28 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.940

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00469

Titres et sommaires

CONCURRENCE - Transparence et pratiques restrictives - Rupture brutale des relations commerciales - Domaine d'application - Contrat conclu par un syndicat de copropriétaires commerçants - Prestation de service pour les besoins de l'activité commerciale de ses membres

Il résulte de l'article L. 410-1 du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021, que les règles définies au livre IV de ce code s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services. Dès lors, un syndicat de copropriétaires commerçants, qui a conclu un contrat ayant exclusivement pour objet d'assurer une prestation de service pour les besoins de l'activité commerciale de ses membres, a, bien qu'il soit de nature civile, entretenu une relation commerciale avec sa cocontractante, entrant dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce


CONCURRENCE - Transparence et pratiques restrictives - Rupture brutale des relations commerciales - Dommage - Réparation - Préjudice indemnisable - Marge brute escomptée - Modalités de calcul - Détermination - Portée

Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce que le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période. C'est donc à bon droit qu'une cour d'appel retient que l'assiette de l'indemnisation de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ne pouvait comprendre l'équivalent du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé pendant le préavis, mais celui de la marge brute, qu'elle a évaluée au regard des éléments du dossier

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 juin 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 469 FS-B

Pourvoi n° X 21-16.940




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 28 JUIN 2023

Le syndicat des copropriétaires du centre commercial de [Localité 5], dont le siège est [Adresse 4], représenté par son syndic, la société Sudeco, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 21-16.940 contre l'arrêt rendu le 26 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Securitas France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat du syndicat des copropriétaires du centre commercial de [Localité 5], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Securitas France, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2021), le 27 septembre 2012, le syndicat des copropriétaires du centre commercial de [Localité 5] (le syndicat), représenté par son syndic, la société Sudeco, a conclu avec la société Securitas France (la société Securitas) un contrat par lequel celle-ci était chargée de la mise en œuvre des prestations de sécurité incendie, surveillance et gardiennage de son site.

2. Ce contrat prévoyait qu'il devait prendre effet le 3 octobre 2012, pour une durée d'un an tacitement reconductible pour une période indéterminée. Il pouvait ensuite être résilié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en respectant un préavis de trois mois.

3. Soutenant que la société Sudeco avait, au nom du syndicat, par lettre du 9 mars 2015, résilié le contrat à compter du 13 avril suivant, la société Securitas les a assignés en réparation pour non-respect du préavis contractuel et rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le syndicat fait grief à l'arrêt de dire qu'il a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Securitas et, en conséquence, de le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros de dommages et intérêts, alors « que la qualité de commerçants des membres d'un syndicat de copropriétaires ne fait pas perdre sa personnalité civile à ce dernier ni conférer une nature commerciale à la relation contractuelle qu'il entretient avec un prestataire de services, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ; qu'en retenant néanmoins que c'est dans l'intérêt de l'exploitation des établissements de chacun des commerçants des membres du syndicat de copropriétaires que les prestations de services de la société Securitas ont été souscrites, pour juger que la relation de ce syndicat avec la société Securitas était commerciale au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et le condamner à indemniser sa rupture brutale, sans constater que le syndicat, doté de la personnalité civile et chargé de la gestion de l'immeuble, aurait lui-même une activité économique de production, de distribution ou de services, la cour d'appel a violé la disposition légale précitée, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, ensemble l'article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article L. 410-1 du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021, que les règles définies au livre IV de ce code s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services.

6. Après avoir relevé que la société Securitas avait conclu avec le syndicat des copropriétaires commerçants du centre commercial de [Localité 5] un contrat pour la sécurité incendie, la surveillance et le gardiennage de son site, l'arrêt retient que ce syndicat a agi dans l'intérêt de l'exploitation des établissements commerciaux de chacun de ses membres et en déduit que la nature civile de sa personnalité ne fait pas écran à la nature commerciale de la relation des parties au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte qu'il avait conclu un contrat ayant exclusivement pour objet d'assurer une prestation de service pour les besoins de l'activité commerciale de ses membres, la cour d'appel a exactement retenu que le syndicat, bien que de nature civile, avait entretenu une relation commerciale avec la société Securitas, entrant dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° précité.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. Le syndicat fait le même grief à l'arrêt, alors « que seul le préjudice causé par le caractère brutal de la rupture doit être indemnisé et non celui résultant de la rupture elle-même ; qu'en allouant des dommages et intérêts d'un montant de 6 000 euros à la société Securitas correspondant à la marge brute dont elle a été privée pendant la période d'insuffisance du préavis, l'indemnisant ainsi de la perte subie en raison de la rupture du contrat et non du préjudice causé par le caractère brutal de cette rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce que le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période.

11. Après avoir retenu, d'une part, que le syndicat avait brutalement rompu la relation commerciale qu'il entretenait avec la société Securitas depuis deux ans et demi, d'autre part, qu'au regard de cette durée, le préavis aurait dû être de quatre mois, l'arrêt en déduit à bon droit que l'assiette de l'indemnisation de la rupture brutale de cette relation commerciale ne pouvait comprendre l'équivalent du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé pendant ces quatre mois, comme le prétend la société Securitas, mais celui de la marge brute, qu'il a évaluée au regard des éléments du dossier.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. Le syndicat fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Securitas la somme de 57 410,78 euros de dommages et intérêts pour non-respect du délai contractuel de préavis, alors « qu'il soutenait avoir respecté le délai de préavis prévu dans le contrat conclu avec la société Securitas, le 27 septembre 2012, en se prévalant expressément de sa production numéro 3, à savoir une lettre recommandée avec avis de réception du 29 décembre 2014 adressée à la société Securitas pour dénoncer la convention conclue entre eux pour son terme contractuel du 31 mars 2015 ; qu'en retenant que le délai contractuellement prévu n'avait pas été respecté après avoir relevé que le syndicat des copropriétaires soutenait avoir respecté ce délai en mettant aux débats un avis de réception du 31 mars 2014 dénonçant le contrat pour le centre commercial "Géant Casino Cap de Cres à Millau" , non celui conclu pour le centre commercial de [Localité 5], la cour d'appel a dénaturé les conclusions et les bordereaux de communication de pièces du syndicat, visant un courrier relatif au contrat qu'il avait lui-même conclu avec la société Securitas et non celui conclu pour le centre commercial de Cap de Cres avec cette société, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

14. Pour condamner le syndicat à payer à la société Securitas une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour n'avoir pas respecté le délai contractuel de préavis, l'arrêt, après avoir relevé que celui-ci n'avait produit qu'un avis de réception d'une lettre dénonçant à la société Securitas le contrat pour le centre commercial « Géant Casino Cap de Cres à [Localité 3] », retient que cette pièce ne permet pas d'établir que le contrat en cause, conclu pour des prestations au nom et au profit du centre commercial de [Localité 5], avait été régulièrement dénoncé dans le délai convenu entre les parties.

15. En statuant ainsi, alors que les conclusions du syndicat visaient une pièce n° 3 intitulée « LRAR du 29 décembre 2014 adressée par Sudeco ès qualité de syndic du Syndicat de copropriétaires du Centre commercial de Saint-Michel sur Orge, à la SARL Securitas dénonçant la convention pour son terme contractuel du 31 mars 2015, 2 feuillets », cette pièce étant mentionnée en tant que telle, d'une part, dans la liste des pièces visées figurant en annexe de ses conclusions, d'autre part, dans le « Bordereau récapitulatif des pièces communiquées à annexer aux dernières conclusions du 6 janvier 2021 », la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ces conclusions ainsi que, par omission, de ces bordereaux, a violé le principe susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

16. Le syndicat fait le même grief à l'arrêt, alors « que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'en allouant des dommages et intérêts d'un montant de 57 410,78 euros à la société Securitas correspondant au chiffre d'affaires dont elle a été privée durant deux mois en raison du non-respect du délai de préavis contractuel, quand le montant de l'indemnisation devait correspondre à la perte de marge brute subie par la société Securitas, soit à la différence hors taxe entre le prix de ses services et le coût de revient de ces services qu'elle n'avait finalement pas eu à supporter, le contrat n'ayant pas été exécuté pendant les deux mois en cause, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (devenu l'article 1231-2 du même code). »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1149, devenu 1231-2, du code civil :

En application de ce texte, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

17. Pour fixer le montant des dommages et intérêts au paiement duquel le syndicat est condamné, pour le non-respect du délai de préavis contractuel, l'arrêt, après avoir relevé que la société Securitas a produit des factures des prestations qu'elle a réalisées pour le syndicat durant les trois mois qui ont précédé la rupture des relations contractuelles, retient qu'il doit lui être alloué, en réparation du préjudice subi, la somme correspondant au chiffre d'affaires qu'elle aurait perçu si elle n'avait pas été privée de deux mois de préavis.

18. En statuant ainsi, alors que le préjudice subi par la société Securitas en raison du non-respect du préavis contractuel consiste en la perte de la marge brute escomptée, dans les conditions précisées au paragraphe 10, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement en ses dispositions condamnant le syndicat des copropriétaires du centre commercial de [Localité 5] à payer à la société Securitas France la somme de 57 410,78 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du délai contractuel de préavis, l'arrêt rendu le 26 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Securitas France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Securitas France et la condamne à payer au syndicat des copropriétaires du centre commercial de [Localité 5] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.

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