25 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.125

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C100360

Texte de la décision

CIV. 1

SA



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2023




Cassation partielle sans renvoi


Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller
doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 360 F-D

Pourvoi n° W 22-13.125




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2023

M. [C] [E], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 22-13.125 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant à M. [I] [J], domicilié, [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [E], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [J], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Mornet, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2022), M. [E] a assigné en responsabilité et indemnisation M. [J], avocat chargé de sa défense à l'occasion de deux litiges, lui reprochant d'avoir manqué, d'une part, à son devoir de conseil sur la pertinence d'une action engagée contre la société Juridica, assureur de protection juridique qui avait refusé la prise en charge des frais de plusieurs procédures, d'autre part, à son obligation d'efficacité dans la conduite d'une instance l'ayant opposé à un garagiste.

1. M. [J] a reconventionnellement demandé des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. [E] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que le devoir de conseil qui s'impose à l'avocat oblige celui-ci à recueillir, de sa propre initiative auprès de son client, l'ensemble des éléments propres à lui permettre d'assurer au mieux la défense des intérêts de celui-ci ; qu'en exonérant M. [J], dans le cadre de la procédure concernant Juridica, de tout manquement à son obligation de conseil, au motif que M. [E] avait lui-même engagé la procédure, qu'il avait déjà contacté plusieurs conseils et qu'il avait eu le temps nécessaire pour prendre connaissance de son contrat d'assurance protection juridique, cependant qu'il appartenait à l'avocat de prendre l'initiative de conseiller son client sur la pertinence de l'action en justice au titre de laquelle il l'assistait, la cour d'appel a méconnu la portée de cette obligation de conseil et a violé l'article 1231-1 du code civil ;

2°/ que l'avocat doit accomplir en temps utile les actes de procédure nécessaires au succès de l'action ; qu'en exonérant M. [J], dans le cadre de la procédure concernant le garage [D], de toute responsabilité au titre du retard pris dans le cours de la procédure, au motif que l'avocat ne pouvait prévoir que le garage [D] ferait défaut à l'audience du tribunal d'instance du 8 janvier 2018, cette circonstance occasionnant un renvoi de l'affaire et un retard de neuf mois dans la procédure, cependant que si M. [J] avait adressé préalablement ses conclusions au garage [D], par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ce qu'il n'a pas fait, il aurait été en mesure de solliciter un jugement sur le champ, même en l'absence de la société intimée, la cour d'appel, qui n'a procédé à aucune recherche sur ce point, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Ayant, d'une part, constaté que M. [E], déterminé à agir, avait pris l'initiative d'engager la procédure contre son assureur antérieurement à l'intervention de M. [J] qui, ainsi, n'avait pas été en situation de prodiguer des conseils utiles sur la pertinence de cette action, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs que que celui-ci n'avait commis aucun manquement à ce titre.

4. Ayant, d'autre part, souverainement retenu, par motifs propres et adoptés, que, dans l'affaire ayant opposé M. [E] à son garagiste devant un tribunal d'instance, le renvoi à l'origine du retard dénoncé avait pour cause, non une carence de l'avocat, présent à l'audience, mais la nécessité pour le juge, en raison de l'absence de la partie adverse, d'ordonner un report dans le respect du principe de la contradiction en matière de procédure orale, M. [E] ayant décidé de modifier ses prétentions dans les dernières conclusions notifiées à son adversaire, après avoir été informé par son avocat du risque de renvoi que cela comportait, la cour d'appel a pu en déduire que M. [J] n'avait pas manqué à son devoir d'efficacité dans la conduite de cette instance.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. [E] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif, alors « que seule une faute faisant dégénérer en abus l'exercice de la voie de recours peut être sanctionnée par l'allocation de dommages et intérêts ; que le fait de n'apporter aucun élément nouveau en cause d'appel ne suffit pas à caractériser un abus dans l'exercice de la voie de recours ; qu'en considérant que l'abus du droit d'appel serait constitué en l'espèce du seul fait que M. [E] ne produit devant la cour strictement aucune pièce ni aucun élément d'explication nouveau susceptible de la conduire à modifier l'appréciation initialement portée sur ses moyens et prétentions, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'abus qui aurait été fait d'une voie de recours, a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil :

7. Il résulte de ce texte qu'une indemnisation au titre d'un appel abusif ne peut être allouée que lorsqu'est caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'exercer le recours.
8. Pour condamner M. [E] à payer à M. [J] des dommages-intérêts pour appel abusif, l'arrêt retient que M. [E] a formé un recours contre un jugement clairement et précisément motivé, sans produire en appel aucune pièce ni aucun élément d'explication nouveau susceptible de justifier une modification de l'appréciation du premier juge, faisant ainsi preuve d'une obstination procédurale blâmable.

9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d'exercer une voie de recours, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

12. En l'absence de caractérisation d'une faute ayant fait dégénérer en abus le droit de M. [E] d'interjeter appel, la demande de M. [J] doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [E] à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros pour appel abusif, l'arrêt rendu le 19 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande indemnitaire de M. [J] pour appel abusif ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;



Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-trois.

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