14 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-21.330

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00416

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Sauvegarde - Déclaration de créances - Délai - Non-respect - Sanction - Inopposabilité de la créance à la procédure - Portée - Personnes physiques coobligées - Conditions - Engagement de nature conventionnelle

Selon l'article L. 622-26, alinéa 2, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, du code de commerce, les créances non régulièrement déclarées sont, pendant l'exécution du plan de sauvegarde, inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie. En application de l'article L. 626-11, alinéa 2, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, à l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde. Seules les personnes physiques dont l'engagement est de nature conventionnelle ont la qualité de coobligés au sens de ces deux textes. En conséquence, viole ces textes la cour d'appel qui, ayant relevé que des dirigeants sociaux avaient été condamnés, par un jugement irrévocable, à réparer le préjudice financier causé par une infraction pénale dont ils avaient été déclarés coupables avec la société, qui a ensuite bénéficié d'un plan de sauvegarde, cantonne la saisie pratiquée par la partie civile en exécution de ce jugement aux seules condamnations prononcées sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Sauvegarde - Déclaration de créances - Délai - Non-respect - Sanction - Inopposabilité de la créance à la procédure - Exclusion - Cas - Personnes physiques coobligées condamnées à réparer le préjudice causé par une infraction pénale

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Sauvegarde - Plan de sauvegarde - Bénéficiaire - Personnes physiques coobligées - Conditions - Engagement de nature conventionnelle

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Sauvegarde - Plan de sauvegarde - Bénéficiaire - Exclusion - Cas - Personnes physiques coobligées condamnées à réparer le préjudice causé par une infraction pénale

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 juin 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 416 FS-B

Pourvoi n° U 21-21.330




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 JUIN 2023

L'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-21.330 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [F], domicilié [Adresse 2],

2°/ à M. [Z] [F], domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF Provence-Alpes-Côte d'Azur, de la SCP Alain Bénabent, avocat de MM. [V] et [Z] [F], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mme Kass-Danno, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 juin 2021), le 29 octobre 2015, un jugement correctionnel a condamné la société Boulangerie Aurélia (la société) et ses dirigeants, MM. [Z] et [V] [F] (MM. [F]), pour l'infraction de travail dissimulé, reçu l'URSSAF Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF) en sa constitution de partie civile, déclaré la société et MM. [F] solidairement responsables du préjudice subi par l'URSSAF et, sur les intérêts civils, renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.

2. Le 30 mai 2016, la société a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde.

3. Le 4 avril 2017, un arrêt a confirmé le jugement correctionnel du 29 octobre 2015 et déclaré MM. [F] et la société solidairement responsables du préjudice subi par l'URSSAF entre 2008 et 2010, et M. [Z] [F] et la société solidairement responsables de ce préjudice entre 2006 et 2007.

4. Le 4 septembre 2017, le plan de sauvegarde de la société a été arrêté pour une durée de dix ans.

5. Statuant sur les intérêts civils, un arrêt du 11 février 2019 a condamné M. [Z] [F] à indemniser le préjudice financier subi par l'URSSAF entre 2006 et 2007, condamné solidairement MM. [F] à indemniser le préjudice financier subi entre 2008 et 2010, ainsi que les préjudices matériels et d'atteinte aux finances publiques, et condamné les mêmes au paiement d'indemnités procédurales, en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Cet arrêt a, en outre, fixé les créances de l'URSSAF au passif de la procédure collective de la société débitrice à concurrence des mêmes montants, à ces différents titres.

6. Le 11 avril 2019, l'URSSAF a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la société débitrice pour les montants fixés par l'arrêt du 11 février 2019.

7. L'URSSAF a diligenté une saisie des droits d'associés ou de valeurs mobilières détenus par MM. [F] dans deux sociétés tierces pour le paiement des sommes dues en exécution de l'arrêt du 11 février 2019.

8. MM. [F] ont saisi un juge de l'exécution en mainlevée de ces mesures, en se prévalant de leur qualité de coobligés de la société débitrice, bénéficiaires de la suspension des poursuites édictée à l'article L. 626-11 du code de commerce.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, et sur le moyen relevé d'office, réunis

Enoncé des moyens

9. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de cantonner les saisies aux sommes dues sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale et d'en ordonner la mainlevée pour le surplus, alors « que le dirigeant d'une société commerciale, personnellement tenu de réparer le préjudice découlant des infractions dont il a été déclaré coupable, ne saurait invoquer, pour échapper à ses obligations, la procédure collective intéressant la société dont il était dirigeant, dès lors qu'il n'est pas concerné par ladite procédure ; qu'en l'espèce, statuant sur les intérêts civils, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 11 février 2019, a condamné MM. [F], reconnus coupables de travail dissimulé dans le cadre de la gestion de la société Boulangerie Aurélia, à payer des dommages et intérêts à l'URSSAF PACA d'un montant équivalent aux cotisations sociales éludées ; qu'en retenant que le recouvrement de cette créance de dommages et intérêts détenue sur les dirigeants ne pouvait être poursuivi du fait de la procédure de sauvegarde ouverte à l'encontre de la société débitrice condamnée également à une telle indemnité, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, 1382 devenu 1240 du code civil et L. 622-7 du code de commerce par fausse application. »

Réponse de la Cour

10. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile sur le moyen relevé d'office, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 622-7 et L. 622-21, I, du code de commerce :

11. Il résulte du premier de ces textes que le jugement d'ouverture de la sauvegarde interdit de payer toute créance née antérieurement à ce jugement.

12. Selon le second, le jugement d'ouverture de la sauvegarde interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

13. Les dispositions de ces textes ne profitant qu'au seul débiteur en procédure collective, les dirigeants sociaux ne peuvent s'en prévaloir.

14. Pour cantonner aux seules condamnations prononcées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale les saisies diligentées par l'URSSAF sur le fondement de l'arrêt du 11 février 2019, l'arrêt retient, par motifs propres, que l'argumentation de l'URSSAF tend à « faire échec à la suspension des poursuites prévue à l'article L. 622-7 du code de commerce » en l'état de la procédure de sauvegarde dont fait l'objet la société débitrice et que, s'agissant de la créance, unique, détenue par l'URSSAF au titre des cotisations éludées entre 2006 et 2010, son recouvrement ne peut être poursuivi du fait de cette procédure, ouverte le 30 mai 2016.

15. En statuant ainsi, par des motifs desquels il ressort qu'elle a appliqué à MM. [F], dirigeants de la société débitrice, la règle de l'interdiction des paiements ou celle de l'interdiction des poursuites individuelles, alors que ceux-ci ne pouvaient en bénéficier, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

16. L'URSSAF fait le même grief à l'arrêt, alors « que le dirigeant d'une société commerciale, personnellement tenu de réparer le préjudice découlant des infractions dont il a été déclaré coupable, ne saurait invoquer, pour échapper à ses obligations, la procédure collective intéressant la société dont il était dirigeant, dès lors qu'il n'est pas concerné par ladite procédure ; qu'il ne peut dès lors invoquer la qualité de coobligé de la société dirigée afin de se prévaloir du plan de sauvegarde et échapper à son obligation personnelle envers la victime de l'infraction titulaire d'une créance indemnitaire ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés, que MM. [F], condamnés à indemniser l'URSSAF PACA, ne pouvaient être poursuivis en recouvrement en ce qu'ils étaient coobligés de la société Boulangerie Aurélia au sens des articles L. 626-11 et L. 622-26 du code de commerce et pouvaient ainsi se prévaloir du plan de sauvegarde ainsi que du prétendu défaut de déclaration de la créance indemnitaire à la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a violé ces articles, ensemble les articles 2 du code de procédure pénale et 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-26, alinéa 2, et L. 626-11, alinéa 2, du code de commerce, le premier dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 et le second dans celle issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008, applicables en la cause :

17. Selon le premier de ces textes, les créances non régulièrement déclarées sont, pendant l'exécution du plan de sauvegarde, inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.

18. En application du second, à l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde.

19. Seules les personnes physiques dont l'engagement est de nature conventionnelle ont la qualité de coobligés au sens de ces deux textes.

20. Pour cantonner la saisie aux seules condamnations prononcées par la juridiction pénale sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, l'arrêt relève, par motifs adoptés, que la société débitrice fait l'objet d'un plan de sauvegarde non étendu à MM. [F]. Il retient, ensuite, que, soit cette créance indemnitaire n'a pas été déclarée par l'URSSAF dans la procédure de sauvegarde, de sorte qu'elle est inopposable aux personnes physiques coobligées pendant l'exécution du plan, soit cette créance a été déclarée, de sorte que, pendant l'exécution du plan, les coobligés peuvent se prévaloir des dispositions du plan. Il en déduit que, dès lors qu'il n'est pas fait état du non-respect du plan de sauvegarde, l'URSSAF ne pouvait diligenter contre MM. [F] une mesure de saisie pour recouvrer sa créance indemnitaire.

21. En statuant ainsi, alors que l'obligation à paiement de MM. [F] résultait de l'arrêt irrévocable du 11 février 2019 les condamnant à réparer le préjudice causé par une infraction pénale dont ils avaient été déclarés coupables avec la société débitrice, de sorte que, n'ayant pas la qualité de coobligés de cette dernière, au sens des textes susvisés, ils ne pouvaient se prévaloir ni de l'inopposabilité de la créance de l'URSSAF pour cause de non-déclaration au passif ni de la suspension des poursuites pendant l'exécution du plan de sauvegarde de la société débitrice, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il ordonne la jonction des instances et en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par MM. [V] et [Z] [F], l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne MM. [V] et [Z] [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [V] et [Z] [F] et les condamne à payer à l'URSSAF Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.

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