6 juin 2023
Cour d'appel de Rennes
RG n° 20/05594

9ème Ch Sécurité Sociale

Texte de la décision

9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 20/05594 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RCRX













[4]



C/



[D] [O]





















Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 06 JUIN 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Madame Adeline TIREL lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du 29 Mars 2023



ARRÊT :



Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats



DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:



Date de la décision attaquée : 24 Septembre 2020

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de SAINT-BRIEUC - Pôle Social

Références : 18/1242



****



APPELANTE :



LA [4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Madame [U] [L] en vertu d'un pouvoir spécial



INTIMÉ :



Monsieur [D] [O]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

comparant, assisté de Me Freddy LALANNE, avocat au barreau de COMPIEGNE




















EXPOSÉ DU LITIGE



M. [D] [O], est affilié au régime de sécurité sociale agricole, au titre de ses activités de gérant des sociétés suivantes :

- la SARL [O], ayant pour objet les travaux agricoles, le transport public routier de marchandises, la location de véhicules industriels, le négoce de produits fertilisants et organiques, le négoce de pièces détachées et l'activité mécanique agricole, depuis le 31 mars 2008 ;

- la société civile [6], ayant pour objet l'acquisition, la détention et la gestion de participations directes et indirectes dans tous les groupements ou sociétés agricoles, industrielles et commerciales, depuis le 17 juin 2014.



A la suite d'un contrôle de l'application de la législation sociale agricole relative aux déclarations de revenus professionnels, réalisé par la [4] (la [4]) sur les années 2014, 2015 et 2016, M. [O] s'est vu notifier, en qualité de gérant des sociétés [O] et [6], un document de fin de contrôle du 12 février 2018 d'un montant total de 91 094 euros, portant sur le chef de redressement relatif à la réintégration dans l'assiette de cotisations du chef d'exploitation agricole des dividendes versées par la SARL [O] à la société [6].



Les inspecteurs ont ainsi retenu que la création de la société [6], holding de la SARL [O], avait pour but d'éluder le paiement des cotisations sociales dues en qualité de non salarié agricole au titre des revenus de capitaux mobiliers, montage pouvant constituer un abus de droit.



Par lettre du 5 mars 2018, M. [O] a formulé des observations concernant l'intégralité des réintégrations effectuées, précisant que la structuration juridique de ces sociétés avait pour but l'organisation du développement économique du groupe.



En réponse, par lettre du 16 mars 2018, les inspecteurs ont maintenu le redressement tel que notifié dans la lettre d'observation.



La [4] lui a notifié une mise en demeure du 6 avril 2018 tendant au paiement des cotisations redressées, pour un montant de 91 632,93 euros.



Contestant le bien-fondé du redressement, M. [O] a saisi, par lettre datée du 24 avril 2018, la commission de recours amiable de l'organisme, saisine qui a été complétée le 26 mai 2018. Par décision du 6 juillet 2018, la commission a rejeté sa demande.



M. [O] a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Côtes d'Armor, le 5 octobre 2018.



Par jugement du 24 septembre 2020, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, a :



- annulé le redressement des cotisations opéré par la [4] pour les années 2014, 2015 et 2016 et la décision de la commission de recours amiable du 6 juillet 2018 ;

- débouté la [4] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de M. [O] ;

- condamné la [4] à rembourser à M. [O] l'ensemble des cotisations dont il pourrait s'être acquitté en application du redressement ;

- condamné la [4] à verser à M. [O] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Pour se déterminer ainsi, le pôle social a retenu que le document de fin de contrôle notifié par la [4] à M. [O] ne l'a pas informé qu'en cas de désaccord sur les rectifications notifiées, le litige pouvait être soumis, à sa demande, à l'avis du comité des abus de droit conformément à l'article L. 725-25 du code rural et de la pêche maritime, le privant ainsi d'un droit substantiel dans la phase contradictoire de la procédure de redressement lui ayant nécessairement porté grief.



Par déclaration adressée le 5 novembre 2020, la [4] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 13 octobre 2020.



Par ses écritures parvenues au greffe le 3 mai 2022 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la [4] demande à la cour :



A titre principal :



- d'infirmer le jugement entrepris qui avait admis l'exception de nullité soulevée par M. [O] ;

- par suite, de prononcer la régularité de la procédure de redressement ;



A titre subsidiaire :



- de confirmer la décision de rejet de la commission de recours amiable du 6 juillet 2018 qui confirmait le redressement des cotisations pour les années 2015 à 2017 (sic) ;

- par suite, de condamner M. [O] au paiement de la somme de 91 632,93 euros au titre du redressement de cotisations, objet de la mise en demeure précitée ;



Par ailleurs :



- de débouter M. [O] de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 7 500 euros pour recours abusif ;

- de le débouter de sa demande de 5 000 euros au titre de ses frais de procédure.



Par ses écritures parvenues au greffe le 28 juillet 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, M. [O] demande à la cour, au visa des articles L. 725-25 et L. 731-14 du code rural et de la pêche maritime ainsi que R. 142-1 et R. 142-4 du code de la sécurité sociale, de :



- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter la [4] de l'ensemble de ses demandes ;



Y rajoutant,



- la condamner à lui verser une somme de 7 500 euros pour appel abusif ;

- la condamner à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.



Invités par la cour à faire valoir leurs observations, chacune des parties a communiqué une note en délibéré, la [4] le 7 mars 2023 et M. [O] le 11 avril 2023.



Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la procédure d'abus de droit



Aux termes des dispositions de l'article L.725-25 du code rural et de la pêche maritime dans sa version applicable au cas d'espèce, 'afin d'en restituer le véritable caractère, les caisses de mutualité sociale agricole sont en droit d'écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les contributions et cotisations sociales d'origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.



En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du premier alinéa, le litige est soumis, à la demande du cotisant, à l'avis du comité des abus de droit. Les caisses de mutualité sociale agricole peuvent également soumettre le litige à l'avis du comité. Si les caisses de mutualité sociale agricole ne se conforment pas à l'avis du comité, elles doivent apporter la preuve du bien-fondé de leur rectification.



La procédure définie au présent article n'est pas applicable aux actes pour lesquels un cotisant a préalablement fait usage des dispositions de l'article L. 725-24 en fournissant aux caisses de mutualité sociale agricole concernées tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de ces actes et que ces caisses n'ont pas répondu dans les délais requis.



L'abus de droit entraîne l'application d'une pénalité égale à 20 % des cotisations et contributions dues.'



En vertu de l'article R.725-28 du code rural et de la pêche maritime, les dispositions des articles R.243-60-1 à R.243-60-3 du code de la sécurité sociale sont applicables dans le cadre de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L.725-25 du même code. L'article R.243-60-3 du code de la sécurité sociale prévoit notamment que :

'I. - La décision de mettre en 'uvre les dispositions prévues à l'article L.243-7-2 est prise par le directeur de l'organisme chargé du recouvrement, qui contresigne à cet effet la lettre d'observations mentionnée au premier alinéa du III de l'article R. 243-59. Ce document mentionne la possibilité de saisir le comité des abus de droit et les délais impartis à la personne contrôlée pour ce faire.

II. - Le cotisant dispose d'un délai de trente jours à compter de la réception du document mentionné au I pour demander au service mentionné à l'article R. 155-1 que le litige soit soumis à l'avis du comité des abus de droit. S'il formule dans ce délai des observations à ce document, il dispose à nouveau d'un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l'organisme de recouvrement à ces observations.

III. - Dans un délai de trente jours, le service mentionné à l'article R. 155-1 saisit le comité des demandes recevables et avertit l'organisme.

IV. - L'organisme de recouvrement et le cotisant sont invités à produire leurs observations dans un délai de trente jours ; ils reçoivent communication des observations produites par l'autre partie. Le président du comité peut en outre recueillir auprès du cotisant et de l'organisme tout renseignement complémentaire utile à l'instruction du dossier.

V. - Si le cotisant a formé, devant la commission de recours amiable prévue à l'article R. 142-1, une réclamation portant sur une décision de redressement prise dans le cadre de la même procédure que celle qui a donné lieu à la saisine du comité des abus de droit, la commission diffère son avis ou sa décision dans l'attente de l'avis du comité.

VI. - Le président communique l'avis du comité au cotisant et à l'organisme de recouvrement. Celui-ci notifie sa décision au cotisant et, en cas de modification du redressement, lui adresse une mise en demeure rectificative, conformément à l'article L. 244-2, dans un délai de trente jours.'



Pour contester le redressement opéré par la [4], M. [O] soutient que le directeur n'a pas contre-signé la lettre d'observations et qu'il ne lui a pas été notifié dans ce document, la possibilité de saisir le comité des abus de droit.



La [4] réplique que le comité des abus de droit n'existe pas, que l'irrégularité ne porte pas grief et que les droits de la défense de M.[O] n'en ont pas été altérés.



Lorsque l'organisme de sécurité sociale écarte un acte juridique dans les conditions édictées par l'article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale auquel renvoie l'article L.725-25 du code rural et de la pêche maritime, il se place nécessairement sur le terrain de l'abus de droit. Il importe peu à cet égard que la [4] n'ait pas appliqué la pénalité égale à 20 % prévue en cas d'abus de droit, dès lors que l'organisme de recouvrement, qui a écarté les actes litigieux en raison de leur caractère fictif, s'est expressément ou implicitement placé sur le terrain de l'abus de droit. Il en résulte qu'il doit se conformer à la procédure prévue par le texte précité et les articles R.243-60-1 et R. 243-60-3 du code de la sécurité sociale et qu'à défaut de ce faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité. (Cass. Civ. 2, 16 février 2023).



En l'espèce, il résulte de l'examen des pièces produites, et notamment de la lettre de fin de contrôle adressée le 12 février 2018 à M. [O], que l'organisme de contrôle s'est expressément placé dans le cadre des dispositions de l'article L.725-25 du code rural, considérant que 'sur l'ensemble des exercices (...), l'activité de la société mère ([6]) résulte de la perception des produits financiers de la société fille (SARL [O]) et que la holding n'a pas d'activité propre.' Elle ajoute que 'sa date de création coïncide avec l'évolution législative portant sur la réforme des dividendes prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, en intégrant dans l'assiette des cotisations du chef d'exploitation ou d'entreprise agricole une part des revenus des capitaux mobiliers (RCM ou dividendes) et des intérêts en compte courant d'associés perçus par lui-même et par son conjoint partenaires PACS ou ses enfants mineurs non émancipés en leur qualité d'associés non participant aux travaux dans une société à l'IS' si bien qu'elle en conclut que 'la création de la holding n'a pas d'autre objectif que d'éluder les charges sociales dues en qualité de non salarié agricole au titre des revenus de capitaux mobiliers'.



C'est donc de manière expresse que la [4] a fait le choix d'opérer le redressement litigieux dans le cadre d'un abus de droit et dans cette hypothèse, le directeur de l'organisme exerçant le contrôle devait co-signer la lettre d'observations, peu important que finalement la pénalité spécifique de 20 % n'ait pas été mise en oeuvre. Or cette lettre a été signée par [M] [I] et [P] [E], contrôleurs agréés et assermentés [4], et non par le directeur de l'époque, M. [J] [T]. A cet égard, la [4] justifie d'une délégation de signature au profit de M. [E] (pièce n°23) pour 'signer au nom du directeur général, tous les documents nécessaires à la procédure de contrôle externe, et notamment l'avis de passage et le document de fin de contrôle.' Le grief invoqué par M. [O] n'est donc pas justifié, cette délégation de signature visant de manière limitative les actes que le délégataire peut signer pour le compte du directeur.



La lettre de contrôle mentionne également les dispositions de l'article R.724-9 du code rural et de la pêche maritime, qui accorde à la personne contrôlée un délai de 30 jours pour faire ses observations. En revanche, ne figure pas dans ce document de fin de contrôle la possibilité pour le cotisant de saisir le comité d'abus de droit dans un délai d'un mois.



La [4] entend s'exonérer de cette formalité en prétendant que la désignation des membres du comité d'abus de droit n'a pas été renouvelée depuis 2015, sans d'ailleurs en rapporter la preuve. La [4] qui ne justifie pas avoir accompli les démarches nécessaires auprès de l'autorité compétente pour provoquer la constitution de ce comité, ne saurait se prévaloir de la circonstance qu'à l'époque du contrôle, les membres du comité des abus de droit n'avaient pas été nommés, quand bien même ce comité n'a qu'un rôle consultatif. Il lui appartenait dans l'hypothèse où les organes de la procédure spécifique du contrôle pour abus de droit n'étaient pas efficients de renoncer à recourir à cette notion, dès lors que les dispositions législatives précisément adoptées pour assurer la protection des droits du cotisant s'avéraient impossibles à observer et que ces garanties ne pouvaient être respectées.



Par conséquent, en ne mettant pas en oeuvre la procédure spéciale prévue pour l'abus de droit et en n'informant pas le cotisant de ses droits, la [4] l'a privé de garanties de fond essentielles, ces manquements devant être sanctionnés par l'annulation du contrôle et des actes subséquents.



Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive





L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière assimilable au dol. En l'espèce, la [4] ne pouvait connaître lors de sa déclaration d'appel le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation qui résulte des arrêts du 16 février 2023. M. [O] ne démontre pas en quoi la [4] aurait agi dans la seule intention de lui nuire, ni avoir, du fait de son action, subi un préjudice quelconque. Il convient en conséquence de le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.



Sur les frais irrépétibles et les dépens



Les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge de la [4] qui succombe à l'instance et qui de ce fait ne peut prétendre à l'application des dispositions l'article 700 du code de procédure civile.



Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de M. [O] ses frais irrépétibles. La [4] sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 1 000 euros.



PAR CES MOTIFS :



La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,



Confirme le jugement dans toutes ses dispositions,



y ajoutant :



Déboute M. [O] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;



Condamne la [4] à verser à M. [O] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



Déboute chaque partie du surplus de ses demandes ;



Condamne la [4] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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