23 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.169

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00602

Titres et sommaires

PRESCRIPTION - Action publique - Interruption - Acte d'instruction ou de poursuite - Crimes et délits commis à l'étranger - Demande d'extradition - Refus ou annulation pour but politique - Absence d'influence

Il résulte des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, que sont interruptifs de prescription les actes qui ont pour but de constater une infraction, d'en rassembler les preuves ou d'en rechercher les auteurs, peu important qu'ils aient été commis à l'étranger. Encourt dès lors la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour faire droit à la demande de la personne mise en examen tendant à la constatation de la prescription de l'action publique des faits délictuels qui lui sont reprochés commis à l'étranger, courant 2005 à 2009, relève qu'il n'est établi l'existence d'aucun acte interruptif de prescription entre le dernier acte d'enquête intervenu au Kazakhstan le 5 novembre 2011 et la dénonciation officielle des faits par les autorités judiciaires de cet Etat le 17 juillet 2017, alors que constituent de tels actes interruptifs de prescription, d'une part, les demandes d'extradition de l'intéressé par les autorités ukrainiennes, kazakhes et russes respectivement en date des 1er, 15 et 21 août 2013, peu important que la deuxième ait été refusée par courrier diplomatique, en raison de son but politique, et que le décret autorisant la troisième ait été annulé, pour le même motif, d'autre part, les décisions de la chambre de l'instruction du 24 octobre 2014 et de la Cour de cassation du 4 mars 2015 statuant sur ces extraditions

Texte de la décision

N° H 22-81.169 F-B
N° K 22-81.172
N° 00602


RB5
23 MAI 2023


CASSATION
CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2023


La société [1], partie civile, et le procureur général près la cour d'appel de Paris ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 8 de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 2e section, en date du 13 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [I] [O] des chefs d'abus de confiance et blanchiment aggravés, a constaté l'extinction de l'action publique par prescription.

Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 2e section, en date du 13 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [I] [O] des mêmes chefs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 7 mars 2022, le président de la chambre criminelle a ordonné la jonction des pourvois en raison de leur connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [1], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [I] [O], et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 avril 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [I] [O], en sa qualité de président du conseil d'administration de la société [1], a fait l'objet d'investigations relatives à des faits d'abus de confiance et de blanchiment de ce délit, aggravés, commis entre 2005 et 2009, notamment, au Kazakhstan, en Russie et en Ukraine.

3. Des actes d'ouverture d'enquête pénale ont eu lieu au Kazakhstan, en 2009, 2010 et 2011, le dernier figurant en procédure étant daté du 5 novembre 2011.

4. M. [O] a été arrêté en France le 31 juillet 2013, en vertu d'un mandat d'arrêt émis par la Fédération de Russie.

5. Les 1er, 15 et 21 août 2013, les autorités ukrainiennes, kazakhes et russes ont, respectivement, adressé aux autorités françaises une demande d'extradition de l'intéressé concernant ces faits.

6. La demande émanant des autorités kazakhes a été rejetée selon les termes d'un courrier diplomatique du 27 octobre 2014.

7. Par arrêts rendus le 24 octobre 2014, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon a émis des avis favorables aux demandes des autorités ukrainiennes et russes. Ces décisions sont devenues définitives à la suite de deux arrêts de la Cour de cassation du 4 mars 2015.

8. Par décret du Premier ministre en date du 17 décembre suivant, la remise de M. [O] a été accordée aux autorités russes. Cet acte a été annulé par un arrêt du Conseil d'Etat du 9 décembre 2016.

9. Le 17 juillet 2017, les autorités judiciaires du Kazakhstan ont transmis par la voie diplomatique au ministre de la justice un dossier de dénonciation officielle aux fins de poursuite de M. [O], en sa qualité de président du conseil d'administration de la société [1], pour des faits d'abus de confiance et de blanchiment aggravés commis entre 2005 et 2009 au Kazakhstan, en Russie et au Royaume-Uni, sur le fondement de l'article 113-8-1 du code pénal, dans sa version issue de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013.

10. Le 7 octobre 2020, l'intéressé a été mis en examen des chefs susvisés et placé sous contrôle judiciaire.

11. Par requête déposée le 20 octobre suivant, M. [O] a sollicité l'annulation de pièces de la procédure.

12. Par requête du 7 janvier 2021, ses avocats ont sollicité du magistrat instructeur la constatation de l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription.

13. Par ordonnance du 8 mars suivant, le juge d'instruction n'a pas fait droit à la demande.

14. M. [O] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen unique proposé par le procureur général, pris en sa première branche et sur le moyen unique proposé pour la société [1], pris en ses deux premières branches

Enoncé des moyens

15. Le moyen proposé par le procureur général critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a retenu la prescription de l'action publique, alors qu'il résulte des dispositions de l'article 8 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, telles qu'éclairées par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, que, pour des infractions commises à l'étranger et poursuivies en France, les actes de poursuite régulièrement accomplis à l'étranger interrompent la prescription ; qu'une demande d'extradition faite par une autorité étrangère pour des faits commis sur son territoire constitue un tel acte de poursuite ; que, dès lors, les demandes d'extradition faites par les autorités judiciaires kazakhes le 15 août 2013 et par les autorités russes en août 2013 sont interruptives de prescription ; qu'il s'agit bien d'actes manifestant la volonté de poursuivre l'auteur d'une infraction, indépendamment de l'éventuelle appréciation ultérieure qui pourrait être portée par la partie requise sur le but de cette demande, ou sur ses conséquences sur la personne réclamée, et la réponse qui pourrait leur être donnée ; qu'il s'ensuit qu'en considérant qu'au cours des trois années qui ont suivi le dernier acte d'ouverture d'enquête pénale disponible dans le dossier et datant du 5 novembre 2011, il n'est établi l'existence d'aucun acte interruptif de prescription, alors qu'il en existe deux, la chambre de l'instruction a méconnu la portée du texte susvisé.

16. Le moyen proposé pour la société [1] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a retenu la prescription de l'action publique, alors :

« 1°/ que la prescription est interrompue par tout acte d'enquête ou d'instruction tendant à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ; qu'une demande d'extradition établit la volonté des autorités judiciaires de poursuivre l'auteur ; que les demandes d'extradition d'août 2013 ont dès lors valablement interrompu la prescription ; qu'en retenant qu'aucune de ces demandes ne peut constituer un acte interruptif de prescription, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 7, 8, 9-2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que tous les jugements ou arrêts interrompent la prescription, sauf s'ils sont nuls ; que le Conseil d'Etat n'a pas le pouvoir d'annuler des actes de procédure judiciaire ; que pour estimer la prescription acquise, la cour d'appel a jugé que la demande d'extradition des autorités russes avait été accordée par décret du Premier ministre du 17 décembre 2015 qui a été annulé par un arrêt du 9 décembre 2016 du Conseil d'Etat ; qu'en se fondant sur l'arrêt du Conseil d'Etat qui n'a annulé que le décret du 17 septembre 2015, sans affecter la régularité des arrêts rendus par la chambre de l'instruction le 24 octobre 2014 accordant des avis favorables aux demandes d'extradition ni celle des arrêts de la Chambre criminelle du 4 mars 2015 rejetant les pourvois formés à leur encontre, la chambre de l'instruction a de nouveau méconnu les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour

17. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 7 et 8 du code de procédure pénale dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 :

18. Il résulte de ces textes que sont interruptifs de prescription les actes qui ont pour but de constater une infraction, d'en rassembler les preuves ou d'en rechercher les auteurs. Il en est de même lorsque de tels actes sont accomplis à l'étranger.

19. Pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction et faire droit à l'exception invoquée par la personne mise en examen tirée de la prescription de l'action publique pour des faits de nature délictuelle commis à l'étranger, courant 2005 à 2009, l'arrêt retient que le dernier acte d'enquête pénale intervenu au Kazakhstan, et figurant en procédure, est daté du 5 novembre 2011.

20. Les juges ajoutent que, d'une part, la demande d'extradition émanant des autorités kazakhes du 15 août 2013 a été, aux termes d'un courrier diplomatique du 27 octobre 2014, refusée pour des raisons tenant à la fois aux règles internes et aux engagements internationaux de la République française, d'autre part, la demande d'extradition émanant des autorités russes du 21 août 2013 a été accordée par décret du Premier ministre en date du 17 décembre 2015, annulé, cependant, par une décision du Conseil d'Etat du 9 décembre 2016, au motif que cette extradition était demandée pour des raisons politiques.
21. Ils en déduisent qu'aucune de ces demandes, dont le but était politique, ne peut constituer un acte interruptif de prescription de l'action publique et constatent qu'en conséquence, il n'est établi, depuis le 5 novembre 2011, l'existence d'aucun acte interruptif de celle-ci.

22. Les juges en concluent qu'à la date de la dénonciation officielle des faits, le 17 juillet 2017, cette prescription était acquise depuis le 6 novembre 2014.

23. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

24. En effet, constituent des actes interruptifs de la prescription, d'une part, les demandes d'extradition des autorités ukrainiennes, kazakhes et russes respectivement en date des 1er, 15 et 21 août 2013, dès lors qu'elles tendent à la recherche de l'auteur d'une infraction, peu important que la deuxième ait été refusée par courrier diplomatique, en raison de son but politique, et que le décret autorisant la troisième ait été annulé, pour le même motif, d'autre part, les décisions de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon du 24 octobre 2014 et de la Cour de cassation du 4 mars 2015.

25. Compte tenu de ces actes interruptifs intervenus depuis le dernier acte d'enquête du 5 novembre 2011, la prescription n'était pas acquise le 17 juillet 2017.

26. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

27. La cassation de l'arrêt n° 8 du 13 janvier 2022 aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, sans qu'il y ait lieu d'examiner la seconde branche du moyen proposé par le procureur général et la troisième branche du moyen proposé pour la société [1].

28. La cassation de l'arrêt n° 8 ainsi prononcée doit entraîner, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt n° 4, rendu le même jour, ayant déclaré sans objet la requête en nullité en raison de l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription, cassation qui aura lieu avec renvoi, la chambre de l'instruction devant se prononcer sur les mérites de ladite requête.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par le procureur général et la société [1] contre l'arrêt n° 8 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2022 :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt n° 8 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2022 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT qu'à la date du 17 juillet 2017, la prescription de l'action publique visant à la poursuite de M. [O] n'était pas acquise ;

Sur le pourvoi formé par le procureur général contre l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2022 :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-trois.

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