14 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.020

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00764

Texte de la décision

N° V 22-81.020 F-D

N° 00764


ECF
14 JUIN 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 JUIN 2023



Mme [C] [P], épouse [S], a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 9 février 2022, qui, pour fraude fiscale, l'a condamnée à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [C] [P], épouse [S], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques, et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Au cours d'une perquisition effectuée le 2 avril 2012 au domicile de Mme [C] [P], la somme de 246 000 euros en espèces a été découverte, à propos de laquelle Mme [P] a indiqué qu'elle provenait de l'exercice de sa profession d'avocat et qu'elle n'avait pas été déclarée à l'administration fiscale.

3. A la suite de la plainte déposée par l'administration fiscale des chefs de fraude fiscale et de complicité de fraude fiscale, Mme [P] a été citée devant le tribunal correctionnel pour s'être frauduleusement soustraite à l'établissement et au paiement partiel de la TVA exigible du 1er janvier au 31 décembre 2012 et au paiement partiel de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2012, en souscrivant une déclaration de bénéfice non commercial relative à son activité professionnelle d'avocate et une déclaration d'ensemble d'impôt sur le revenu fortement minorées.

4. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable des faits, l'a condamnée à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction professionnelle et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

5. Mme [P], le ministère public et l'administration fiscale ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


6. Il n'y a pas lieu d'examiner le moyen, dont la demanderesse, par un mémoire complémentaire, déclare se désister.

Sur le troisième moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception tirée du principe ne bis in idem et, confirmatif de ces chefs, a déclaré Mme [P] coupable du délit de fraude fiscale, l'a condamnée à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois et l'a déclarée tenue au paiement des impôts fraudés à des majorations et pénalités afférentes, alors « que l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi » ; que, par un arrêt du 5 mai 2022, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le droit fondamental garanti à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, lu en combinaison avec l'article 52, § 1, de la même Charte, devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui n'assure pas, dans les cas de cumul d'une sanction pécuniaire et d'une peine privative de liberté, par des règles claires et précises, le cas échéant telles qu'interprétées par les juridictions nationales, que l'ensemble des sanctions infligées n'excède pas la gravité de l'infraction constatée (CJUE, 5 mai 2022, BV et Direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie, C-570/20) ; que, par conséquent, lorsque le juge répressif a, conformément à la méthode et aux critères dégagés par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, estimé que les faits poursuivis présentaient un niveau de gravité suffisant pour justifier une répression pénale complémentaire par rapport à des sanctions administratives d'ores et déjà infligées au prévenu, il doit ensuite s'assurer que le cumul des peines privatives de liberté qu'il envisage d'infliger au prévenu et des sanctions fiscales d'ores et déjà prononcées à son encontre, n'excède pas la gravité de l'infraction retenue ; que son appréciation doit être motivée ; qu'en l'espèce, la cour a estimé que le principe ne bis in idem n'était pas applicable en matière de taxe sur la valeur ajoutée et a confirmé la condamnation de Mme [P] à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois, assortie d'un sursis total, aux motifs propres et adoptés que le montant des droits fraudés n'était pas mineur, que la prévenue avait mis en place un procédé sophistiqué de fraude, que la somme éludée avait été dissimulée dans la buanderie de son domicile et qu'en sa qualité d'avocate, Mme [P] était une professionnelle qui devait connaître ses obligations fiscales ; qu'en statuant ainsi, sans s'assurer que le cumul de la peine d'emprisonnement de dix-huit mois et de la pénalité fiscale pour manquement délibéré infligée à Mme [P] à l'occasion des procédures de contrôles antérieurement engagées à son encontre par l'administration fiscale n'excédait pas la gravité de l'infraction retenue s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 50, 52 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles 1729 et 1741 du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 50 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 1741 du code général des impôts et les décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 du Conseil constitutionnel :

9. Aux termes du premier de ces textes, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.

10. Il résulte du second, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'une limitation du principe ne bis in idem peut être justifiée à la condition, notamment et également, que la loi nationale assure que les charges résultant, pour les personnes concernées, d'un tel cumul soient limitées au strict nécessaire afin de réaliser l'objectif visé, et ce par une coordination des procédures et des sanctions.

11. Les dispositions législatives qui luttent contre la fraude à la TVA, telles celles applicables à la cause, constituent une mise en oeuvre du droit de l'Union et doivent par conséquent respecter le principe ne bis in idem garanti par l'article 50 de la Charte qui interdit un cumul de poursuites et de sanctions présentant une nature pénale pour les mêmes faits et contre une même personne (CJUE, arrêt du 26 février 2013, [E] [G], C-617/10). Il importe peu, de ce point de vue, que l'intéressé soit poursuivi et condamné pour une fraude aux impôts directs dès lors qu'il l'est également pour une fraude à la TVA.

12. Il résulte de l'article 1741, alinéa 1, du code général des impôts que quiconque s'est soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel de la TVA, notamment en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt, à la condition que la dissimulation excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros, est passible de sanctions pénales, indépendamment des sanctions fiscales applicables en vertu de l'article 1729 du même code.

13. La Cour de cassation juge que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir constaté le montant des pénalités fiscales appliquées, d'une part, s'il prononce une peine de même nature, de vérifier que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues, d'autre part, de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise. Le juge est tenu de motiver sa décision au regard de ces éléments, sans préjudice des exigences résultant des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal concernant la motivation du choix de la peine (Crim., 22 mars 2023, pourvoi n° 19-80.689 et Crim., 22 mars 2023, pourvoi n° 19-81.929, publiés au Bulletin).

14. En l'espèce, pour écarter l'exception tirée du principe ne bis in idem, l'arrêt relève que la Cour européenne des droits de l'homme a précisé qu'une double poursuite est possible si elle est le fruit d'un système intégré permettant de réprimer un méfait sous ses différents aspects de manière prévisible et proportionnée et formant un tout cohérent, qu'au cas particulier, l'engagement de poursuites pénales était prévisible, ne pouvant être méconnu par Mme [P], compte tenu de sa profession d'avocat, et que les poursuites, menées parallèlement, se sont nourries l'une de l'autre, et sont donc unies par un lien temporel suffisant.

15. L'arrêt retient que, s'agissant de la seule fraude à la TVA, l'infraction poursuivie présente un degré de gravité analogue à celui retenu par la Cour de justice de l'Union européenne, eu égard au montant dissimulé et à la qualité de la prévenue, rendant nécessaire le cumul des poursuites.

16. Les juges ajoutent que le montant des droits fraudés ne concernait pas une somme mineure, que la nature des agissements de la prévenue consistait dans la mise en place d'un procédé sophistiqué de fraude, que les circonstances de leur intervention sont celles d'une dissimulation de la somme en espèces dans un lieu supposé anodin, la buanderie du domicile, et concluent que dès lors, au moins un des critères de gravité exigés par la Cour de cassation apparaît constitué.

17. Pour confirmer la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis prononcée à l'égard de la prévenue, les juges énoncent, notamment, que celle-ci est adaptée et proportionnée, mais qu'il convient d'infirmer la peine complémentaire d'interdiction, trop sévère.

18. Ils ajoutent que s'il existe un antécédent fiscal de 2002 à 2004, la prévenue n'avait jamais été condamnée pénalement à la date de commission des faits reprochés, et que la fraude fiscale a eu cours sur une période réduite et pour une somme unique.

19. En prononçant ainsi, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.

20. En premier lieu, si l'article 51, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoit que ses dispositions s'adressent aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union et si, en l'espèce, les dispositions fiscales qu'il est reproché à Mme [P] d'avoir méconnues, s'agissant du délit de fraude à l'impôt sur le revenu, ne présentent aucun lien avec le droit de l'Union, cette circonstance est sans emport, dès lors que la prévenue est par ailleurs poursuivie pour fraude à la TVA.

21. En second lieu il appartenait à la cour d'appel, qui a constaté que Mme [P] avait fait l'objet de sanctions fiscales définitives pour les mêmes faits, après avoir énoncé le montant des pénalités fiscales, de s'expliquer concrètement sur la proportionnalité de l'ensemble des sanctions pénales choisies et fiscales déjà prononcées au regard de la gravité des faits commis.

22. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation sera limitée aux peines prononcées à l'égard de Mme [P], dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 février 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.

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