7 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.833

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100387

Titres et sommaires

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Office - Création d'un office en zone d'installation libre - Droit de présentation - Contrat de cession - Illicéité - Contrariété aux dispositions d'ordre public - Cas

Est illicite, en ce qu'il a pour effet de contrevenir aux dispositions d'ordre public ayant pour objet de prévoir des modalités de départage entre des demandeurs disposant d'un égal droit à être nommé, le contrat par lequel un notaire, nommé pour la création d'un office dans une zone dite « d'installation libre » à la suite d'un tirage au sort, use, peu de temps après sa nomination, de son droit de présentation en faveur d'un notaire qui n'a pas obtenu un rang suffisant au tirage au sort, alors qu'il n'a reçu aucun client ni instrumenté aucun acte, n'a pas ouvert de compte auprès de la Caisse des dépôts et consignations, n'a pas demandé de clé dite Real et a indiqué à la chambre des notaires qu'en cas de refus de la cession de son office, il demanderait sa suppression pure et simple

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 juin 2023




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 387 FS-B

Pourvoi n° F 21-16.833


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUIN 2023

M. [U] [F], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 21-16.833 contre le jugement rendu le 11 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Paris (4e chambre, 1re section), dans le litige l'opposant au garde des sceaux, ministre de la justice, domicilié direction des affaires civiles et du sceau, [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [F], et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen MM. Hascher, Bruyère, Ancel, conseillers, Mmes Dumas, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Cazaux-Charles, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2021), rendu en dernier ressort, M. [F] a été nommé notaire en résidence à [Localité 3] par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 14 décembre 2017.

2. Par un contrat conclu le 10 octobre 2018, M. [M], notaire nommé en résidence à [Localité 4], a cédé à M. [F], pour une somme d'un euro, son droit de présentation afin que celui-ci puisse postuler à la reprise de son office.

3. La direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice n'a pas répondu à la demande formée le 13 octobre 2018 par M. [F] et tendant à la suppression de son office à [Localité 3] et à sa nomination pour occuper l'office de M. [M].

4. Par requête du 23 janvier 2019, M. [F] a saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande et d'injonction sous astreinte au garde des sceaux de le nommer sans délai à Paris et de supprimer l'office de [Localité 3].

5. Par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a sursis à statuer sur la requête de M. [F] jusqu'à ce que le tribunal judiciaire de Paris se soit prononcé sur la licéité du contrat et lui a transmis la question de savoir si la cession du droit de présentation pour un prix symbolique en vue d'accéder à la titularité d'un office parisien ne réalisant aucune activité contrevenait ou non aux dispositions des articles 1128 et 1169 du code civil, ou à toute autre disposition de ce code.

6. Devant le tribunal judiciaire, le garde des sceaux, ministre de la justice, a conclu sans ministère d'avocat.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, et le second moyen, pris en sa première branche


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a lieu de statuer par une décision spécialement motivée ni sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, qui est irrecevable, ni sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, ni le second moyen, pris en sa première branche, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches,

délibéré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après débats à l'audience publique du 4 octobre 2022, où étaient présents : M. Pireyre président, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Kermina, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre.

Enoncé du moyen

8. M. [F] fait grief au jugement de déclarer recevables les conclusions signifiées par le ministre de la justice le 2 mars 2021, déclarer que la cession litigieuse du droit de présentation pour un prix symbolique en vue d'accéder à la titularité d'un office notarial parisien nouvellement créé et n'ayant eu aucune activité contrevient à l'article 1162 du code civil, dire n'y avoir lieu de déclarer nul le traité de cession conclu le 10 octobre 2018 entre M. [F] et M. [M], réserver les dépens, rejeter la demande des parties fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, et déclarer que le dossier de l'affaire sera transmis par le greffe au tribunal administratif de Paris, accompagné d'une copie de sa décision, alors :

« 1° / que selon l'article 760 du code de procédure civile, « les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat devant le tribunal judiciaire », les actes de procédure devant être remis à la juridiction par voie électronique à peine d'irrecevabilité relevée d'office, selon l'article 850 du même code ; que, selon l'article 761 du même code : « Les parties sont dispensées de constituer avocat dans les cas prévus par la loi ou le règlement et dans les cas suivants : 1° Dans les matières relevant de la compétence du juge des contentieux de la protection ; 2° Dans les matières énumérées par les articles R. 211-3-13 à R. 211-3-16, R. 211-3-18 à R. 211-3-21, R. 211-3-23 du code de l'organisation judiciaire et dans les matières énumérées au tableau IV-II annexé au code de l'organisation judiciaire ; 3° A l'exclusion des matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire, lorsque la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 euros ou a pour objet une demande indéterminée ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros […]. Dans les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire qui ne sont pas dispensées du ministère d'avocat, les parties sont tenues de constituer avocat quel que soit le montant sur lequel porte la demande. L'Etat, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration » ; que ce dernier texte, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, a été pris pour la mise en oeuvre, notamment, de l'article 5 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, selon lequel : « I.- Le I de l'article 2 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit est ainsi rédigé : « I. -Par dérogation au premier alinéa de l'article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans certaines matières, en raison de leur nature, ou en considération de la valeur du litige, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le tribunal de grande instance, outre par un avocat, par : « 1° Leur conjoint ; « 2° Leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ; « 3° Leurs parents ou alliés en ligne directe ; « 4° Leurs parents ou alliés en ligne collatérale jusqu'au troisième degré inclus ; « 5° Les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise. « Sous réserve des dispositions particulières, l'Etat, les régions, les départements, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration. « Un décret en Conseil d'Etat précise les critères mentionnés au premier alinéa qui dispensent de la représentation obligatoire par ministère d'avocat. « Le représentant, s'il n'est pas avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial. » » ; qu'en l'espèce, pour déclarer recevables les écritures du ministre, qui n'avait pas constitué avocat, ni n'avait donc transmis ses conclusions par voie électronique, le tribunal judiciaire a relevé que « Si l'objectif poursuivi par la réforme opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, tel qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi, a été d'étendre le principe de la représentation obligatoire par avocat, il n'a pas été envisagé de limiter la faculté pour l'État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics de se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration aux seuls cas où la représentation par avocat n'est pas obligatoire, cette situation étant au demeurant régie par l'article 762 du code de procédure civile qui ne comprend pas le texte litigieux » ; qu'en se déterminant ainsi, le tribunal judiciaire a violé l'article 5 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, relatif à l'extension de la représentation obligatoire par avocat, et les articles 760, 761 et 762 du code de procédure civile, issus du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 ;

2°/ que, subsidiairement, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif réglementaire, les juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non répressive sursoient à statuer jusqu'à ce que la question de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, sauf lorsqu'il apparaît manifeste, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge judiciaire ; qu'en l'espèce, l'exposant soutenait devant le tribunal judiciaire que le ministre de la justice devait constituer avocat en vertu de l'application combinée des articles 760 et 761 du code de procédure civile, ces dispositions, dans leur rédaction leur issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, constituant des mesure d'application réglementaires de l'article 5 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, la légalité de l'article 761 précité n'étant donc pas contestée ; qu'en l'espèce, pour déclarer recevable les écritures du ministre, le tribunal judiciaire a relevé que « Si l'objectif poursuivi par la réforme opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, tel qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi, a été d'étendre le principe de la représentation obligatoire par avocat, il n'a pas été envisagé de limiter la faculté pour l'État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics de se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration aux seuls cas où la représentation par avocat n'est pas obligatoire, cette situation étant au demeurant régie par l'article 762 du code de procédure civile qui ne comprend pas le texte litigieux » ; qu'il appartiendra dès lors à la Cour de cassation, en cas de rejet de la première branche du premier moyen de cassation, de demander à titre préjudiciel au Conseil d'État d'apprécier la légalité du dernier alinéa de l'article 761 du code de procédure civile, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, au regard de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, notamment de son article 5, relatif à l'extension de la représentation obligatoire par avocat, conformément principe de séparation des pouvoirs, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an III et l'article 49 du code de procédure civile.»

Réponse de la Cour

9. D'une part, selon l'article 2, I, de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, dans sa rédaction issue de l'article 5, I, de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et de l'article 35 de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, par dérogation au 1er alinéa de l'article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans certaines matières, en raison de leur nature, ou en considération de la valeur du litige, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le tribunal judiciaire, outre par un avocat, par l'une des personnes énumérées aux numéros 1° à 5° de ce texte. Ce texte prévoit, en outre, que, sous réserve des dispositions particulières, l'Etat, les régions, les départements, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.

10. Si l'objectif poursuivi par la réforme opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, tel qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi, a été d'étendre le principe de la représentation obligatoire par avocat, il n'a pas été envisagé de limiter la faculté pour l'Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics de se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration aux seuls cas où la représentation par avocat n'est pas obligatoire.

11. Ainsi l'article 2, I, de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 doit être interprété en ce sens que la faculté pour l'Etat, les régions, les départements, les communes et les établissements publics de se faire représenter ou assister devant le tribunal judiciaire par un fonctionnaire ou un agent de leur administration, autonome dans sa mise en oeuvre, n'est pas restreinte aux seules matières dans lesquelles les parties sont dispensées de constituer avocat, de sorte qu'elle s'applique également lorsque la représentation par avocat est, en principe, obligatoire, sauf disposition particulière présentant alors un caractère dérogatoire.

12. D'autre part, ne présente pas de caractère sérieux la contestation de la légalité du dernier alinéa de l'article 761 du code de procédure civile, dont le libellé reprend les termes de la loi organisant le mécanisme de représentation de l'Etat et des entités publiques devant le juge judiciaire, et qui ne tend en conséquence qu'à remettre en discussion l'interprétation de la loi telle qu'elle résulte des § 8 à 10 et qui ne démontre pas en quoi le texte serait contraire à une norme de nature législative.

13. Ayant retenu que, si l'objectif poursuivi par la réforme opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, tel qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi, a été d'étendre le principe de la représentation obligatoire par avocat, il n'a pas été envisagé de limiter la faculté pour l'État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics de se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration aux seuls cas où la représentation par avocat n'est pas obligatoire, cette situation étant au demeurant régie par l'article 762 du code de procédure civile qui ne comprend pas le texte litigieux, et qu'il résulte du dernier alinéa de l'article 761, qui énonce les cas de dispense à l'obligation de constituer avocat prévue par l'article 760, que l'État bénéficie d'une dispense générale et peut dès lors se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de son administration lorsque la représentation par avocat est obligatoire, le tribunal, statuant en matière de procédure avec représentation obligatoire, hors cas dérogatoire, en a exactement déduit que les conclusions du ministre de la justice, dispensé de l'obligation d'être représenté par un avocat, étaient recevables.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

15. La demande subsidiaire de renvoi préjudiciel devant le Conseil d'Etat sera rejetée.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

16. M. [F] fait grief au jugement de déclarer que la cession litigieuse du droit de présentation pour un prix symbolique en vue d'accéder à la titularité d'un office notarial parisien nouvellement créé et n'ayant eu aucune activité contrevient à l'article 1162 du code civil et de dire n'y avoir lieu de déclarer nul le traité de cession conclu le 10 octobre 2018 entre lui-même et M. [M], alors :

« 2°/ que, tant qu'il n'a pas été destitué, le notaire est titulaire du droit patrimonial de présentation qu'il exerce librement, en contrepartie d'un prix de cession représentatif des produits de l'office et de sa clientèle ; qu'en l'espèce, le tribunal judiciaire a constaté que le notaire cédant avait régulièrement prêté serment, qu'il n'avait pas été déclaré démissionnaire d'office, qu'il était donc régulièrement investi du droit de présentation, que la convention de cession n'était pas dépourvue de tout contenu, qu'elle prévoyait un prix dont il n'était pas établi qu'il était dérisoire, le cessionnaire exerçant quant à lui régulièrement en sa qualité de notaire ; que pour retenir néanmoins que la convention de cession du 10 octobre 2018 était illicite, le tribunal a relevé que la cession était intervenue très peu de temps après la nomination du cédant, que le cédant n'avait reçu aucun client ni instrumenté aucun acte depuis sa prestation de serment, qu'il n'avait ouvert aucun compte auprès de la Caisse des dépôts et consignation, ni demandé de clé Real, et retenu qu'il n'avait jamais cherché à développer et exercer son activité, en dépit de son obligation d'instrumenter ; qu'en se déterminant par de tels motifs inopérants, le tribunal judiciaire n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816, de l'article 45 de l'ordonnance n° du 28 juin 1945, de l'article 55-1 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 et de l'article 3 de la loi du 25 ventôse an XI ;

3°/ que la fraude ne se présume pas, ne peut se déduire des conventions licites qui sont passées et qu'elle doit résulter d'actes clairs et non équivoques par lesquels est manifestée la volonté d'éluder l'application de la loi normalement applicable ; qu'un notaire en exercice, dont les qualités personnelles et l'activité régulière sont incontestées, peut valablement être cessionnaire d'un office nouvellement créé, peu important qu'il n'avait pas lui-même été tiré au sort en rang utile au titre de l'article 53 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, une telle circonstance ne caractérisant par elle-même aucune fraude ; qu'en l'espèce, le ministre, tout en excluant sa réalisation au cas d'espèce, se bornait à s'inquiéter d'un risque général et hypothétique de « volatilité des prix » ; que le tribunal judiciaire, qui a considéré, en dépit de l'analyse contraire du ministre, que la convention de cession du 10 octobre 2018 n'était pas dépourvue d'objet et que son prix n'était pas dérisoire, a toutefois retenu qu'elle était illicite en relevant qu'elle avait eu « pour effet de contrevenir aux dispositions d'ordre public de la loi n° 2015-990 [du 6 août 2015] et du décret [précité] n° 73-609 en permettant aÌ un notaire évincé par le tirage au sort, M. [F], de disposer d'un office dépourvu de toute consistance et nouvellement créé à Paris » ; qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser la fraude, le tribunal judiciaire a violé le principe et les textes précités, ensemble l'article 1162 du code civil. »

Réponse de la Cour

17. Aux termes de l'article 1162 du code civil, le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties.

18. Selon l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dans les zones dites « d'installation libre », où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services, les candidats remplissant les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommés notaires ont vocation à pouvoir librement s'installer, dans la limite d'un rythme de création recommandé, et qui doit être compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels dans la zone concernée, afin de ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants.

19. Aux termes de l'article 53 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 pris pour l'application de la loi précitée, dans les zones d'installation libre, le garde des sceaux, ministre de la justice, nomme les demandeurs au regard des recommandations dont est assortie la carte et suivant l'ordre d'enregistrement de leur demande. Toutefois, lorsque le nombre des demandes de création d'office enregistrées dans les vingt-quatre heures suivant la date d'ouverture du dépôt des demandes est supérieur, pour une même zone, aux recommandations, l'ordre de ces demandes est déterminé par tirage au sort, en présence d'un représentant du conseil supérieur du notariat, dans des conditions prévues par un arrêté du garde des sceaux.

20. Le tribunal a relevé, d'abord, que le notaire cessionnaire avait déposé une demande portant sur un office créé à Paris et obtenu, après tirage au sort, le rang n° 1677 pour un objectif de création de quatre-vingt-seize offices.

21. Il a constaté, ensuite, que le notaire cédant n'avait reçu aucun client ni instrumenté aucun acte depuis sa prestation de serment, qu'il n'avait pas ouvert de compte auprès de la Caisse des dépôts et consignations, ce qui lui interdisait tout fonctionnement de l'office puisqu'aucun flux financier ne pouvait être perçu ou attribué à un client, qu'il n'avait pas demandé de clé dite Real, condition indispensable à la réalisation de tout acte, qu'il avait indiqué à la chambre des notaires avoir renoncé à s'installer comme notaire, qu'il avait cédé son office et que, si cette cession était refusée, il demanderait sa suppression pure et simple.

22. Il a relevé, enfin, que la cession du droit de présentation était intervenue peu de temps après la nomination, par arrêté du 27 décembre 2017, du notaire cédant.

23. Le tribunal en a exactement déduit que le contrat, qui avait pour effet de contrevenir aux dispositions d'ordre public ayant pour objet de prévoir des modalités de départage entre des demandeurs disposant, en vertu de la loi, d'un égal droit à être nommé, était illicite.

24. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

25. M. [F] fait le même grief au jugement, alors « que la nullité d'une convention conclue en méconnaissance des dispositions de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, modifié par le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016, qui posent, sous certaines conditions, le principe de la libre installation des notaires et se bornent à assurer l'égalité de traitement entre candidats, est une nullité relative en ce que ces règles tendent à la sauvegarde d'intérêts privés ; qu'en l'espèce, le tribunal judiciaire pour déclarer que la cession litigieuse du droit de présentation contrevenait à l'article 1162 du code civil, a relevé que les règles précitées violées par le contrat ont indiscutablement pour objet la sauvegarde de l'intérêt général et non celle d'un intérêt privé, si bien qu'il s'agit d'une nullité absolue pouvant être demandée par toute personne justifiant d'un intérêt conformément aux articles 1179 et 1180 du code civil, et que la chancellerie disposait indéniablement d'un intérêt à soutenir l'annulation de ce contrat ; qu'en se déterminant ainsi, le tribunal judiciaire a violé les textes précités, et les articles 1179 et 1180 du code civil. »

Réponse de la Cour

26. Aux termes de l'article 1179, alinéa 1er, du code civil, la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général.

27. Aux termes de l'article 1180, alinéa 1er, du code civil, la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d'un intérêt, ainsi que par le ministère public.

28. Le tribunal qui a retenu, à bon droit, que les règles violées par le contrat de cession du droit de présentation, lesquelles régissaient les conditions d'accès aux fonctions de notaire, avaient pour objet la sauvegarde de l'intérêt général, en a exactement déduit que l'acte était atteint d'une nullité absolue que le garde des sceaux, ministre de la justice, avait un intérêt à soutenir.

29. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Rejette la demande de question préjudicielle ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille vingt-trois.

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