14 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.107

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00688

Texte de la décision

SOC.

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 juin 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 688 F-D

Pourvoi n° A 21-23.107




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 JUIN 2023

La société Oki, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-23.107 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [M] [K], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Mme [K] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La société Oki, demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Mme [K], demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Oki, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [K], après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 25 juin 2021), Mme [K] a été engagée, à compter du 21 janvier 2008, en qualité de vendeuse par la société Nord France distribution aux droits de laquelle se trouve la société Oki exerçant sous l'enseigne Le Roi du matelas.

2. Licenciée par lettre du 2 février 2017, elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La société Oki fait grief à l'arrêt de la condamner à payer diverses sommes à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire et des congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts en réparation du préjudice distinct subi, outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, d'ordonner la remise d'un bulletin de paie et d'une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les allocations versées à la salariée dans la limite de six mois d'indemnités, alors :

« 1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à verser à la salariée diverses sommes, la cour d'appel énonce, avec une ironie déplacée, que « l'adoption complaisante de postures galantes, voire certaines lascives, par l'appelante s'exhibant dans des sous-vêtements suggestifs sous l'objectif de son amant, soucieux d'immortaliser ces rares instants par des photographies versées aux débats, ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il ne s'agissait que de préludes ; que la salariée, répondant certainement aux appels impérieux d'une conscience professionnelle sans faille, allait bientôt être animée du désir irrépressible d'apprécier à leur juste mesure, par l'emploi de procédé jusque-là, semble t'il inusités dans le magasin, les qualités du matelas Darwin dont par ailleurs elle devait vanter les mérites en raison de ses fonctions de vendeuse, s'assurant par la même occasion que le titre ''Roi du matelas'' dont se parait son employeur n'était point usurpé ; qu'il est manifeste que les photographies dont il a été question précédemment ont bien été prises dans un stand du magasin exposant les différents produits de la société puisqu'il n'a pas échappé à la sagacité de cette dernière qu'y apparaissaient le nom et le prix du modèle essayé pour la circonstance ; que si les effusions échevelées auxquelles ont pu se livrer l'appelante et son amant et dont M. [X] souligne avec impudeur la multiplicité, pouvaient ne pas être sans conséquence sur l'intégrité des différents matelas qui en ont été le théâtre, il n'est nullement démontré que ces derniers en aient réellement souffert au point d'en être rendus inutilisables, comme le soutient ce dernier avec malignité ; qu'il n'est davantage établi qu'elles aient pu avoir lieu durant les horaires de travail et qu'elles aient perturbé le fonctionnement de l'entreprise puisque dans la lettre de licenciement la société reproche à l'appelante d'avoir mis à profit sa pause déjeuner pour s'adonner à des plaisirs autres que ceux de la table ; que toutefois les ébats imputés à la salariée ne débordant pas de la sphère de sa vie privée, il ne peut être retenu à sa charge que l'usage amplement abusif du matériel de l'entreprise sans le consentement de son employeur » ; qu'en statuant en ces termes, incompatibles avec l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en affirmant, après avoir relevé que la salariée avait subi ''d'inadmissibles actes de vengeance'' suite à sa rupture avec M. [X], que « la cour ne peut que manifester son étonnement face à la particulière complaisance dont a fait preuve l'employeur envers M. [X] qu'elle avait pourtant licencié le 19 juin 2013 pour des fautes graves consistant en la tenue de propos diffamatoires, injurieux et mensongers envers la société et sa hiérarchie par le biais du réseau social ''Facebook'', et dont les actes de délation ont constitué le fondement principal de la présente procédure ; qu'un tel comportement envers cet individu qui poursuivait de sa vindicte [la salariée] avec un acharnement suspect s'apparentait même à de la complicité […] ; que cette attitude est d'autant moins compréhensible que M. [X] s'était abandonné, sur le site ''Custplace'', destiné à recueillir les avis des clients de la société sur ses produits, à des révélations sulfureuses reproduites dans la lettre de licenciement », la cour d'appel a, une nouvelle fois, statué en des termes incompatibles avec l'exigence d'impartialité et a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte de ce texte que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial.

5. Pour condamner la société à payer les indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans causer réelle et sérieuse, l'arrêt retient d'abord, s'agissant du grief par lequel l'employeur reprochait à la salariée d'avoir eu des relations sexuelles au sein du magasin où elle travaillait, que « l'adoption complaisante de postures galantes, voire certaines lascives, par la salariée s'exhibant dans des sous-vêtements suggestifs sous l'objectif de son amant, soucieux d'immortaliser ces rares instants par des photographies versées aux débats, ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il ne s'agissait que de préludes ; que la salariée, répondant certainement aux appels impérieux d'une conscience professionnelle sans faille, allait bientôt être animée du désir irrépressible d'apprécier à leur juste mesure, par l'emploi de procédé jusque-là, semble t'il inusités dans le magasin, les qualités du matelas Darwin dont par ailleurs elle devait vanter les mérites en raison de ses fonctions de vendeuse, s'assurant par la même occasion que le titre ''Roi du matelas'' dont se parait son employeur n'était point usurpé » puis, ensuite, que « si les effusions échevelées auxquelles ont pu se livrer la salariée et son amant et dont celui-ci souligne avec impudeur la multiplicité, pouvaient ne pas être sans conséquence sur l'intégrité des différents matelas qui en ont été le théâtre, il n'est nullement démontré que ces derniers en aient réellement souffert au point d'en être rendus inutilisables, comme le soutient ce dernier avec malignité » et, encore, « qu'il n'est davantage établi qu'elles aient pu avoir lieu durant les horaires de travail et qu'elles aient perturbé le fonctionnement de l'entreprise puisque dans la lettre de licenciement la société reproche à l'intéressée d'avoir mis à profit sa pause déjeuner pour s'adonner à des plaisirs autres que ceux de la table » et, enfin, « que toutefois les ébats imputés à la salariée ne débordant pas de la sphère de sa vie privée, il ne peut être retenu à sa charge que l'usage amplement abusif du matériel de l'entreprise sans le consentement de son employeur ».

6. Il énonce ensuite, s'agissant du grief par lequel l'employeur reprochait à la salariée d'avoir adopté un comportement ayant abouti à la diffusion de ces photographies, avec de graves répercussions sur le fonctionnement et la réputation de l'entreprise, après avoir relevé que la salariée avait subi « d'inadmissibles actes de vengeance » suite à sa rupture avec M. [X], que « la cour ne peut que manifester son étonnement face à la particulière complaisance dont a fait preuve l'employeur envers M. [X] qu'elle avait pourtant licencié le 19 juin 2013 pour des fautes graves consistant en la tenue de propos diffamatoires, injurieux et mensongers envers la société et sa hiérarchie par le biais du réseau social ''Facebook'', et dont les actes de délation ont constitué le fondement principal de la présente procédure, qu'un tel comportement envers cet individu qui poursuivait de sa vindicte [la salariée] avec un acharnement suspect s'apparentait même à de la complicité […], que cette attitude est d'autant moins compréhensible que M. [X] s'était abandonné, sur le site ''Custplace'', destiné à recueillir les avis des clients de la société sur ses produits, à des révélations sulfureuses reproduites dans la lettre de licenciement ».

7. En statuant ainsi, en des termes manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation de l'arrêt condamnant l'employeur à payer diverses sommes au titre du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse emporte, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts en réparation du préjudice distinct lié aux circonstances vexatoires de la rupture qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, la cour d'appel ayant retenu que le licenciement s'était déroulé dans des conditions particulièrement brutales du fait que l'employeur avait tenté d'obtenir de la salariée sa démission pour des faits qui ne justifiaient pas un licenciement.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs et le pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Oki de sa demande reconventionnelle, l'arrêt rendu le 25 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;

Condamne Mme [K] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.

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