22 juin 2023
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 19/18450

Chambre 3-1

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 22 juin 2023



N°2023/95













Rôle N° RG 19/18450 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFH2X







Société MUTUA DE SEGUROS DE ARMADORES DE PESCA DE ESPANA

Société PESCANOVA ESPANA SLU





C/



SA CMA CGM



Société NILE DITCH AFRICA LINE BV











Copie exécutoire délivrée le :

à :



Me Martine DESOMBRE



Me Joseph MAGNAN



Me Françoise BOULAN





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 21 Juin 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01084.





APPELANTES



Société MUTUA DE SEGUROS DE ARMADORES DE PESCA DE ESPANA, dite MUTUAPESCA,

société de droit espagnol, dont le siège social est sis [Adresse 2] (ESPAGNE), prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège



représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Béatrice WITVOET, avocat au barreau de PARIS, plaidant



Société PESCANOVA ESPANA SLU

Société de droit espagnol, dont le siègé social est sis [Adresse 5] (ESPAGNE), prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège



représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Béatrice WITVOET, avocat au barreau de PARIS, plaidant





INTIMEE



SA CMA CGM,

dont le siègé social est sis [Adresse 1] prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège



représentée par Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Fabien D'HAUSSY, avocat au barreau de MARSEILLE





DEFENDERESSE SUR APPEL PROVOQUE



Société NILE DITCH AFRICA LINE BV,

dont le siègé social est sis [Adresse 6] (PAYS BAS), prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège



représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Christophe NICOLAS, avocat au barreau de PARIS, plaidant





*-*-*-*-*







COMPOSITION DE LA COUR



En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Février 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre, et Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère.



Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.





Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère







Greffière lors des débats : Madame Marie PARANQUE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 22 Juin 2023.







ARRÊT



contradictoire,



Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023.



Signé par Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
























































EXPOSÉ DU LITIGE





La société de droit espagnol Pescanova España SLU a acquis de la société Associao Pesqueira Edipesca UEE des fruits de mer congelés. La société Pescanova est assurée auprès de la société de droit espagnol Mutuapesca pour le transport de cette marchandise.



Le 17 mai 2016, la SA CMA CGM a mis à disposition de la société Associao Pesqueira deux conteneurs « refeer » n°CGMU935050/6 et n°CGMU503389/7 dans lesquels la marchandise a été empotée.



Le 8 juin 2016, la SA CMA CGM a émis un connaissement pour le transport de ces deux conteneurs du port de [4] en Angola jusqu'au port de [3] au Portugal, sur le navire Carlotta Star, opéré par la société Nile Dutch, avec laquelle elle est liée par un Slot Charter Agreement.



Le 22 juin 2016, lors d'un transbordement du chargement réalisé à Tanger, la SA CMA CGM a avisé la société Pescanova d'un incident survenu à bord.



Les parties ont convenu de réaliser une expertise contradictoire au port de déchargement de [3]. Il a été constaté des avaries à la marchandise.



La société Pescanova a été indemnisée par son assureur et a conservé à sa charge la franchise d'un montant de 1 500 euros pour chacun des conteneurs.



Les sociétés Mutuapesca et Pescanova ont vainement mis en demeure la SA CMA CGM de les rembourser par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 décembre 2016 puis ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Marseille, la SA CMA CGM qui a appelé en garantie la société Nile Dutch Africa Line.



Par jugement du 21 juin 2019, le tribunal de commerce de Marseille :

- a admis la recevabilité de l'action de la société Pescanova, destinataire au connaissement,

- a admis la recevabilité de l'action de l'assureur, légalement subrogé dans les droits et actions de son assuré au regard du droit espagnol applicable,

- a rappelé que le transporteur est, aux termes de la convention de Bruxelles, présumé responsable des avaries à la marchandise, sauf cas exonératoires,

- a énoncé que le rapport d'expertise contradictoire mentionnait que les causes des avaries constatées résultaient d'un manque de réfrigération de la marchandise entre le 8 et le 21 juin 2016, période pendant laquelle les deux conteneurs n'ont pas été banchés à bord du navire Carlotta.

- a décidé que Nile Dutch pouvait avec raison soutenir qu'elle n'avait pas branché en raison des consignes de température de CMA CGM qui indiquaient température égale à 0 minima -18 et maxima +18,

- a décidé que CMA CGM avait, à raison donné une instruction de température neutre puisqu'il n'y avait pas de consigne de température sur le connaissement, préconisée par le chargeur,

- en a déduit qu'il y avait une faute du chargeur à savoir une omission de sa part relative à la température de conservation de la marchandise et que cela constituait un cas exonératoire de responsabilité prévu à l'article 4.2 (i) de la convention de Bruxelles

- débouté les sociétés Pescanova et Mutuapesca de toutes leurs demandes et mis hors de cause la société Nile Dutch.



Les sociétés de droit espagnol Pescanova et Mutuapesca ont interjeté appel par déclaration du 3 décembre 2019.







Par conclusions du 21 mai 2021, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, les sociétés de droit espagnol Pescanova España SLU (la société Pescanova) et Mutua de Seguros de Armadores de Pesca de España dite Mutuapesca demandent à la cour de :


Confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu les sociétés Mutuapesca et Pescanova España recevables à agir à l'encontre de la société CMA CGM ;

Infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes à l'encontre de la société CMA CGM et condamner cette dernière à payer à la société Mutuapesca la somme de 408.323,87€ et à la société Pescanova España la somme de 3.000 €, sauf à parfaire, ces sommes étant augmentées des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 décembre 2016 ;

Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamner la société CMA CGM à payer aux requérantes la somme de 8.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant opposition ou appel et sans caution (sic).






Par conclusions du 30 juillet 2020, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SA CMA CGM demande à la cour de :


Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 21 juin 2019, en ce qu'il a déclaré recevable l'action des sociétés Mutuapesca et Pescanova,

Dire ct juger, que la société Pescanova ne rapporte pas la preuve de son intérêt et qualité à agir,

Dire et juger, que la société Mutuapesca ne rapporte pas la preuve d'être légalement ou conventionnellement subrogée dans les droits de son assuré,


Sur le fond


Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 21 juin 2019 en ce qu'il a retenu une faute du chargeur Pescanova,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 21 juin 2019 en ce qu'il a retenu que la faute du chargeur constituait un cas exonératoire de responsabilité du transporteur maritime.

Dire et juger, pour le cas ou 1e jugement dont appel serait réformé et une quelconque condamnation serait, par impossible, prononcée à l'encontre de la société CMA CGM, que la société Nile Dutch Africa Line BV devra intégralement la garantir de cette condamnation en principal, intérêts et frais,

Condamner les sociétés Mutua de Seguros de Armadores de Pesca de España (Mutuapesca) et Pescanova España S.L et/ ou la société Nile Dutch Africa Line BV à régler à la société CMA CGM la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.




Par conclusions du 4 janvier 2021, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société de droit néerlandais Nile Dutch Africa Line Bv demande à la cour de :

1) Sur l'irrecevabilité de l'action des demanderesses principales :

- Infirmer le jugement du tribunal de Commerce de Marseille en date du 21 juin 2019 en ce qu'il a déclaré recevable l'action des demanderesses principales et statuant à nouveau :

- Dire et juger que la société Pescanova ne démontre pas son intérêt à agir ;

- Dire et juger que la compagnie Mutuapesca n'a pas non plus intérêt à agir ;

- Déclarer en conséquence irrecevable l'action des sociétés Pescanova et Mutuapesca,

2) Sur le fond :

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 21 juin 2019 en ce qu'il a retenu une faute du chargeur Pescanova, exonérant le transporteur maritime de toute responsabilité,

- Dire et juger que le rapport d'expertise de la société Eurovet n'est pas opposable à la société Nile Dutch ;

- Dire et juger en conséquence que la preuve du dommage n'est pas rapportée ;



- Dire et juger en tout état de cause que le préjudice doit être limité à 302 390, 09 euros,

3) A titre subsidiaire sur le mal fondé de l'appel en garantie de CMA CGM :

- Dire et juger que la preuve n'est pas rapportée que le dommage serait survenu pendant le transport confié à la société Nile Dutch, laquelle bénéficie d'une présomption de livraison conforme ;

- Dire et juger que la société CMA CGM a transmis à la société Nile Dutch des instructions de transport erronées ;

- Dire et juger que ni le connaissement ni le manifest Reefer n'indiquent que la température de transport devait être de -18 °C,

- Dire et juger que la société CMA CGM a reconnu en cours de transport ne pas savoir s'il s'agissait de conteneurs Dry ou Reefer, ni connaître la température de transport ;

- Dire et juger que le dommage résulte d'une faute de la société CMA CGM ;

- Débouter en conséquence CMA CGM de son appel en garantie contre Nile Dutch,

4) En tout état de cause :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné CMA CGM à régler à Nile Dutch une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner CMA CGM à payer à la société Nile Dutch la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel qui s'ajouteront aux condamnations de première instance, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Françoise Boulan, membre de la SELARL Lexavoue Aix-en-Provence, avocats associés, aux offres de droit.






MOTIFS






Sur la recevabilité de l'action des sociétés espagnoles Pescanova et Mutuapesca :




La CMA CGM soutient que la société Pescanova ne démontre pas qu'elle a un intérêt à agir puisque la facture de vente de la marchandise produit aux débats ne correspond pas à la marchandise litigieuse, que le poids total mentionné sur la facture est supérieur à celui figurant sur le connaissement, ce qui démontre selon elle, une fausse déclaration du chargeur, et, enfin, que la nature des marchandises figurant sur la facture ne correspond pas plus aux marchandises litigieuses.

Or les pièces 1 et 2 des appelantes montrent d'une part que la société Pescanova, consignee, a produit en pièce 2 la facture d'achat n°02/2016 du 18 mai 2016 qui mentionne les numéros de conteneurs dans lesquels se trouvait la marchandise litigieuse et, s'agissant de la nature de la marchandise, la cour observe qu'aucune précision n'est portée sur le connaissement hormis « Frozen seafood » de sorte que la société Pescanova, qui établit avoir acquis de la marchandise embarquée dans les conteneurs de la SA CMA CGM, en être le destinataire et avoir subi le préjudice constaté à l'ouverture des conteneurs litigieux a qualité et intérêt légitime à agir.

Le surplus des arguments développés par la CMA CGM relève du débat au fond.



S'agissant de la société Mutuapesca, la SA CMCA CGM fait valoir que la société Pescanova ne démontrant pas avoir un intérêt et une qualité à agir, elle ne peut être indemnisée par son assureur et que les conditions de la subrogation légale ne sont pas réunies faute d'un paiement préalable.

Elle ajoute que le sinistre n'était pas garanti par le contrat d'assurance en raison d'un manquement de l'assuré qui n'a pas informé correctement le transporteur maritime sur la température de transport.



Sur le premier point, il est renvoyé au paragraphe ci-dessus admettant l'existence d'un intérêt et d'une qualité à agir de l'assurée, de sorte que l'argumentation développée sur ce point par la CMA CGM est dépourvue de portée.

Les parties ne discutent pas que le contrat d'assurance conclu entre les appelantes est soumis au droit espagnol lequel admet une subrogation automatique de l'assureur dans les droits et action de l'assuré par le seul fait du paiement préalable de l'indemnité à l'assuré et il n'est pas discuté que le paiement effectué par l'assureur est intervenu les 3 et 10 octobre 2016, les actes par lesquels l'assuré a manifesté son intention de subroger son assureur étant datés du 27 septembre 2016.

Aucune des parties ne produit l'état du droit espagnol quant à l'exigence d'un paiement préalable.

À défaut de démonstration de la validité de la subrogation légale « automatique » applicable en droit espagnol, contestée par l'intimée, il y a lieu d'examiner, comme le font les parties, les conditions de la subrogation conventionnelle applicable en droit français.

En l'espèce, la subrogation est expresse aux termes des actes produits en pièces 11, 11bis, 12 et 12bis, faite dans un écrit antérieur au paiement et manifeste la volonté de l'assuré que l'assureur lui soit subrogé lors du paiement.

La société de droit espagnol Mutuapesca est par conséquent subrogée dans les droits de son assurée pour les montants qu'elle lui a réglés et sa qualité à agir doit être reconnue, le jugement étant confirmé sur ce point.




Sur la responsabilité de la SA CMA CGM :




Les appelantes soutiennent que la SA CMA CGM, présumée responsable, a pris en charge la marchandise le 8 juin 2016 sans réserves, les dommages ayant été constatés contradictoirement le 6 juillet 2016, le lendemain de la livraison, et qu'ils sont causés par une rupture de la chaine du froid. Elles font valoir que la température inadéquate s'explique par le non branchement des conteneurs à bord du navire M/V Carlotta Star, ce qui n'a pas permis le fonctionnement du groupe frigorifique, ce dont la SA CMA CGM avait conscience puisqu'elle a informé la société Pescanova de l'existence d'un « incident » dès le 22 juin. Elles affirment que la SA CMA CGM connaissait la température requise, même en l'absence d'indication sur le connaissement, puisqu'elle avait donné des instructions en ce sens à la société Nile Dutch.



La SA CMA CGM réplique qu'elle ne peut être responsable du défaut d'instructions de la part du chargeur quant à la température de consigne et qu'il appartenait au chargeur de vérifier les mentions du connaissement pour y indiquer la température requise. Elle fait aussi valoir que malgré l'absence d'instructions de la part de son chargeur, elle a néanmoins donné des instructions de température à la société Nile Dutch qui a réalisé le transport.

Elle soutient qu'elle bénéficie d'un cas exonératoire constitué par la faute du chargeur qui n'a mentionné aucune température de consigne.



En application de l'article L.5422-12 du code des transports et de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, le transporteur maritime est responsable des pertes et dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu'à la livraison. Il peut néanmoins s'exonérer de la responsabilité présumée à son encontre, quant aux avaries subies par les marchandises transportées, s'il démontre l'existence de l'un des cas exceptés admis par les articles 4-2 de la Convention de Bruxelles et L. 5422-12 susvisés, parmi lesquels figure la faute du chargeur, et s'il démontre que ce cas excepté a bien été la cause du dommage.

Le transporteur est toutefois privé, en tout ou partie, du caractère exonératoire du cas excepté, en cas de preuve dûment établie de sa propre faute.



En l'espèce, il résulte des rapports établis contradictoirement par le cabinet Urovet S.L, pour chacun des conteneurs, que la marchandise était correctement arrimée, que les caisses inférieures de l'arrimage avaient cédé en raison du poids, tandis que l'état des caisses supérieures était correct. Les températures constatées le 6 juillet 2016 se situaient selon l'expert dans les moyennes conformes à la législation européenne sur l'entreposage des produits de pêche (Règlement n° 853/2004 imposant le maintien à une température ne dépassant pas -18° en tous points pour les produits de la pêche).

L'examen des thermo-enregistreurs embarqués avec la marchandise montre une élévation de température à compter du 8 juin 2016, puis une redescente en température jusqu'à celles constatées par l'expert à compter du 21 juin 2016. La CMA CGM n'a pas produit les « data loggers » de chacun des deux conteneurs.

Il n'est cependant pas discuté par les parties que le 8 juin 2016, date de l'embarquement des conteneurs sur le Carlotta Star, ceux-ci n'ont pas été branchés et n'ont donc pu assurer aucun refroidissement de la marchandise.

L'avarie est due par conséquent au réchauffement intempestif de la marchandise pendant une période d'une vingtaine de jours sur le navire de la société Nile Dutch.



Il est exact que le connaissement ne comporte aucune indication précise de température comme le fait valoir la SA CMA CGM, mais la marchandise est désignée comme « frozen seafood » et il n'est pas plus discuté par l'intimée que des conteneurs refeer ont été mis à la disposition de la société Pescanova.

Il n'est pas sérieusement discutable non plus, au regard des constatations de l'expert que le conteneur est arrivé réfrigéré lors de l'embarquement sur le navire.

La SA CMA CGM n'est pas fondée à se prévaloir de l'absence d'indication précise de température alors qu'elle a correctement interprété la mention « frozen seafood » au regard des dispositions impératives du Règlement susvisé et qu'elle a adressé (pièce 15 des appelantes) à la société Nile Dutch, chargée du transport, la liste des conteneurs embarqués mentionnant les conteneurs litigieux en y apposant « -18 » en regard de leurs numéros.

Elle a accompagné cette liste du « reefer manifest », dont l'établissement ne se conçoit que parce que les conteneurs devaient être réfrigérés, mentionnant pour les deux conteneurs litigieux dans les colonnes températures : Min -18, Max 18, Carriage 00, ce qui est manifestement incohérent.

Quoi qu'il en soit, l'absence de mention d'une température de consigne sur le connaissement, remplacée par la mention « frozen », qui n'est sujette à aucune autre interprétation qu'un maintien de la température à -18°C en raison de la réglementation impérative relative au transport des produits de la pêche, nature des marchandises expressément énoncée sur le connaissement, ne constitue pas une faute du chargeur exonératoire de la responsabilité de la SA CMA CGM qui doit dès lors indemniser le préjudice subi par les appelantes.




Sur le préjudice :




L'article 4 alinéa 5 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 à laquelle renvoie l'article L. 5422-13 du code des transports, dispose qu' à moins que la nature et la valeur des marchandises n'aient été déclarées par le chargeur avant leur embarquement et que cette déclaration ait été insérée dans le connaissement, le transporteur comme le navire ne seront en aucun cas responsables des pertes ou dommages des marchandises ou concernant celles-ci pour une somme supérieure à 666,67 unités de compte par colis ou unité, ou 2 unités de compte par kilogramme de poids brut de marchandises perdues ou endommagées, la limite la plus élevée étant applicable.



Comme le relève la SA CMA CGM, au regard des différences existant entre les factures d'achat produites et les poids relevés par l'expert au déchargement, seules les mentions du connaissement doivent être retenues, soit pour le conteneur CGMU5053897 un poids de 21 414 kg et pour le conteneur CGMU9350605 un poids de 22 452 kg et les appelantes ne sont pas fondées à réclamer d'autres sommes que celles prévues par ce texte.



Ce sont dès lors les sommes de 154 935,81 euros et 174 595,61 euros, soit un total de 329 531,42 euros, telles qu'admises par la SA CA CGM, à titre infiniment subsidiaire dans ses conclusions, qui doivent être retenues, les appelantes ne proposant aucun calcul conforme aux dispositions impératives susvisée. La SA CMA CGM est condamné à régler cette somme à la société de droit espagnol Mutuapesca.

La somme de 3 000 euros restée à la charge de la société Pescanova au titre de la franchise lui est également allouée.

Le jugement déféré est infirmé sur ces points.




Sur l'appel en garantie formée par la SA CMA CGM à l'encontre de la société Nile Dutch Africa :




À l'appui de sa demande de garantie, la SA CMA CGM soutient que la société Nile Dutch, avec laquelle elle est liée par un Slot Charter Agreement, n'a pas respecté la température de consigne à -18°C énoncée dans ses instructions pour le transport des deux conteneurs, ni le reefer manifest qui mentionnait qu'ils devaient être traités comme des conteneurs frigorifiques.



La société Nile Dutch réplique que sa responsabilité en qualité de fréteur ne peut être engagée qu'au regard de la loi applicable fixée dans le Slot Charter Agreement qu'elles ont conclu et qu'elle bénéficie des droits et immunités prévues par l'article IV paragraphe 1, 2, 4, 5 et 6 de ces règles. Elle soutient que faute de réserves émises par la SA CMA CGM dans les 3 jours de la livraison, elle bénéficie d'une présomption de livraison conforme, que les rapports d'expertise, auxquelles elle n'a pas été appelée, ne lui sont pas opposables et que la SA CMA CGM ne l'a pas informée de ce qu'il s'agissait de conteneurs reefer dont la température devait être maintenue à -18°C.



Le Slot Charter Agreement, qui fait la loi des parties, stipule, selon les traductions non contestées données par les parties :


Articles 15.1 et 15.2, que la responsabilité du fréteur envers l'affréteur, et inversement, est régie par les règles de La Haye Visby modifiées en 1968 et 1979 ou toute autre loi impérative qui s'appliquerait à la responsabilité de l'affréteur envers les marchandises et qu'à toute fin en relation avec le présent contrat, le fréteur bénéficie des droits et immunités prévues par l'article IV paragraphe 1, 2, 4, 5 et 6 des règles de la Haye-Visby ;

Article 15.4, que le fournisseur de navire sera responsable d'un transport, d'une garde et de soins adaptés et prudents à la marchandise lorsque celle-ci sera à bord du navire, c'est-à-dire depuis le moment où le palonnier est déconnecté au port de chargement jusqu'à ce qu'il soit reconnecté au port de déchargement (') ;

Article 15.8 : que le fréteur est responsable du branchement et débranchement ou de la vérification du branchement des conteneurs réfrigérés,

Article 16 : que l'affréteur fournit les informations et/ou la documentation et se conforme aux procédures de travail communes relatives à la cargaison transportée (') et l'affréteur garantit que ces informations et/ou cette documentation sont complètes, exactes et disponibles en temps utile pour la planification des opérations de chargement et/ou de déchargement ;

Article 19 : que la partie réclamante en application du contrat doit notifier la réclamation à la partie défaillante par fax, télex, email ou lettre recommandée dès que possible à partir de la date à laquelle elle a eu connaissance de la réclamation.




S'il n'est pas discutable que la SA CMA CGM n'a pas respecté son obligation édictée à l'article 19 de la charte partie d'effectuer une réclamation « dès que possible » puisqu'alors que les expertises réalisées à son contradictoire ont eu lieu du 6 au 11 juillet 2016, la réclamation n'a été effectuée à la société Nile Dutch que le 5 octobre 2016. Cette tardiveté n'est pas sanctionnée par une irrecevabilité de la demande de garantie puisque le paragraphe 19 poursuit en spécifiant un délai butoir de 18 mois après le déchargement des marchandises ou 30 mois en cas d'application des règles de Hambourg, de sorte que les parties n'ont prévu aucune sanction à un retard de 4 mois.



La SA CMA CGM n'a pas appelé la société Nile Dutch aux opérations d'expertise amiables contradictoires d'examen de la cargaison du 6 au 11 juillet 2016 ; les constatations opérées lors de cette expertise, et notamment la chute des températures des conteneurs, ne peuvent retenues, même si elles ont fait l'objet d'un débat contradictoire dans le cadre de la présente instance, que si elles sont corroborées par d'autres éléments.

Or, la SA CMA CGM ne produisant pas les data loggers de ces deux conteneurs, il n'existe aucun élément objectif permettant d'imputer de manière certaine à la société Nile Dutch la chute des températures à l'origine des dommages.



Il résulte en outre des pièces produites aux débats que le fréteur est fondé à se prévaloir, conformément à la convention des parties, d'une immunité (cas excepté) prévue à l'article IV paragraphe 1, 2, 4, 5 et 6 des règles de la Haye-Visby, soit en l'espèce de la faute de la SA CMA CGM, considéré comme « chargeur » au titre de ces règles et de la charte partie.



En effet, le 6 juin 2016, la SA CMA CGM a adressé des instructions pour le chargement des conteneurs sur le navire consistant d'une part en une liste de conteneurs à embarquer, comportant les numéros des conteneurs litigieux avec en regard l'indication « -18 » et, d'autre part, un reefer manifest sur lequel la température des deux conteneurs est mentionnée comme suit : Min -18C, Max 18C, Carriage 00C.



Par un courriel du 21 juin 2016, la CMA CGM interroge sur la nature réfrigérée ou non de ces conteneurs en raison d'une divergence existant dans les données des logiciels de l'entreprise. Il est précisé « we have discrepancy betwenn the planner's baplie and Lara regarding the 2 units below : as per the balpie the units aren't REEFER but in Lara they are well mentioned reefer but with a strange carriage temperature +0 with Min -18 & Max + 18 for FROZEN SEAFOOD (le soulignement émane de la cour) as per the BL attached (no temperature mentioned on the body of the BL), soit (traduction libre) :nous avons un écart entre le baplie du planificateur et Lara concernant les 2 unités ci-dessous : selon le baplie les unités ne sont pas REEFER mais à Lara elles sont bien mentionnées reefer mais avec une étrange température de transport +0 avec Min -18 & Max + 18 pour FRUITS DE MER SURGELÉS selon le BL joint (pas de température mentionnée sur le corps du BL).



Contrairement à ce que soutient la SA CMA CGM, ces instructions sont si peu claires qu'elles suscitent l'interrogation de l'un de ses propres préposés, lors de ce mail émis en prévision des opérations de déchargement et ces deux documents sont, en tout état de cause à la simple lecture, incohérents entre eux.

Cette anomalie n'émane que de la SA CGM, ce qui n'a pas échappé à son préposé le 21 juin 2016, mais trop tard pour éviter les dommages aux marchandises et alors même qu'il est reconnu, dans ce mail que les conteneurs devaient être réfrigérés à raison de la nature de la marchandise (Frozen seafood) (they are well mentioned reefer).

En donnant des instructions incohérentes, elle n'a pas permis au fréteur d'assurer la bonne prise en charge et la faute commise par la SA CMA CGM, soit l'absence d'information et/ou de documentation complètes, exactes et disponibles au fréteur, est la cause exclusive des dommages constatés.

La SA CMA CGM n'est donc pas fondée à solliciter la garantie de la société Nile Dutch, fréteur d'espace, qu'elle n'a pas mis en mesure de garder et d'apporter des soins adaptés et prudents à la marchandise placée sur le navire.



La SA CMA CGM est déboutée de son appel en garantie.



5. Sur les demandes accessoires :



La SA CMA CGM, qui succombe est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 8 000 euros aux appelantes et celle de 5 000 euros à la société Nile Dutch Africa Line BV en application de l'article 700 du code de procédure civile.







PAR CES MOTIFS





La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,



Infirme le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 21 juin 2019 sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action des sociétés de droit espagnol Mutua de Seguros de Armadores de Pesca de España dite Mutuapesca et Pescanova España S.L,



Statuant à nouveau des chefs infirmés,



Condamne la SA CMA CGM à payer à la société de droit espagnol Mutua de Seguros de Armadores de Pesca de España dite Mutuapesca la somme de 329 531,42 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2016,



Condamne la SA CMA CGM à payer à la société de droit espagnol Pescanova España S.L, la somme de 3 000 euros correspondant à la franchise restée à sa charge, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2016,



Ordonne la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, en application de l'article 1343-2 du code civil,



Déboute la SA CMA CGM de son appel en garantie,



Condamne la SA CMA CGM aux dépens



Condamne la SA CMA CGM à payer aux sociétés de droit espagnol Mutua de Seguros de Armadores de Pesca de España dite Mutuapesca et Pescanova España S.L, ensemble, la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la SA CMA CGM à payer à la société de droit néerlandais Nile Dutch Africa Line BV la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La greffière La présidente

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