1 juin 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.311

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00386

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Impôt de solidarité sur la fortune - Assiette - Demande d'éclaircissements ou de justifications - Réponse au contribuable - Délai minimum - Respect par l'administration - Sanction

Si l'administration a la faculté de demander aux redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations qu'ils ont souscrites sur le fondement de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, c'est sur le fondement de l'article L. 23 A du même livre qu'elle doit, si elle l'estime nécessaire, leur adresser une demande d'éclaircissements et de justifications portant sur la composition de l'actif et du passif de leur patrimoine ou sur le caractère insuffisant de la réponse à cette demande. L'erreur consistant pour l'administration à fonder sa demande sur l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, au lieu de l'article L. 23 A du même livre, qui n'est pas de celles pour lesquelles une nullité est expressément prévue par la loi ou par les engagements internationaux conclus par la France, n'emporte décharge des droits mis en recouvrement à la suite de la rectification de la déclarations d'ISF que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la défense du contribuable, laquelle n'est constituée que si ce dernier a été privé du délai de deux mois prévu à l'article L. 23 A du livre des procédures fiscales pour préparer les éléments de réponse à apporter à l'administration

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er juin 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 386 FS-B

Pourvoi n° Z 21-19.311










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUIN 2023

M. [C] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-19.311 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant au directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [P], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Graff-Daudret, M. Ponsot, Mme Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, Mme Gueguen, premier avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 mai 2021) et les productions, M. [P], résident fiscal monégasque, est porteur de 99,9 % des parts de la société civile immobilière de droit français [Adresse 3] (la SCI). A ce titre, il souscrit chaque année en France une déclaration au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Il a porté une certaine somme au passif de ses déclarations au titre de l'ISF sous l'intitulé « capital non libéré ». Constatant que les justificatifs de cette dette n'avaient pas été produits, l'administration fiscale les lui a demandés, puis lui a adressé une proposition de rectification au titre de l'ISF dû pour les années 2012, 2013 et 2014.

2. Après mise en recouvrement des droits dus et des intérêts de retard, et rejet de ses réclamations, M. [P] a assigné l'administration fiscale afin d'obtenir la décharge des impositions et pénalités contestées.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu'en application du principe specialia generalibus derogant, lorsque l'administration fiscale entend demander à un redevable de l'ISF des éclaircissements et des justifications sur la composition de l'actif et du passif de son patrimoine, elle doit mettre en œuvre la procédure de contrôle spécialement instituée à l'article L. 23 A du livre des procédures fiscales, et non pas la procédure de contrôle prévue par l'article L. 10 du même livre, de portée générale ; qu'en jugeant que les dispositions de l'article L. 23 A du livre des procédures fiscales ne faisaient pas obstacle à la mise en œuvre de la procédure de contrôle prévue par l'article L. 10, eu égard à leur caractère facultatif, pour en déduire l'absence de détournement de procédure et d'irrégularité de la procédure d'imposition, quand le caractère spécial de la procédure instituée par l'article L. 23 A du livre des procédures fiscales interdisait en l'espèce au service de mettre en œuvre la procédure prévue par l'article L. 10, l'administration ayant demandé des justifications quant au passif invoqué par M. [P], lié au capital non libéré de la SCI, relativement à l'ISF, la cour d'appel a violé l'article L. 10 du livre des procédures fiscales par fausse application, L. 23 A du même code par refus d'application, ensemble le principe specialia generalibus derogant. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles L. 10 et L. 11 du livre des procédures fiscales que l'administration fiscale peut, dans le cadre du contrôle des déclarations, demander aux contribuables de fournir tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations qu'ils ont souscrites, dans un délai de trente jours à compter de la notification de la demande de renseignements.

5. Selon l'article L. 23 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, en vue du contrôle de l'ISF, l'administration peut demander aux redevables des éclaircissements et des justifications sur la composition de l'actif et du passif de leur patrimoine, en leur fixant un délai de réponse qui ne peut être inférieur à deux mois, et peut rectifier les déclarations d'ISF en se conformant à la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55 du même livre en l'absence de réponse dans ce délai ou si les éclaircissements ou justifications sont estimés insuffisants.

6. Ainsi, si l'administration fiscale a la faculté de demander aux redevables de l'ISF tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations qu'ils ont souscrites sur le fondement de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, c'est sur le fondement de l'article L. 23 A du même livre qu'elle doit, si elle l'estime nécessaire, leur adresser une demande d'éclaircissements et de justifications portant sur la composition de l'actif et du passif de leur patrimoine ou sur le caractère insuffisant de la réponse apportée à cette demande.

7. Il résulte toutefois de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales qu'une erreur commise dans la procédure d'imposition n'emporte décharge des droits dus, majorations, amendes et intérêts de retard que lorsqu'elle a eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense ou lorsqu'elle est de celles pour lesquelles la nullité est expressément prévue par la loi ou par les engagements internationaux conclus par la France. Lorsqu'une erreur non substantielle a été commise dans la procédure d'imposition, la juridiction saisie peut prononcer la décharge des majorations et amendes à l'exclusion des droits dus en principal et des intérêts de retard.

8. L'erreur consistant, pour l'administration, à fonder sa demande sur l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, au lieu de l'article L. 23 A du même livre, qui n'est pas de celles pour lesquelles une nullité est expressément prévue par la loi ou par les engagements internationaux conclus par la France, n'emporte décharge des droits mis en recouvrement à la suite de la rectification de la déclaration d'ISF que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la défense du contribuable, laquelle n'est constituée que si ce dernier a été privé du délai de deux mois prévu à l'article L. 23 A du livre des procédures fiscales pour préparer les éléments de réponse à apporter à l'administration.

9. L'arrêt relève que l'administration a adressé à M. [P], les 7 octobre 2014 et 23 janvier 2015, des demandes de justifications de la dette portée au passif de ses déclarations d'ISF sous l'intitulé « capital non libéré », auxquelles il a répondu le 2 février 2015 et qu'elle lui a ensuite transmis, le 3 février 2015, une demande d'information complémentaire concernant le détail de la valorisation des parts de la SCI à laquelle il a répondu le 10 mars 2015. Il ajoute que, par lettres des 10 avril 2015 et 22 octobre 2015, l'administration fiscale lui a demandé de donner le détail de la valorisation de l'actif de la société dès lors qu'il n'avait pas répondu à cette partie de la question dans sa précédente réponse, demande à laquelle M. [P] n'a pas donné suite, et que l'administration fiscale lui a, le 4 avril 2016, notifié une proposition de rectification, et que ce dernier n'a contesté ni le calcul du redressement ni celui des intérêts de retard.

10. Il en résulte que M. [P], qui a reçu plusieurs demandes de justifications successives entre le 7 octobre 2014 et le 22 octobre 2015, certaines ayant fait l'objet de relances, et qui a fait le choix de ne pas répondre à la dernière demande, qui lui a été transmise à deux reprises à six mois d'intervalle, n'a pas été privé du délai de deux mois prévu à l'article L. 23 A du livre des procédures fiscales pour préparer les éléments de réponse à apporter à l'administration fiscale, de sorte que, conformément au principe énoncé au point 8, l'erreur commise par l'administration fiscale n'a pas porté atteinte à ses droits et qu'il n'est donc pas fondé à demander décharge des droits en principal et des intérêts de retard, auxquels se limitait la proposition de rectification.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

12. Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

13. M. [P] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que le passif déductible de l'assiette de l'ISF peut être justifié par tous modes de preuve ; qu'en jugeant que la dette personnelle de M. [P] à l'égard de la SCI ne pouvait être démontrée que par la production du bilan complet de cette dernière, pour en déduire que les services fiscaux étaient fondés à réclamer la communication de l'intégralité du bilan, quand la preuve de cette dette était libre et avait, ainsi, été valablement rapportée par le biais, notamment, de la production du grand livre de la SCI faisant état d'un "capital non libéré" de 1 257 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 768 du code général des impôts ;

3°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en jugeant que M. [P] avait fourni "des montants approximatifs en ce qui concerne les prêts" de la SCI dont il faisait état, quand l'échéancier produit indiquait, de manière très détaillée, les montants correspondant au capital à rembourser, aux intérêts et à l'assurance à payer, pour chaque échéance, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de cet échéancier, a violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

14. Après avoir rappelé que, selon l'administration fiscale, si la preuve de l'existence d'une dette de 1 250 000 euros a bien été rapportée par la production de la page du bilan de la SCI correspondante, il restait à l'administration à s'assurer que cette dette n'avait pas déjà été prise en compte dans la valorisation de la SCI, soit en la mettant au passif de la SCI, soit en minorant l'actif, l'arrêt retient que la production d'un extrait du grand livre général portant la somme litigieuse sous l'intitulé « capital non libéré » ne permettait pas, à défaut de production de l'ensemble du bilan, de vérifier, par un examen global de la situation comptable de la SCI, la manière dont la valorisation de l'actif était comptabilisée.

15. Par ces seuls motifs, dont il se déduit que le contribuable ne justifiait pas du bien-fondé de la déduction de la somme de 1 250 000 euros de l'assiette de l'ISF, quand bien même sa dette du même montant à l'égard de la SCI serait établie, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

16. Le moyen, qui critique des motifs erronés mais surabondants, doit donc être rejeté.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [P] et le condamne à payer au directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-trois.

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