25 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-12.299

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100362

Titres et sommaires

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Reconnaissance ou exequatur - Procédure de reconnaissance ou d'exequatur - Décisions déclarant exécutoires en France les décisions étrangères - Exécution - Condition - Signification - Défaut - Sanction - Fin de non-recevoir

Il résulte des articles 38, § 1, 42, § 2, 43, §§ 1 et 5, et 47, § 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale que les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée et que la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n'a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie. Dès lors, viole ces textes la cour d'appel qui rejette la fin de non-recevoir tirée de l'absence de signification des décisions déclarant exécutoires en France les arrêts d'une cour d'appel et de la Cour de cassation d'un autre Etat membre, alors que ces décisions n'avaient pas été signifiées à la partie contre laquelle l'exécution était demandée, mais uniquement à la personne tierce chargée d'en supporter l'exécution

UNION EUROPEENNE - Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 - Articles 38, § 1, 42, § 2, 43, §§ 1 et 5, et 47, § 3 - Compétence en matière civile et commerciale - Reconnaissance et exécution des décisions étrangères - Conditions - Applications diverses

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2023




Cassation partielle


Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 362 F-B


Pourvois n°
Y 22-12.299
G 22-12.469 JONCTION









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2023


I - 1°/ La société Universal Music Publishing, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ La société Universal Music Italia SRL, dont le siège est [Adresse 3] (Italie),

ont formé le pourvoi n° Y 22-12.299 contre un arrêt rendu le 10 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [W] [M], domicilié [Adresse 8],

2°/ à M. [O] [N], domicilié [Adresse 5],

3°/ à M. [V] [T], domicilié [Adresse 9] (Portugal),

4°/ à M. [P] [X], domicilié [Adresse 7],

5°/ à la société Première Music Group, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

6°/ à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), dont le siège est [Adresse 4],

7°/ à la société Abramo Allione Edizioni Musicali SRL, dont le siège est [Adresse 6] (Italie),

défendeurs à la cassation.

II - M. [O] [N], a formé le pourvoi n° G 22-12.469 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [T],

2°/ à M. [P] [X],

3°/ à la société Première Music Group, société à responsabilité limitée,

4°/ à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM),

5°/ à la société Universal Music Italia SRL,

6°/ à la société Universal Music Publishing,

7°/ à la société Abramo Allione Edizioni Musicali SRL,

8°/ à M. [W] [M],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs au pourvoi n° Y 2212299 invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Le demandeur au pourvoi n° G 2212469 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.



Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [N], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Universal Music Publishing et Universal Music Italia SRL, de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [T] et de la société Première Music Group, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, M. Jessel, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Y 2212299 et G 2212469 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 décembre 2021), l'oeuvre « Une Fille de France » est une composition musicale de M. [T] dont les paroles associées ont été coécrites par MM. [X] et [M] et qui est éditée par la société Première Music Group.

3. La chanson « On va s'aimer » est une composition musicale de M. [N] dont les paroles associées ont été écrites par M. [M]. Elle a été déclarée auprès de la Saccade Italiana degli Autori ed Editori (SIAE) et coéditée par les sociétés italiennes Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia. La société Universal Music Publishing a assuré la sous-édition de cette oeuvre en France.

4. Par arrêt confirmatif du 10 juin 2010, la cour d'appel de Milan a jugé que la chanson « On va s'aimer » constituait une contrefaçon de l'oeuvre musicale « Une Fille de France », condamné les sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia ainsi que MM. [N] et [M] à réparer les préjudices moraux et patrimoniaux subis par MM. [T] et [X] ainsi que par la société Première Music Group, et a interdit aux sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia ainsi qu'à MM. [N] et [M] la poursuite de toute utilisation et exploitation de cette chanson. Par arrêt du 11 mai 2012, la Cour de cassation italienne a rejeté le pourvoi principal formé par MM. [N] et [M] ainsi que les pourvois incidents des sociétés Universal Music Italia et Abramo Allione Edizioni Musicali.

5. Par décisions du tribunal de grande instance de Paris des 10 novembre 2015 et du 21 mars 2016, signifiées à la SACEM les 13 novembre 2015 et 12 avril 2016, les arrêts de ces juridictions ont été reconnus et déclarés exécutoires en France.

6. La société Première Music Group ainsi que MM. [T] et [X] ont assigné la SACEM, MM. [M] et [N] ainsi que les sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali, Universal Music Italia et Universal Music Publishing devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir la modification de la documentation relative à la chanson « On va s'aimer » et la répartition à leur profit des droits produits par l'exploitation de celle-ci.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° G 22-12.469

Enoncé du moyen

7. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter les fins de non-recevoir tendant à voir déclarer irrecevables l'intégralité des demandes de la société Première Music Group, M. [T] et M. [X], d'ordonner à la SACEM de radier l'oeuvre « On va s'aimer » de sa documentation, d'enregistrer dans sa documentation, sous l'oeuvre « Une fille de France » le sous-titre « On va s'aimer » comme il est indiqué, d'enregistrer au crédit du compte de l'oeuvre « Une fille de France » l'ensemble des rémunérations de droit d'auteur générées par l'oeuvre « On va s'aimer » pour toute exploitation de l'oeuvre à partir du mois d'avril 2013 jusqu'au terme de la durée de protection de l'oeuvre, d'ordonner à la SACEM de procéder à la répartition des rémunérations des droits d'auteur non encore réparties par elle au titre de l'exploitation de l'oeuvre « On va s'aimer » postérieurement à la répartition du 5 avril 2013 ainsi que toutes rémunérations de droits d'auteur à venir générées par cette oeuvre, au profit des ayants-droit de l'oeuvre « Une fille de France » pour toute exploitation de l'oeuvre jusqu'au terme de la durée de protection, conformément aux quotes-parts mentionnées et de faire interdiction à la SACEM de répartir aux ayants-droit de l'oeuvre « On va s'aimer » toutes rémunérations de droits d'auteur résultant de l'exploitation de cette oeuvre postérieurement à la répartition du 5 avril 2013, alors « qu'une décision rendue dans un Etat membre de l'Union européenne ne peut être mise à exécution dans un autre Etat membre qu'après y avoir été déclarée exécutoire par une décision signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée ; qu'en jugeant, pour déclarer recevables les demandes de la société Première Music Group, de M. [T] et de M. [X], que les décisions rendues par le tribunal ordinaire de Milan le 6 août 2008, par la cour d'appel de Milan le 10 juin 2010 et par la Cour de cassation italienne le 11 mai 2012 dans un litige les opposant notamment à M. [N], qui constataient la contrefaçon de l'oeuvre « Une fille de France » par l'oeuvre « On va s'aimer », composée par M. [N], étaient exécutoires en France, tout en constatant que la SACEM, à qui la société Première Music Group, M. [T] et M. [X] demandaient de modifier sa base documentaire et la répartition des droits d'auteur en exécution des décisions précitées rendues en Italie relatives à la contrefaçon n'avait pas été partie à ces décisions et que les décisions rendues en France les déclarant exécutoires avaient été signifiées à la SACEM, et non à M. [N] qui en n'en avait eu connaissance que dans le cadre de la présente procédure, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que les décisions déclarant exécutoires les décisions rendues en Italie relatives à la contrefaçon de l'oeuvre « Une fille de France » par l'oeuvre « On va s'aimer » n'avaient pas été signifiées à la partie contre laquelle l'exécution était demandée, soit la partie jugée contrefactrice, mais uniquement à la personne tierce chargée d'en supporter l'exécution, soit la SACEM, organisme de gestion collective des droits d'auteur de l'oeuvre contrefaite et de l'oeuvre contrefaisante, et a ainsi violé les articles 38, 41 et 42 du règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable au litige, ensemble l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 38, § 1, 42, § 2, 43, § 1 et 5, et 47, § 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :

8. En application du premier de ces textes, les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

9. Selon le deuxième, la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n'a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.

10. Conformément aux troisième et quatrième, cette partie peut former un recours contre cette déclaration dans le délai d'un mois à compter de sa signification, et ce délai est porté à deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile si la partie contre laquelle l'exécution est demandée est domiciliée sur le territoire d'un autre État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée.

11. Aux termes du cinquième, pendant le délai du recours prévu à l'article 43, § 5, contre la déclaration constatant la force exécutoire et jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu'à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée.

12. Selon la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne, l'exigence de signification de la décision qui autorise l'exécution a pour fonction, d'une part, de protéger les droits de la partie contre laquelle l'exécution est demandée et, d'autre part, de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours rigoureux et impératif ouvert à cette partie et que, si seule importait la connaissance par celle-ci de la décision qui autorise l'exécution, cela risquerait de vider de sa substance l'exigence d'une signification (CJCE, 16 février 2006, Verdoliva, C-3/05).

13. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par MM. [N] et [M] tirée de l'absence de signification des décisions déclarant exécutoires en France les arrêts de la cour d'appel de Milan et de la Cour de cassation italienne, l'arrêt retient, d'une part, que ces décisions ont été portées à leur connaissance dans le cadre de la présente procédure et que ceux-ci ne peuvent arguer qu'ils n'ont pas été en mesure d'exercer le recours prévu à l'article 43 du règlement n° 44/2001, qui ne soumet pas l'ouverture du recours à la signification préalable de la décision, d'autre part, que MM. [M] et [N] ne soutiennent pas utilement que la SACEM n'est pas détentrice des droits leur appartenant alors que, en application de l'article 1er des statuts de cette société, l'auteur, par son adhésion, fait apport à celle-ci de l'exercice de ses droits patrimoniaux.

14. En statuant ainsi, alors que les décisions italiennes déclarées exécutoires déniaient à MM. [N] et [M] tout droit d'auteur sur l'oeuvre musicale « On va s'aimer » et que le litige avait pour objet la modification par la SACEM de la documentation relative à cette oeuvre en exécution de ces décisions, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° G 22-12.469 et sur les moyens du pourvoi n° Y 22-12.299, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les fins de non recevoir de la société Première Music Group et de MM. [T] et [X], l'arrêt rendu le 10 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne in solidum la société Première Music Group ainsi que MM. [T] et [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-trois.

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