21 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.851

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100430

Titres et sommaires

CHOSE JUGEE - Décision dont l'autorité est invoquée - Partage - Décision se prononçant sur une récompense calculée selon le profit subsistant - Conditions - Décision fixant la date de la jouissance divise

Il résulte des articles 829, 1469, alinéas 1 et 3, et 1351, devenu 1355, du code civil que la décision qui se prononce sur une récompense calculée selon le profit subsistant sans fixer la date de jouissance divise est dépourvue de l'autorité de chose jugée sur l'évaluation définitive de cette récompense. Il résulte des articles 829, 815-13, alinéa 1, et 1351, devenu 1355, du code civil que la décision qui se prononce sur une créance d'un époux à l'encontre de l'indivision au titre de dépenses de conservation sans fixer la date de jouissance divise est dépourvue de l'autorité de chose jugée sur l'évaluation définitive de cette créance

CHOSE JUGEE - Décision dont l'autorité est invoquée - Indivision postcommunautaire - Créance d'un époux - Décision se prononçant sur la créance au titre de dépenses de conservation - Conditions - Décision fixant la date de jouissance divise

Texte de la décision

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 juin 2023




Cassation


Mme AUROY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 430 FS-B

Pourvoi n° W 21-24.851




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 JUIN 2023

M. [J] [I], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 21-24.851 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre B), dans le litige l'opposant à Mme [W] [F], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Daniel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M.[I], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Daniel, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 septembre 2021), un jugement du 15 janvier 2003 a prononcé le divorce de M. [I] et de Mme [F], mariés sans contrat préalable.

2. Des difficultés sont survenues au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [I] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de « récompense » au titre du remboursement anticipé du solde d'un prêt souscrit avant le mariage, en application de l'article 1355 du code civil, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché par son dispositif ; que le jugement du 26 août 2011 n'a pas, dans son dispositif, statué sur une demande de M. [I] tendant au bénéfice d'une récompense due par la communauté au titre du remboursement anticipé auquel il avait procédé sur ses deniers propres, en mai 1994, du prêt immobilier souscrit indivisément, avant le mariage, pour l'acquisition d'un appartement situé à [Localité 3], à hauteur de 292 375,14 francs (44 572,30 euros), demande dont il n'a pas davantage été fait mention dans les motifs de ce jugement, lorsque le tribunal a examiné la question du financement de l'acquisition de cet appartement, seule étant envisagée la récompense due au titre du financement de l'acquisition de la maison de [Localité 4], après mariage ; que la cour d'appel qui, pour dire irrecevable la demande de M. [I] aux fins de récompense au titre du remboursement anticipé du prêt souscrit pour l'acquisition de l'appartement de [Localité 3], a énoncé que le tribunal avait, dans les motifs de son jugement du 26 août 2011, examiné la prétention de M. [I] aux fins de récompense au titre du remboursement anticipé d'un autre prêt UCB souscrit pour l'acquisition de l'appartement de [Localité 3] et que, dans son dispositif, le tribunal, après l'énoncé des sommes allouées dont la récompense de 12 504,64 euros au titre du remboursement d'un prêt immobilier souscrit pour l'acquisition de la maison de [Localité 4], avait rejeté tous autres moyens et prétentions des parties, a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil et l'article 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1351, devenu 1355, du code civil et l'article 480 du code de procédure civile :

4. Il résulte de ces textes que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

5. Pour déclarer irrecevable, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, la demande de « récompense » formée par M. [I] au titre du remboursement anticipé, en mai 1994, d'un emprunt souscrit pour l'acquisition, avant le mariage, d'un immeuble situé à [Localité 3], l'arrêt retient que le tribunal a, dans les motifs de son jugement du 26 août 2011, examiné cette prétention pour la rejeter et, dans le dispositif de cette décision, expressément rejeté tous autres moyens ou prétentions des parties.

6. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que, devant le tribunal, M. [I] s'était borné à demander une récompense au titre du financement de l'immeuble de [Localité 4], de sorte que le jugement du 26 août 2011 ne pouvait se voir attacher l'autorité de la chose jugée à l'égard d'une demande sur laquelle il n'avait pas statué, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. M. [I] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en réévaluation d'une récompense fixée à son profit à hauteur de 12 504,64 euros au titre d'un solde de prêt ayant financé des travaux, alors « que la décision qui fixe le montant des sommes devant entrer dans la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, à la suite de la dissolution du mariage, sans fixer la date de jouissance divise, est dépourvue d'autorité de chose jugée sur l'évaluation définitive des biens ; que le jugement du 26 août 2011 a fixé à la somme de 12 504,64 euros la récompense due par la communauté à M. [I] au titre du remboursement d'un prêt immobilier souscrit pour l'acquisition de la maison de [Localité 4] sans fixer la date de jouissance divise ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la demande de M. [I] tendant à la réévaluation de cette récompense selon la règle du profit subsistant, que ses droits avaient été fixés par le jugement du 26 août 2011, devenu définitif, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 829, 1469, alinéas 1 et 3, et 1351, devenu 1355, du code civil :

8. Le premier de ces textes dispose :

« En vue de leur répartition, les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu'elle est fixée par l'acte de partage, en tenant compte, s'il y a lieu, des charges les grevant. Cette date est la plus proche possible du partage. Cependant, le juge peut fixer la jouissance divise à une date plus ancienne si le choix de cette date apparaît plus favorable à la réalisation de l'égalité. »

9. Aux termes du deuxième, la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. Elle ne peut être moindre que le profit subsistant quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l'aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien.

10. Selon le troisième, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement.

11. Il en résulte que la décision qui se prononce sur une récompense calculée selon le profit subsistant sans fixer la date de jouissance divise est dépourvue de l'autorité de chose jugée sur l'évaluation définitive de cette récompense.

12. Pour déclarer irrecevable la demande de M. [I] tendant à la réévaluation d'une récompense au titre du remboursement d'un emprunt afférent à un immeuble commun, l'arrêt retient que le jugement du 26 août 2011 a définitivement statué sur la valeur de cette récompense.

13. En statuant ainsi, alors que le jugement du 26 août 2011 n'avait pas fixé la date de la jouissance divise, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

14. M. [I] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en réévaluation d'une créance fixée à son profit envers l'indivision post-communautaire à hauteur de 39 637,67 euros, alors « que la décision qui fixe le montant des sommes devant entrer dans la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, à la suite de la dissolution du mariage, sans fixer la date de jouissance divise, est dépourvue d'autorité de chose jugée sur l'évaluation définitive des biens ; que le jugement du 26 août 2011 a fixé à la somme de 39 637,67 euros le montant de la créance post-communautaire de M. [I] au titre de prêts immobiliers consentis par la Société Générale, sans fixer la date de jouissance divise ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la demande de M. [I] tendant à la réévaluation de cette créance selon la règle du profit subsistant, que ses droits avaient été fixés par le jugement du 26 août 2011, devenu définitif, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 829, 815-13, alinéa 1er, et 1351, devenu 1355, du code civil :

15. Le premier de ces textes dispose :

« En vue de leur répartition, les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu'elle est fixée par l'acte de partage, en tenant compte, s'il y a lieu, des charges les grevant. Cette date est la plus proche possible du partage. Cependant, le juge peut fixer la jouissance divise à une date plus ancienne si le choix de cette date apparaît plus favorable à la réalisation de l'égalité. »

16. Selon le deuxième, lorsqu'un indivisaire a avancé de ses deniers les sommes nécessaires à la conservation d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité et eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation.

17. Selon le troisième, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement.

18. Il en résulte que la décision qui se prononce sur une créance d'un époux à l'encontre de l'indivision au titre de dépenses de conservation sans fixer la date de jouissance divise est dépourvue de l'autorité de chose jugée sur l'évaluation définitive de cette créance.

19. Pour déclarer irrecevable la demande de M. [I] tendant à la réévaluation d'une créance à son profit envers l'indivision post-communautaire au titre du remboursement d'emprunts souscrits pour l'acquisition d'un immeuble commun, l'arrêt retient que le jugement du 26 août 2011 a définitivement statué sur la valeur de cette créance.

20. En statuant ainsi, alors que le jugement du 26 août 2011 n'avait pas fixé la date de la jouissance divise, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [I] irrecevable en sa demande à bénéficier d'une « récompense supplémentaire » en lien avec le remboursement anticipé du solde d'un prêt indivis, en application de l'article 1355 du code civil, en ce qu'il déclare irrecevables les autres demandes de M. [I] relatives à une autre récompense de 12 504,64 euros au titre d'un solde de prêt travaux et à une créance post-communautaire de 39 637,67 euros due par l'indivision au patrimoine propre de M. [I], et en ce qu'il statue sur les dépens de première instance et d'appel et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 7 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;

Condamne Mme [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-et-un juin deux mille vingt-trois.

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