6 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-83.037

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00691

Texte de la décision

N° N 22-83.037 F-D

N° 00691


SL2
6 JUIN 2023


REJET


Mme LABROUSSE conseiller le plus ancien faisant fonction de président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 JUIN 2023



La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 21 avril 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim. 17 novembre 2020, pourvoi n° 19-87.904), pour entrave, l'a condamnée à 10 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [2], les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité social et économique [3], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents Mme Labrousse, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Maziau, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par actes en date du 19 janvier 2017, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de [1] a cité à comparaître la société [2] et M. [U] [V], en qualité de président du CHSCT, devant le tribunal correctionnel, du chef de délit d'entrave, pour ne pas avoir informé et consulté ledit comité préalablement à la mise en oeuvre, en avril 2014 et au cours de l'année 2015, de la revue du personnel.

3. Par jugement en date du 14 janvier 2019, le tribunal a relaxé M. [V] et condamné la société [2] du chef susvisé.

4. La société [2], puis le ministère public, ont interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche


5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable de délit d'entrave tel que prévu et réprimé par l'article L. 4742-1 du code du travail, alors :

« 2°/ que le délit d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail ne peut résulter d'un défaut d'information-consultation qu'à la condition que soit caractérisée la méconnaissance d'une obligation légale d'informer et de consulter le comité ; qu'il résulte de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, que la consultation du CHSCT n'est obligatoire qu'en cas projet d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; que l'importance d'un projet se mesure au regard de ses incidences sur les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés et suppose que soit caractérisée l'existence de modifications durables et substantielles aux conditions de santé et de sécurité ou aux conditions de travail du personnel ; qu'il en résulte que seule la survenance d'un changement substantiel et significatif des conditions de travail par rapport à la situation antérieure au projet est susceptible de caractériser un projet important ; qu'en se bornant, pour juger que la revue du personnel aurait dû être soumise au CHSCT, à affirmer que cet outil d'évaluation et ses modalités de mise en oeuvre étaient de nature à générer une pression psychologique importante sur les salariés et avoir une incidence sur leur comportement et leur santé, sans préciser en quoi la revue du personnel constituait une décision importante modifiant de façon substantielle ou significative les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 4612-8-1 et L. 4742-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour caractériser le délit d'entrave, l'arrêt attaqué retient que la société prévenue soutient avoir voulu doter les managers du groupe d'un outil de gestion leur permettant de mieux appréhender les entretiens d'évaluation et d'améliorer l'appréciation de leurs collaborateurs.

8. Les juges soulignent que le document intitulé « la revue du personnel » se présente comme une grille d'évaluation des compétences professionnelles du personnel avec des critères qualitatifs précis et non, ainsi qu'il est prétendu, un document support à la formation des cadres destiné à améliorer l'entretien annuel d'évaluation des salariés.

9. Ils précisent que cette grille est différente de celle utilisée à l'occasion des entretiens annuels d'évaluation, notifiée aux salariés, de sorte qu'elle constitue en réalité une évaluation occulte.

10. Ils observent que si la revue du personnel est mentionnée dans l'accord du 28 avril 2014, les items utilisés dans les fiches de cette revue ne sont pas précisés, n'étant pas destinés à répondre aux souhaits des collaborateurs, mais à les évaluer.

11. Ils constatent qu'en qualité d'outil d'évaluation, la revue du personnel est de nature à générer une pression psychologique importante sur les salariés dès lors que sa finalité est de servir à déterminer les modalités de promotion interne.

12. Ils en déduisent que, compte tenu de son impact potentiel sur le comportement et la santé des salariés, la revue du personnel devait être présentée au CHSCT.

13. Ils remarquent que, contrairement à ce que soutient la société prévenue, chacun des CHSCT du groupe devait être consulté et non, comme il est prétendu, l'instance de coordination des CHSCT, laquelle n'a pas vocation à se substituer auxdits comités et n'a été constituée, en l'espèce, que postérieurement à la dénonciation du système d'évaluation occulte.

14. Ils ajoutent, pour caractériser l'élément intentionnel du délit, que l'inobservation des règles d'information et de consultation du comité est constitutive du délit d'entrave, peu important l'absence d'intention de nuire caractérisée ou de volonté de porter atteinte à la représentation du personnel en particulier.

15. Ils concluent que l'intention est d'autant plus caractérisée que, lorsque la revue du personnel a été dénoncée, la société prévenue a tenté de détruire les fiches d'évaluation et n'en a été empêchée que par une décision du juge des référés.

16. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

17. En effet, c'est sans insuffisance ni contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions des parties que les juges du fond ont, par une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve produits au débat, considéré que le défaut d'information préalable du CHSCT de [1] sur la mise en oeuvre de la revue du personnel caractérise le délit d'entrave dès lors que ladite revue constitue une évaluation occulte de nature à avoir un impact significatif sur les modalités de promotion interne au sein des différentes entités du groupe comme sur la santé des salariés.

18. Le grief ne peut qu'être écarté.

19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la société [2] devra payer au comité économique et social [3] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille vingt-trois.

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