7 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-22.920

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00773

Titres et sommaires

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE - Contrat de travail, exécution - Employeur - Discrimination entre salariés - Nationalité - Action en justice - Prescription - Principe de non-discrimination - Droit à un recours juridictionnel effectif - Caractères nouveau et sérieux - Défaut - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Texte de la décision

SOC.

COUR DE CASSATION



BD4


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 7 juin 2023




NON-LIEU A RENVOI


M. SOMMER, président



Arrêt n° 773 FS-B

Pourvoi n° T 22-22.920




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 JUIN 2023


Par mémoire spécial présenté le 14 mars 2023, M. [G] [V], domicilié [Adresse 1] a formulé trois questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° T 22-22.920 qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 13 juillet 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans une instance l'opposant à la SNCF Voyageurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [V], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la SNCF Voyageurs, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bérard, conseillers, Mme Chamley-Coulet, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. M. [V], de nationalité marocaine, a été engagé, par la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), en qualité de cheminot, le 11 octobre 1974. Il a été soumis à un régime statutaire particulier résultant du règlement PS 21, puis de l'annexe A1 du règlement PS 25, devenu RH 0254. La relation contractuelle a cessé le 10 octobre 2000 et M. [V] a liquidé ses droits à la retraite le 1er janvier 2008. La loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a créé un groupe public ferroviaire comprenant notamment l'EPIC SNCF Mobilités, anciennement dénommé SNCF.

2. Estimant avoir été victime d'une discrimination en raison de sa nationalité, caractérisée notamment par une différence de traitement par rapport aux agents du cadre permanent relevant du statut de la SNCF, tant en ce qui a trait au déroulement de carrière qu'au régime de retraite qui lui a été appliqué, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 22 décembre 2017, d'une action en indemnisation des préjudices résultant de la discrimination alléguée dirigée contre les sociétés SNCF, SNCF Voyageurs venant aux droits de SNCF Mobilités et SNCF Réseau.

3. Par jugement du 23 octobre 2020, le conseil de prud'hommes a déclaré son action irrecevable comme étant prescrite. En appel, le salarié a dirigé ses demandes uniquement à l'encontre de la société SNCF Voyageurs. Le Défenseur des droits a présenté des observations. Par arrêt du 13 juillet 2022, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre cet arrêt, M. [V] a, par trois mémoires distincts et motivés, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel trois questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

Première question

« L'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail méconnaît-il le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il prévoit un délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination relativement bref de cinq ans, sans prévoir de garanties suffisantes entourant le droit au recours, qui permettraient de le rendre effectif ?

L'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, méconnaît-il le principe de non-discrimination dans le travail, garanti par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946, qui implique que les règles relatives à la prescription de l'action d'un salarié en réparation du préjudice résultant d'une discrimination soient entourées des garanties nécessaires afin qu'il soit effectivement protégé et indemnisé, en ce qu'il prévoit un délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination relativement bref de cinq ans, sans prévoir de garanties suffisantes entourant le droit au recours, qui permettraient de rendre effective la protection des salariés contre le principe de non discrimination ? »

Deuxième question

« L'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, méconnaît-il le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue tout au long de la carrière, à la rupture du contrat de travail et en ce qu'il exclut ainsi toute effectivité du recours en réparation de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter de la rupture du contrat de travail ?

L'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation méconnaît-il le principe de non-discrimination dans le travail, garanti par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946, qui implique que les règles relatives à la prescription de l'action d'un salarié en réparation d'une discrimination soient entourées des garanties nécessaires afin qu'il soit effectivement protégé et indemnisé, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue tout au long de la carrière, à la rupture du contrat de travail, dès lors que le salarié a eu antérieurement connaissance d'une différence de statut, et en ce qu'il exclut ainsi toute réparation effective de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans son existence et toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter de la rupture du contrat de travail ? »

Troisième question

« L'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, méconnait-il le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension et en ce qu'il exclut ainsi toute effectivité du recours en réparation de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter du moment où il s'est trouvé en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension ?

L'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation méconnait-il le principe de non-discrimination dans le travail, garanti par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946, qui implique que les règles relatives à la prescription de l'action d'un salarié en réparation d'une discrimination soient entourées des garanties nécessaires afin qu'il soit effectivement protégé et indemnisé, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension, dès lors que le salarié a eu antérieurement connaissance d'une différence de régime de retraite, et en ce qu'il exclut ainsi toute réparation effective de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans son existence et toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter du moment où il s'est trouvé en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension ? »

Examen de la recevabilité des deuxième et troisième questions prioritaires de constitutionnalité

5. Tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la juridiction suprême compétente.

6. Cependant, il n'existe pas, en l'état, de jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, serait interprété en ce qu'il aurait pour conséquence de fixer, dans tous les cas, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue tout au long de la carrière à date de la rupture du contrat de travail et celui du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension, les décisions invoquées (Soc. 29 mai 2019, n° 18-20018 ; Soc. 29 mai 2019, n° 18-14491) s'étant bornées à approuver les motifs par lesquels la cour d'appel a, aux cas d'espèce, retenu ces deux dates comme constituant la date de la révélation de la discrimination au sens de l'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail.

7. En conséquence, les deuxième et troisième questions prioritaires de constitutionnalité ne sont pas recevables.

Examen de la première question prioritaire de constitutionnalité

8. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne des demandes de réparation au titre d'une discrimination en raison de la nationalité en matière de déroulement de carrière et de retraite.

9. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

10. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

11. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux. En effet, l'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, en établissant un délai de prescription de cinq ans en matière de discrimination, ne déroge pas au délai de prescription de droit commun fixé à la même durée par l'article 2224 du code civil et il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-22.557, publié ; Soc., 18 mai 2022, pourvoi n° 21-11.870 ; Soc., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-21.309) que, quand bien même le salarié fait état d'une discrimination ayant commencé lors d'une période atteinte par la prescription, l'action n'est pas prescrite dès lors que cette discrimination s'est poursuivie tout au long de la carrière en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résulte que le salarié se fonde sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, de sorte que le principe de non-discrimination à raison de la nationalité découlant de l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne sont pas méconnus.

12. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT que les deuxième et troisième questions prioritaires de constitutionnalité sont irrecevables ;

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la première question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille vingt-trois.

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