8 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.997

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C200574

Titres et sommaires

APPEL CIVIL - Procédure avec représentation obligatoire - Déclaration d'appel - Caducité - Relevé d'office - Absence de notification des conclusions de l'avocat de l'intimé dans le délai imparti - Procès équitable - Conformité

Il résulte des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile que l'appelant est tenu de notifier ses conclusions dans le délai de trois mois prévu à l'article 908, à l'avocat de l'intimé, dès lors que ce dernier s'est constitué. Ce n'est qu'à l'expiration de ce délai de trois mois, que l'appelant doit signifier ses conclusions à la partie intimée qui n'a pas constitué avocat, sauf si entre temps celle-ci a constitué avocat avant la signification des conclusions. Une telle notification faite à l'avocat de l'intimé constitué poursuit l'objectif légitime de garantir à ce dernier qu'il disposera, pour remettre ses conclusions, de la totalité du délai qui lui est imparti par l'article 909 du code de procédure civile, sans qu'il se trouve exposé à l'aléa tenant à l'absence ou au retard de transmission par son client des conclusions de l'appelant qui lui auraient été signifiées. Une telle disposition constitue ainsi pour l'intimé une formalité nécessaire au respect des droits de la défense. Cette formalité prévisible, résultant d'une disposition éclairée par une jurisprudence constante (2e Civ., 5 septembre 2019, pourvoi n° 18-21.717, Bull.), ne conduit pas à faire supporter à l'appelant une charge excessive et n'est pas empreinte d'un formalisme excessif, dès lors qu'il est mis en mesure de procéder à des diligences alternatives selon qu'il a reçu ou non l'information de la constitution de l'avocat avant de procéder à la formalité qui lui incombe. Par conséquent, de telles dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'accès au juge d'appel au regard du but poursuivi. C'est dès lors à bon droit qu'une cour d'appel, qui constate que l'appelant avait reçu notification de la constitution d'un avocat par l'intimé et n'avait pas été mis dans l'impossibilité de notifier ses conclusions à cet avocat dans le délai de trois mois de la déclaration d'appel, en déduit que la déclaration d'appel est caduque faute de notification des conclusions à l'avocat de l'intimé dans les délais impartis

APPEL CIVIL - Procédure avec représentation obligatoire - Déclaration d'appel - Caducité - Article 911 du code de procédure civile - Absence de notification des conclusions de l'appelant à l'avocat de l'intimé dans le délai imparti - Procès équitable - Conformité

APPEL CIVIL - Procédure avec représentation obligatoire - Déclaration d'appel - Caducité - Cas - Conclusions de l'appelant - Défaut de notification des conclusions à l'intimé - Défaut de notification des conclusions à l'avocat de l'intimé dans le délai imparti - Exigence conforme au droit à un procès équitable

APPEL CIVIL - Procédure avec représentation obligatoire - Déclaration d'appel - Caducité - Cas - Conclusions de l'appelant - Défaut de notification des conclusions à l'intimé - Conditions - Condition nécessaire - Intimé - Constitution d'avocat - Notification préalable à l'avocat de l'appelant - Exigence conforme au droit à un procès équitable

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 juin 2023




Rejet


Mme MARTINEL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 574 FS-B

Pourvoi n° V 21-19.997


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 JUIN 2023

La Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique, société coopérative de banque à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-19.997 contre l'arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à Mme [F] [V] épouse [G], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de Mme [V], épouse [G], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Durin-Karsenty, Vendryes, M. Waguette, Mme Caillard, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 8 avril 2021), par déclaration du 7 mai 2019, la société Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique (la société BPACA) a relevé appel du jugement d'un tribunal d'instance dans un litige l'opposant à Mme [V] épouse [G].

2. Le 18 juillet 2019, l'appelante a remis au greffe ses conclusions d'appel et les a signifiées à Mme [G] le 19 juillet 2019, puis le 12 août 2019, l'appelante a dénoncé ses conclusions d'appel au conseil de l'intimé.

3. Le conseiller de la mise en état a, à la demande de Mme [G], prononcé la caducité de la déclaration d'appel pour défaut de notification des conclusions à son conseil dans les trois mois de la déclaration d'appel. La société BPACA a déféré cette ordonnance à la cour d'appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société BPACA fait grief à l'arrêt de prononcer la caducité de sa déclaration d'appel, alors « que si la notification de l'acte de constitution d'avocat de l'intimé à l'appelant tend à lui rendre cette constitution opposable, lorsque cette notification n'a pas été régulièrement faite, l'appelant satisfait à l'obligation de notification de ses conclusions à l'intimé en lui signifiant ses conclusions ; qu'en se bornant à retenir que le 17 juillet 2019, l'avocat de l'intimée avait dénoncé à l'avocat de l'appelante, qui en avait accusé réception, sa constitution de pour le compte de Mme [G] et que le traitement administratif de cette constitution par le greffe n'avait aucune incidence procédurale sur l'existence, la date et l'opposabilité de cette constitution et que l'appelante ne contestait pas la validité de la constitution d'avocat, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en l'absence de traitement de la constitution de l'intimée par le greffe avant le 22 juillet 2019, l'appelante n'avait pu légitimement croire, lorsqu'elle a déposé et signifié à partie ses conclusions, que la constitution et sa notification étaient irrégulières, de sorte qu'elle était fondée à satisfaire à l'obligation de notification de ses conclusions à l'intimée en les lui signifiant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 908 et 911 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. »

Réponse de la Cour

5. En application de l'article 911 du code de procédure civile, sous les sanctions prévues par les articles 908 à 910 de ce code, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour d'appel. Sous les mêmes sanctions elles sont signifiées aux parties qui n'ont pas constitué avocat dans le mois suivant l'expiration du délai de leur remise au greffe de la cour d'appel ; cependant, si entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.

6. Selon l'article 960 du code de procédure civile, la constitution d'avocat par l'intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d'instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats. Seule la notification entre avocats rend ainsi opposable à l'appelant la constitution d'un avocat par l'intimé, à l'exclusion de tout autre acte.

7. Cette règle de procédure donne à l'appelant l'assurance d'être directement averti par le conseil de l'intimé de sa constitution au moyen d'une notification, le cas échéant effectuée par le réseau privé virtuel avocat.

8. L'arrêt relève qu'il ressort des messages électroniques générés par le RPVA que le 17 juillet 2019 à 20h59, l'avocat de l'intimée a adressé au greffe de la cour d'appel, avec l'avocat de l'appelant en copie, la déclaration numérique de sa constitution, l'acte de constitution de l'intimée, que cet envoi a généré un double accusé de réception du message et des pièces jointes par l'avocat de l'appelant le même jour à la même heure, à l'égard de l'avocat de l'intimée et du greffe, conformément aux articles 960 et 748-3 du code de procédure civile.

9. Ayant exactement retenu que le traitement administratif, par le greffe, de la constitution d'avocat de l'intimé, qui permet à ce dernier d'accéder au dossier numérisé, n'a pas d'incidence procédurale sur l'existence, la date et l'opposabilité de la constitution dénoncée à l'avocat de l'appelant, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. La société BPACA fait le même grief à l'arrêt alors « que la cour d'appel a constaté que l'appelante avait déposé et fait signifier à partie ses conclusions respectivement les 18 et 19 juillet 2019, soit dans le délai de trois mois imparti par les articles 908 et 911 du code de procédure civile ; qu'il est constant que l'intimée, qui n'a soulevé l'incident de caducité que le 3 janvier 2020, avait conclu au fond dans le délai imparti par l'article 909 du code de procédure civile ; qu'en sanctionnant cependant l'absence de notification à avocat des conclusions de l'appelante dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de l'exposante, en violation de l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Selon la Cour européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit d'accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire » ([J] c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A n° 333-B). Toutefois, le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle par nature une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation ([E] c. Hongrie [GC], n° 20261/12, § 120, 23 juin 2016, et [W] [K] c. Suisse, n° 74989/11, § 73, 13 juillet 2021). Cette réglementation par l'État peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus ([D] c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 57, série A n° 93, et [P] c. Bulgarie [GC], n° 36760/06, § 230, CEDH 2012). Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ([A] c. Croatie [GC], n° 40160/12, § 78, 5 avril 2018).

12. Les critères relatifs à l'examen des restrictions d'accès à un degré supérieur de juridiction ont été résumés par la Cour dans l'affaire [A] (précitée, §§ 80-99). Afin d'apprécier la proportionnalité de la restriction en cause, la Cour prend en considération les facteurs suivants : i) sa prévisibilité aux yeux du justiciable ([U] c. France, n° 21444/11, §§ 60-66, 5 novembre 2015, [A], précité, §§ 85 et 87-89, et [C] c. Luxembourg, n° 59649/18, §§ 44-50, 12 octobre 2021), ii) le point de savoir si le requérant a dû supporter une charge excessive en raison des erreurs éventuellement commises en cours de procédure ([A], précité, §§ 90-95 et jurisprudence citée) et iii) celui de savoir si cette restriction est empreinte d'un formalisme excessif ([R]š et autres c. République tchèque, n° 47273/99, §§ 50-51, CEDH 2002-IX, [U], précité, § 67, et [A], précité, §§ 96-99). En effet, en appliquant les règles de procédure, les tribunaux doivent éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois ([L] c. France, n° 35787/03, § 29, 26 juillet 2007).

13. Il résulte des dispositions précitées de l'article 911 du code de procédure civile que l'appelant est tenu de notifier ses conclusions dans le délai de trois mois prévu à l'article 908, à l'avocat de l'intimé, dès lors que ce dernier s'est constitué. Ce n'est qu'à l'expiration de ce délai de trois mois, que l'appelant doit signifier ses conclusions à la partie intimée qui n'a pas constitué avocat, sauf si entre temps celle-ci a constitué avocat avant la signification des conclusions.

14. Une telle notification faite à l'avocat de l'intimé constitué poursuit l'objectif légitime de garantir à ce dernier qu'il disposera, pour remettre ses conclusions, de la totalité du délai qui lui est imparti par l'article 909 du code de procédure civile, sans qu'il se trouve exposé à l'aléa tenant à l'absence ou au retard de transmission par son client des conclusions de l'appelant qui lui auraient été signifiées. Une telle disposition constitue ainsi pour l'intimé une formalité nécessaire au respect des droits de la défense.

15. S'agissant d'une formalité prévisible, résultant d'une disposition éclairée par une jurisprudence constante ( 2e Civ., 5 septembre 2019, n° 18-21.717, publié), elle ne conduit pas à faire supporter à l'appelant une charge excessive et n'est pas empreinte d'un formalisme excessif, dès lors qu'il est mis en mesure de procéder à des diligences alternatives selon qu'il a reçu ou non l'information de la constitution de l'avocat avant de procéder à la formalité qui lui incombe.

16. Par conséquent, de telles dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'accès au juge d'appel au regard du but poursuivi.

17. Ayant constaté, que l'appelant avait reçu notification de la constitution d'un avocat par l'intimé le 17 juillet 2019, qu'il n'avait pas été mis dans l'impossibilité de notifier ses conclusions à l'avocat de l'intimé dans le délai de trois mois de la déclaration d'appel, soit avant le 7 août 2019, en application des articles 908 et 911 du code de procédure civile, c'est à bon droit que la cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la déclaration d'appel était caduque faute de notification des conclusions à l'avocat de l'intimé dans les délais impartis.

18. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique et la condamne à payer à Mme [V] épouse [G] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille vingt-trois.

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