24 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.941

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00582

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 24 mai 2023




Rejet


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 582 F-D

Pourvoi n° H 21-23.941





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 MAI 2023

La société Jay électronique, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-23.941 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [M] [U], domicilié [Adresse 1],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.


Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Jay électronique, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [U], après débats en l'audience publique du 12 avril 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Laplume, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 24 juin 2021) M. [U] a été engagé, le 2 septembre 1996, par la société Jay électronique, et a exercé en dernier lieu des fonctions de directeur marketing, statut cadre dirigeant.

2. A l'issue de deux examens médicaux des 22 août et 21 septembre 2017, le salarié a été déclaré « apte à son poste, sous réserve d'une poursuite du travail à mi-temps seulement, au rythme de deux ou trois jours de travail par semaine ; lors des semaines comptant trois jours de travail, intercaler un jour de repos pour ne pas travailler trois jours de suite » puis de « limiter les contraintes de travail par exemple en limitant le périmètre des responsabilités » lui étant confiées.

3. Le 9 mars 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et de paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié à ses torts, dire qu'elle produira les effets d'un licenciement nul au 24 mai 2018 et de le condamner au paiement de diverses sommes au titre de la rupture et au remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié, alors :

« 1°/ que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que des transformations de postes justifiées notamment par des considérations relatives à l'état de santé des salariés ; que la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être ordonnée qu'en cas de manquement faisant obstacle à la poursuite du contrat ; qu'en l'espèce, M. [U], qui occupait le poste de directeur marketing de la société Jay électronique, poste de cadre dirigeant impliquant de lourdes responsabilités non susceptibles d'être exercées dans le cadre d'un temps partiel, avait, le 22 août 2017, après un classement en invalidité de première catégorie, été déclaré apte à la reprise de son poste dans le cadre d'un temps partiel au rythme de 2 ou 3 jours de travail par semaine, le médecin du travail précisant, le 21 septembre 2017, qu'il convenait de ‘'limiter les contraintes de travail'‘ de M. [U] ‘'en limitant le périmètre des responsabilités confiées'‘ ; que l'exposante avait immédiatement fait application de ces préconisations en limitant le temps de travail et les contraintes pesant sur M. [U], tout continuant à échanger avec la médecine du travail en raison de l'impossibilité d'aménager, selon les prescriptions médicales, le poste de haut niveau qu'occupait le salarié ; qu'elle avait proposé au salarié un poste de chargé de mission marketing, créée spécialement pour lui, permettant le respect desdites prescriptions et le maintien d'un même niveau de rémunération adapté au temps partiel requis par l'état de santé du salarié ; que ce poste, qui avait été validé par le médecin du travail, avait été refusé par le salarié ; que, finalement, après une étude de poste, le médecin du travail avait déclaré M. [U] ‘'inapte à son poste de directeur marketing puisque ce poste ne peut pas être occupé à temps partiel'‘, et ‘'apte au poste de chargé de mission marketing, en travaillant deux ou trois jours par semaine'‘ ; que, pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et condamner la société Jay électronique au paiement de dommages et intérêts ainsi qu'à titre d'indemnité de préavis et congés payés afférents, la cour d'appel a retenu qu'il résultait des courriers échangés avec le médecin du travail que la société Jay électronique avait, entre le mois de septembre 2017 et le licenciement de M. [U] pour inaptitude et impossibilité de reclassement prononcé le 24 mai 2018, diminué tant les responsabilités du salarié, que sa rémunération, passée de 8.000 à 4.000 euros bruts, ce que l'intéressé avait toujours refusé ; que ces manquements étaient, en raison de leur gravité, de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail ; qu'en statuant ainsi, quand l'employeur, tenu de respecter les préconisations du médecin du travail, n'avait pu se rendre responsable d'un manquement en se bornant à appliquer lesdites préconisations, ce d'autant qu'il avait tout mis en oeuvre, ainsi qu'en attestaient ses échanges nourris avec le médecin du travail et le salarié, pour lui fournir un poste compatible avec ses restrictions d'aptitude, la cour d'appel a violé les articles L. 4624-3 et L. 4624-6 du code du travail dans leur rédaction postérieure la loi 2016-1088 du 8 août 2016, les articles L.1231-1 du même code et 1227 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ;


2°/ que la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être ordonnée qu'en cas de manquement faisant obstacle à la poursuite du contrat ; qu'en l'espèce, l'exposante avait souligné que le niveau de rémunération du salarié, qui correspondait à un temps partiel dont M. [U] ne contestait pas la nécessité, était demeuré inchangé en raison des rentes d'invalidité qu'il avait perçues depuis le 1er septembre 2017 ; qu'elle avait également souligné que dès l'instant que, le 12 mars 2018, le médecin du travail avait déclaré le salarié inapte à son poste de directeur marketing qui ne pouvait être occupé à temps partiel, les griefs du salarié, relatifs à l'obligation d'un maintien de sa rémunération et de ses responsabilités, ne pouvaient plus être formulés et par conséquent retenus à l'appui d'une résiliation judiciaire ; qu'en ordonnant néanmoins une telle résiliation, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1 du code du travail et 1227 du code civil, dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que ne se rend responsable d'aucune discrimination à raison de l'état de santé du salarié, l'employeur qui modifie le temps de travail et les responsabilités de ce dernier afin de respecter des préconisations formulées par le médecin du travail ; qu'en l'espèce, pour dire que la résiliation judiciaire, qu'elle a prononcée, devait produire les effets d'un licenciement nul et condamner l'exposante en conséquence, la cour d'appel a retenu que les modifications unilatéralement imposées à M. [U] résultaient d'une prise en considération de son état de santé ; qu'en statuant ainsi, quand de telles modifications résultaient de la stricte observance des préconisations du médecin du travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1132-4, et L. 1231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté que le médecin du travail avait délivré des avis d'aptitude avec réserves les 22 août et 21 septembre 2017 et que, en dépit du refus du salarié d'une modification de son contrat de travail pour un poste de chargé de mission marketing, l'employeur lui avait imposé un retrait de ses fonctions de directeur marketing et procédé unilatéralement à la réduction de moitié de sa rémunération, la cour d'appel, qui a retenu que le salarié avait subi une rétrogradation ayant un impact sur sa rémunération caractérisant une modification de son contrat de travail, a pu en déduire que la demande de résiliation judiciaire du contrat était fondée.

6. Ayant ensuite relevé que les décisions de l'employeur reposaient expressément sur la prise en compte de l'état de santé du salarié, elle a exactement retenu que la résiliation judiciaire ainsi prononcée produisait les effets d'un licenciement nul.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.




Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié des sommes à titre de rappel de salaire et congés payés afférents pour la période comprise entre le 1er septembre 2017 et le 24 mai 2018, alors :
« 1°/ que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que des transformations de postes justifiées notamment par des considérations relatives à l'état de santé des salariés ; que la rémunération du salarié à temps partiel est proportionnelle à son temps de travail ; que, pour condamner l'exposante au paiement d'un rappel de salaire, la cour d'appel a retenu que le salaire de M. [U] est passé, à compter du 1er septembre 2017, de 8.000 € bruts à 4.000 € bruts, sans que le salarié ait donné son accord à une telle modification ; qu'en statuant ainsi, quand cette modification de la rémunération du salarié résultait de son passage à temps partiel imposé par le médecin du travail dans son avis d'aptitude du 22 août 2017, réitéré le 21 septembre suivant et que, par surcroît, le salarié ne contestait ni la réalité de ce mi-temps, ni sa nécessité, ayant lui-même revendiqué cette durée du travail dans le cadre de la procédure qu'il avait initiée afin de contester l'avis d'inaptitude du 12 mars 2018, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1, L. 3123-5, du code du travail, ensemble les articles L. 4624-3 et article L. 4624-6 du même code, dans leur rédaction postérieure la loi 2016-1088 du 8 août 2016 ;

2°/ que la pension d'invalidité constitue un revenu de remplacement destiné à compenser une perte de salaire ; qu'elle est exclusive d'un maintien du salaire ; qu'en considérant qu'il était indifférent que les pensions d'invalidité aient maintenu le niveau de rémunération de Monsieur [U] sur l'ensemble de la période litigieuse, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel ayant constaté que l'employeur avait, à compter du mois de septembre 2017, unilatéralement imposé au salarié une durée de travail à temps partiel et procédé à la diminution de moitié de sa rémunération sans son accord, a légalement justifié sa décision.

10. Le moyen, qui manque en fait dans sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Jay électronique aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par société Jay électronique et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3.000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille vingt-trois.

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