1 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.303

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00648

Titres et sommaires

REPRESENTATION DES SALARIES

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er juin 2023




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 648 FS-B

Pourvoi n° Q 22-13.303




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUIN 2023

La fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires unitaires démocratiques, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 22-13.303 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société SNCF gares et connexions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ au comité social et économique gares et connexions (comité central d'entreprise), dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la Fédération nationale des travailleurs cadres et techniciens des chemins de fer français CGT, dont le siège est [Adresse 3],

4°/ à l'Union nationale des syndicats autonomes-ferroviaire, dont le siège est [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires unitaires démocratiques, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société SNCF gares et connexions, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat du comité social et économique gares et connexions et de l'Union nationale des syndicats autonomes-ferroviaire, et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 19 avril 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ott, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Sommé, Bouvier, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 2022), le Groupe public ferroviaire, créé par la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, était initialement constitué de trois établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), dont l'EPIC SNCF mobilités en charge des missions d'exploitation des services de transport ferroviaire, lequel comprenait en son sein l'entité « Gares & connexions » chargée de la gestion, de la modernisation et du développement des 3 000 gares ferroviaires sur le réseau et employant environ 3 100 salariés.

2. Dans la perspective de la mise en place des comités sociaux et économiques instaurés par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, des négociations se sont engagées au plan national avec les organisations syndicales représentatives, ces négociations portant à la fois sur la détermination des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques et sur la mise en place de représentants de proximité.

3. Faute d'accord, la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques a été faite par décision unilatérale et le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sur recours, a validé cette décision et la reconnaissance de trente-trois établissements distincts. Par jugement du 11 octobre 2018, le tribunal d'instance de Saint-Denis, saisi d'un recours contre cette décision, a fixé le nombre d'établissements distincts à trente-trois comités sociaux et économiques, dont un établissement « Gares & connexions ». Par arrêt du 19 décembre 2018 (Soc., 19 décembre 2018, pourvoi n° 18-23.655, publié), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre ce jugement.

4. A la suite des élections professionnelles s'étant déroulées le 22 novembre 2018, un accord d'établissement, prévoyant en son chapitre 4 la désignation de vingt-cinq représentants de proximité, a été signé le 25 janvier 2019 au sein de l'établissement « Gares & connexions » par l'Union nationale des syndicats autonomes ferroviaire (l'UNSA ferroviaire), l'une des deux organisations syndicales représentatives au niveau de cet établissement.

5. Lors de la première réunion du comité social et économique d'établissement de la SNCF gares et connexions, le 29 janvier 2019, l'UNSA ferroviaire a désigné vingt-et-un représentants de proximité, la CGT cheminot désignant quatre représentants de proximité lors de la réunion suivante du 28 février 2019.

6. Contestant la validité des dispositions de l'accord du 25 janvier 2019 et du règlement intérieur adopté par le comité social et économique d'établissement relatives à la mise en place des représentants de proximité, la fédération des syndicats de travailleurs solidaires unitaires démocratiques (la fédération Sud Rail), autorisée par ordonnance du 14 mars 2019 à procéder à jour fixe, a fait assigner devant le tribunal de grande instance l'EPIC SNCF mobilités, le comité social et économique gares et connexions, la fédération nationale des travailleurs cadres et techniciens des chemins de fer français CGT et l'UNSA ferroviaire en demandant au tribunal, notamment, de juger illicites les dispositions contenues au chapitre 4 de « l'accord relatif à la mise en place du comité social économique de SNCF Gares & Connexions en date du 25 janvier 2019 » et en conséquence en prononcer l'annulation, juger illicites les dispositions contenues aux termes de l'article 7.3.4.3 du règlement intérieur adopté le 25 janvier 2019 par le comité social et économique de l'établissement gares et connexions et en conséquence en prononcer l'annulation, et annuler les désignations des représentants de proximité.

7. En application de la loi n° 2018-515 pour un nouveau pacte ferroviaire du 27 juin 2018 et de son ordonnance d'application n° 2019-552 du 3 juin 2019, les trois EPIC constituant le Groupe public ferroviaire ont été remplacés, le 1er janvier 2020, par cinq sociétés, composant le nouveau Groupe public unifié, parmi lesquelles la société SNCF gares et connexions, en charge des activités de prestations et services en gares, l'établissement « Gares & connexions » déterminé pour la mise en place d'un des trente-trois comités sociaux et économiques d'établissement relevant de cette dernière société.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. La fédération Sud Rail fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes – dont celle tendant à voir juger illicites les dispositions contenues au chapitre 4 de l'accord relatif à la mise en place du comité social et économique de la SNCF Gares & Connexions en date du 25 janvier 2019 ainsi que celles contenues à l'article 7.3.4.3 du règlement intérieur adopté par le comité social et économique d'établissement gares et connexions et à l'annulation de ces dispositions, alors :

« 1°/ qu'afin d'assurer la cohérence et l'homogénéité de la désignation des représentants de proximité entre les différents établissements d'une entreprise ainsi que l'égalité entre ses salariés, notamment au regard du principe constitutionnel de participation, seul l'accord d'entreprise déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts visé par l'article L. 2313-2 du code du travail peut mettre en place des représentants de proximité et définir leur nombre, leurs attributions, notamment en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, les modalités de leur désignation ainsi que leurs modalités de fonctionnement ; qu'en l'espèce, la fédération Sud Rail faisait valoir que l'accord d'établissement conclu le 25 janvier 2019 entre l'employeur et l'UNSA ferroviaire, pour la mise en place de représentants de proximité au sein de l'établissement Gares & Connexions, en lieu et place de l'accord d'entreprise prévu par l'article L. 2313-2 du code du travail, était, partant, illicite et encourait donc l'annulation, et qu'il en allait de même, par suite, des dispositions du règlement intérieur adopté par le CSE d'établissement ; que pour écarter la contestation de la Fédération, les juges d'appel ont toutefois jugé, après voir relevé qu'il n'était pas fait de distinction, par la loi, sur les conditions de validité qui sont identiques qu'il s'agisse d'un accord d'entreprise ou d'un accord d'établissement, que la signature de cet accord d'établissement était régulière et portait sur des prérogatives relevant du domaine de la négociation ; qu'ils ont également retenu que, contrairement à ce que soutenait la fédération Sud Rail, aucune disposition légale ou conventionnelle ne s'opposait à la mise en place de représentants de proximité au niveau de l'établissement Gares et Connexions, au seul motif que cette instance de représentation n'avait pas été prévue par l'accord d'entreprise déterminant le nombre et le périmètre des établissements de la SNCF mobilités ; qu'en statuant ainsi, quand la loi prévoit expressément que seul l'accord d'entreprise déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts peut mettre en place des représentants de proximité, la cour d'appel a violé l'article L. 2313-7 du code du travail, ensemble les articles L. 2313-2 et L. 2232-12 du même code, le principe d'égalité et le principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, consacré par le 8ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

2°/ qu'afin d'assurer la cohérence et l'homogénéité de la désignation des représentants de proximité entre les différents établissements d'une entreprise ainsi que l'égalité entre ses salariés, notamment au regard du principe constitutionnel de participation, seul un accord d'entreprise peut prévoir la mise en place de représentants de proximité et définir leur nombre, leurs attributions, leurs modalités de désignation et leurs modalités de fonctionnement ; que pour écarter la contestation de la fédération Sud Rail portant sur la signature de l'accord d'établissement Gares & Connexions du 25 janvier 2019, les juges d'appel ont retenu qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne s'opposait à la mise en place de représentants de proximité au niveau de l'établissement Gares & Connexions, en raison de l'échec de la négociation au niveau de l'entreprise de l'accord relatif au fonctionnement des CSE en décembre 2018, qui s'est soldée par la signature, le 8 février 2019, d'un accord technique ne reprenant pas les dispositions proposées par la direction du groupe ferroviaire, sur les représentants de proximité ; qu'en statuant ainsi, quand les articles L. 2313-2, L. 2313-7 et L. 2232-12 du code du travail, qui doivent être interprétés en conformité avec le principe constitutionnel d'égalité et le principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail consacré par le 8ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, impose que l'accord mettant en place les représentants de proximité soit, en toute hypothèse, un accord d'entreprise et non un accord d'établissement, la cour d'appel a violé les articles L. 2313-2, L. 2313-7 et L. 2232-12 du code du travail, ensemble les principes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2313-7, L. 2313-2 et L. 2232-12 du code du travail :

9. Aux termes de l'article L. 2313-7 du code du travail, l'accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 peut mettre en place des représentants de proximité. L'accord définit également :1° Le nombre de représentants de proximité ; 2° Les attributions des représentants de proximité, notamment en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail ; 3° Les modalités de leur désignation ; 4° Leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d'heures de délégation dont bénéficient les représentants de proximité pour l'exercice de leurs attributions. Les représentants de proximité sont membres du comité social et économique ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité.

10. Aux termes de l'article L. 2313-2 du même code, un accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12, détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts.

11. Le premier alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail dispose que la validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants.

12. Il résulte des textes susvisés que les représentants de proximité ne peuvent être mis en place que par l'accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12, qui détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts.

13. Toutefois, dans le cas où le nombre et le périmètre des établissements distincts ont été déterminés par décision unilatérale de l'employeur conformément à l'article L. 2313-4 du code du travail ou sur recours contre celle-ci par application de l'article L. 2313-5 du même code, un accord d'entreprise conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12 de ce code peut prévoir pour l'ensemble de l'entreprise la mise en place de représentants de proximité rattachés aux différents comités sociaux et économiques d'établissement.

14. Pour rejeter les demandes en annulation, l'arrêt retient que, selon l'article L. 2232-12 du code du travail, il n'est pas fait de distinction par la loi sur les conditions de validité qui sont identiques qu'il s'agisse d'un accord d'entreprise ou d'un accord d'établissement, que la signature d'un accord le 25 janvier 2019 par l'UNSA ferroviaire, ayant obtenu 59% des voix lors des élections professionnelles au comité social et économique d'établissement,
est par suite régulière au sein de cet établissement sur des prérogatives qui relèvent du domaine de la négociation, dont celle de mettre en place des représentants de proximité en application de l'article L. 2313-7 du code du travail, lequel précise que l'accord définit également leur nombre, leurs attributions, les modalités de leur désignation et de leur fonctionnement.

15. L'arrêt ajoute qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne s'oppose à la mise en place de représentants de proximité au niveau de l'établissement Gares et connexions au seul motif que cette instance de représentation n'avait pas été prévue par l'accord d'entreprise qui a déterminé le nombre et le périmètre des établissements de la SNCF mobilités ou en raison de l'échec de la négociation au niveau de l'entreprise de l'accord relatif au fonctionnement des comités sociaux et économiques en décembre 2018 qui s'est soldée par la signature le 8 février 2019 d'un accord technique ne reprenant pas les dispositions sur les représentants de proximité proposées par la direction du groupe ferroviaire.

16. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les représentants de proximité avaient été instaurés par un accord d'établissement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation du chef de dispositif de l'arrêt rejetant les demandes en annulation du chapitre 4 de « l'accord relatif à la mise en place du comité social et économique SNCF Gares & Connexions » en date du 25 janvier 2019 et des dispositions de l'article 7.3.4.3 du règlement intérieur adopté le 25 janvier 2019 par le comité social et économique de l'établissement gares et connexions entraîne la cassation du chef de dispositif, visé par le second moyen, rejetant la demande de déclarer sans effet les désignations des représentants de proximité effectuées dans l'établissement dès lors que la nullité du chapitre 4 de l'accord d'établissement précité emporte la caducité des mandats de représentants de proximité.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit recevable l'action de la fédération des syndicats des travailleurs du rail solidaires unitaires et démocratiques Sud Rail, l'arrêt rendu le 13 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société SNCF gares et connexions aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-trois.

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