7 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.968

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100400

Titres et sommaires

ARBITRAGE - Procédure - Irrégularités - Irrégularité soulevée devant l'institution en charge de l'organisation de l'arbitrage - Proposition devant le tribunal arbitral - Défaut - Motif légitime - Exclusion - Portée

Le fait d'avoir demandé, en vain, à l'institution en charge de l'organisation de l'arbitrage, la récusation d'un arbitre en raison d'un prétendu défaut d'indépendance ou d'impartialité ne constitue pas, au sens de l'article 1466 du code de procédure civile, un motif légitime de ne pas invoquer, devant le tribunal arbitral, l'irrégularité de sa constitution pour la même raison. L'exécution d'une sentence en France peut être refusée en application de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, dès lors que celle-ci, rendue par un arbitre dont le défaut d'indépendance ou d'impartialité serait établi, porterait atteinte au principe d'égalité entre les parties et aux droits de la défense et heurterait l'ordre public international. Il appartient au juge de la régularité de la sentence arbitrale d'apprécier l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre en relevant toute circonstance de nature à affecter le jugement de celui-ci et à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur ces qualités, qui sont de l'essence même de la fonction arbitrale

ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Recours en annulation - Cas - Contrariété à l'ordre public international - Existence - Recherche - Indépendance et impartialité de l'arbitre - Office du juge

ARBITRAGE - Récusation - Cause - Contestation de l'indépendance et de l'impartialité de l'arbitre - Recevabilité - Exclusion - Cas - Récusation non invoquée devant le tribunal arbitral

Texte de la décision

CIV. 1

HG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 juin 2023




Rejet


Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 400 F-B

Pourvoi n° Y 21-24.968




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUIN 2023

1°/ la société CNAN Group SPA, société de droit algérien, dont le siège est [Adresse 1] (Algérie),

2°/ la société International Bulk Carrier SPA, société de droit algérien, dont le siège est [Adresse 5] (Algérie),

ont formé le pourvoi n° Y 21-24.968 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 16), dans le litige les opposant :

1°/ à la société CTI Group Inc. Iles Cayman, dont le siège est [Adresse 4] (Iles Caimanes),

2°/ à la société [C] Commercial Investment Group Limited, dont le siège est [Adresse 2]),

3°/ à M. [T] [R] [F], domicilié [Adresse 3] (Syrie),

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société CNAN Group SPA, de la société International Bulk Carrier SPA, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société CTI Group Inc. Iles Cayman, de la société [C] Commercial Investment Group Limited, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Bruyère, conseiller faisant fonction de conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2021), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 1er février 2017, pourvoi n° 15-21.880), les sociétés algérienne CNAN Group (CNAN), CTI Group Inc. (CTI), de droit des Iles Caïman, et saoudienne [C] Commercial Investment Group Limited ([C]) ont conclu un protocole de partenariat en exécution duquel la société CNAN a créé la société algérienne International Bulk Carrier (IBC) dont les sociétés CTI et [C] et M. [F] ont acquis une partie du capital selon un contrat de cession d'actions prévoyant l'octroi par ceux-ci d'un prêt à la société IBC.

2. Invoquant l'absence de remboursement de ce prêt, les sociétés CTI et [C] ont, sur le fondement de la convention d'arbitrage du contrat de cession d'actions, saisi la Chambre de commerce internationale (CCI) d'une demande d'arbitrage.

3. Lors de la procédure arbitrale, la société CNAN a formé deux demandes en récusation de l'arbitre désigné par les sociétés [C] et CTI, lesquelles ont été rejetées par la Cour internationale d'arbitrage de la CCI.

4. Par une sentence rendue le 16 avril 2013 à Paris, le tribunal arbitral s'est déclaré compétent, a résilié les contrats de prêt aux torts de la société IBC, l'a condamnée à payer diverses sommes aux sociétés [C] et CTI, a prononcé la résolution du contrat de cession et a ordonné la restitution à la société CNAN des actions de la société IBC. Les sociétés CNAN et IBC ont formé un recours en annulation de la sentence.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième et cinquième moyens


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société CNAN fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son moyen tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral, alors « qu'aux termes de l'article 1466 du code de procédure civile, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ; que, pour déclarer irrecevables les griefs ayant fait l'objet des deux demandes de récusation, la cour d'appel a énoncé que le fait de se défendre au fond devant un tribunal arbitral sans avoir pris soin de soulever préalablement devant ce même tribunal l'irrégularité de sa constitution emporte ainsi renonciation à se prévaloir de cette irrégularité devant le juge de l'annulation" ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que la désignation de M. [J] en qualité d'arbitre par les sociétés [C] et CTI avait fait l'objet de deux procédures en récusation par lettres des 2 août 2011 et 27 décembre 2011, qui ont été rejetées par la Cour internationale de la CCI les 13 septembre 2011 et du 2 février 2012, décisions non susceptibles de recours, ce dont il résultait que la société CNAN avait un motif légitime pour ne pas invoquer, en vain, devant le tribunal arbitral l'irrégularité de sa composition, la cour d'appel a violé la disposition susvisée. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 1466 du code de procédure civile, auquel renvoie l'article 1506, 3°, du même code, applicable à l'arbitrage international, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

8. Le fait d'avoir demandé, en vain, à l'institution en charge de l'organisation de l'arbitrage, la récusation d'un arbitre en raison d'un prétendu défaut d'indépendance ou d'impartialité, ne constitue pas un motif légitime de ne pas invoquer, devant le tribunal arbitral, l'irrégularité de sa constitution pour la même raison.

9. Ayant relevé que la société CNAN s'était défendue au fond devant le tribunal arbitral sans invoquer l'irrégularité de la constitution de celui-ci, la cour d'appel en a exactement déduit que cette société était réputée avoir renoncé à s'en prévaloir, de sorte que le moyen d'annulation de la sentence, fondé sur cette irrégularité, n'était pas recevable.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

11. Les sociétés CNAN et IBC font grief à l'arrêt de dire que les moyens d'annulation ne sont pas fondés et de rejeter en conséquence le recours en annulation, alors :

« 1°/ que le recours en annulation est ouvert si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés CNAN et IBC ont fait valoir que le domicile de l'arbitre [J] était situé, dans un immeuble en copropriété à [Localité 6], sur le même palier que le siège social d'une filiale de la société [C], l'appartement appartenant à M. [X] [H] [C] et à son fils M. [N] [H] [C], qui en étaient respectivement nu propriétaire et usufruitier, étant précisé que l'arbitre avait caché cette ‘‘situation critiquée'' ", puis l'avait niée lors de la récusation, avant de se rétracter et de reconnaître à moitié cette situation", tous éléments" de nature à faire naître, un doute légitime dans (leur) esprit sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre" ou un doute raisonnable", par référence à l'arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2012 (Civ. 1re 10 octobre 2012, 11-20.299, Bull. I, n° 193) ; qu'en se bornant à énoncer que la seule circonstance que le domicile de l'un des arbitres se situe fortuitement à la même adresse qu'un logement appartenant à des dirigeants de la société [C], ne peut être suffisant en soi à caractériser un défaut d'indépendance de l'arbitre", sans se prononcer sur le doute légitime ou raisonnable sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre que cette cohabitation était de nature à faire naître dans l'esprit des sociétés CNAN et IBC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile ;

2°/ que le recours en annulation est ouvert si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés CNAN et IBC ont invoqué la lettre du 27 octobre 2010 de M. [J], dans laquelle il indiquait que le cabinet Gide Loyrette Nouel, avocat de la partie adverse, l'avait désigné comme arbitre dans deux autres affaires, terminées en 2006 et 2007", et qu'en 2005 et 2008, il avait établi deux consultations que, toujours le même cabinet Gide Loyrette Nouel, lui avait demandées", ce, en contradiction avec sa déclaration d'indépendance du 21 juillet 2010 dans laquelle il avait coché la case ‘‘Rien à révéler'', faits et circonstances (…) de nature à mettre en cause son indépendance dans (leur) esprit", suivant l'expression du paragraphe 2 de l'article 7 du Règlement d'arbitrage de la CCI ; qu'elles ont également invoqué le formulaire de la CCI, précisant : si vous avez une relation passée ou présente, directe ou indirecte, avec l'une quelconque des parties ou des entités qui leur sont liées ou avec l'un quelconque de leurs conseils ou autres représentants, qu'elle soit financière, professionnelle ou de tout autre ordre. Tout doute doit être résolu en faveur de la révélation. Toute révélation doit être complète et précise et mentionner les dates pertinentes (aussi bien de début que de fin) les relations financières, la désignation des personnes morales et physiques, ainsi que toute autre information pertinente", toutes exigences que, dans sa déclaration d'indépendance, l'arbitre n'avait pas respectées, une telle violation étant également de nature à faire naître un doute légitime sur son indépendance ; qu'en se bornant à énoncer que les relations professionnelles entre M. [J] et le cabinet Gide Loyrette Nouel ne revêtent pas un caractère systématique de nature à créer les conditions d'un courant d'affaires entre eux, lui-même de nature à créer un lien de dépendance de l'arbitre et ainsi atteindre la sentence rendue d'une méconnaissance de l'ordre public international", sans se prononcer sur le doute légitime sur l'indépendance de l'arbitre que sa réticence à révéler ses liens professionnels avec le cabinet d'avocat de la partie adverse avait pu faire naître dans l'esprit des sociétés CNAN et IBC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. En application de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si la reconnaissance ou l'exécution de celle-ci est contraire à l'ordre public international.

13. L'exécution d'une sentence en France peut être refusée dès lors que celle-ci, rendue par un arbitre dont le défaut d'indépendance ou d'impartialité serait établi, porterait atteinte au principe d'égalité entre les parties et aux droits de la défense et heurterait l'ordre public international.

14. Il appartient au juge de la régularité de la sentence arbitrale d'apprécier l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre en relevant toute circonstance de nature à affecter le jugement de celui-ci et à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur ces qualités, qui sont de l'essence même de la fonction arbitrale.

15. Ayant retenu, d'une part, que, si le domicile de l'un des arbitres se situait fortuitement à la même adresse qu'un logement appartenant à des dirigeants de la société [C], il n'était justifié, par ailleurs, d'aucune relation professionnelle ou personnelle entre ces personnes, alors que les consorts [C] ne résidaient pas dans le logement depuis plusieurs années, lequel était désormais occupé par une société tierce qui n'était pas une filiale de la société [C], d'autre part, que, s'il était établi que l'un des arbitres avait été désigné par le cabinet d'avocat de la partie adverse entre 2003 et 2011 à deux reprises, en 2006 et 2007, qu'il avait été proposé pour un autre arbitrage en 2011 et qu'il avait rédigé deux consultations juridiques pour ce même cabinet en 2005 et 2008, ces relations ne revêtaient toutefois pas un caractère systématique de nature à créer les conditions d'un courant d'affaires et un lien de dépendance, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que les circonstances invoquées par les sociétés CNAN et IBC n'étaient pas susceptibles de provoquer, dans leur esprit, un doute raisonnable sur l'indépendance de l'arbitre, a légalement justifié sa décision de ce chef.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société CNAN Group SPA et la société International Bulk Carrier SPA aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société CNAN Group SPA et la société International Bulk Carrier SPA et condamne ces sociétés, in solidum, à payer à la société CTI Group Inc. et à la société [C] Commercial Investment Group Ltd. la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille vingt-trois.

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