsi que leurs actes de conversion en saisie-attribution et saisie-vente, sont entachés de nullité.

34. Dès lors, il convient de prononcer la nullité des actes de conversion des 24 juin et 24 septembre 2014, ainsi que la nullité de la saisie conservatoire de créances et de la saisie conservatoire de droits d'associé et de valeurs mobilières du 28 juillet 2011, laquelle anéantit les mesures de saisie précitées et rend sans objet la demande de mainlevée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, sauf, d'une part, en ce qu'il confirme partiellement le jugement en tant qu'il a reçu la société BNP Paribas securities services en son intervention volontaire, constaté le désistement de la société Heerema Zwijndrecht BV de sa demande en paiement formé à l'encontre de la société BNP Paribas securities services et condamné la société Montana Management Inc. au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et, d'autre part, en ce qu'il déclare la société Montana Management Inc. recevable en sa contestation, l'arrêt rendu le 28 février 2019 par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement ce qu'il rejette l'exception d'irrecevabilité présentée par la société Heerema Zwijndrecht BV à l'encontre de la société Montana Management Inc. ;

Infirme le jugement en ce qu'il rejette la demande de nullité de la saisie conservatoire pratiquée le 28 juillet 2011 par la société Heerema Zwijndrecht BV entre les mains de la société BNP Paribas securities services et rejette toute demande plus ample ou contraire ;

Statuant à nouveau :

Prononce la nullité de la saisie conservatoire de créances et de la saisie conservatoire de droits d'associé et de valeurs mobilières du 28 juillet 2011 et des actes de conversion des 24 juin 2014 et 24 septembre 2014 ;

Dit que la demande de mainlevée est sans objet ;

Condamne la société Heerema Zwijndrecht BV aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Heerema Zwijndrecht BV et la société BNP Paribas securities services, tant devant la cour d'appel de Paris que devant la Cour de cassation, et condamne la société Heerema Zwijndrecht BV à payer à la société Montana Management Inc., au titre de l'instance suivie devant la cour d'appel de Paris et celle suivie devant la Cour de cassation, la somme de 5 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille vingt-trois.

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