17 mai 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/00335

Pôle 6 - Chambre 8

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 17 MAI 2023



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00335 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBHZV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Décembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F18/01636





APPELANT



Monsieur [N] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représenté par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945





INTIMÉE



Société SINGAPORE AIRLINES LIMITED

[Adresse 1]

[Localité 6]



Représentée par Me Anne QUENTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0381





EN PRÉSENCE DU



DÉFENSEUR DES DROITS

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représenté par Me Laetitia BRAHAMI, avocat au barreau de PARIS







COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 23 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente

Mme Nicolette GUILLAUME, Présidente

Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.



Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU





ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






EXPOSÉ DU LITIGE



Le 1er juillet 1997 M. [N] [R] a été engagé en qualité d'agent de fret par la société Singapore Airlines Limited dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de trois mois et le 1er janvier 1998, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.



La convention collective applicable à la relation de travail est celle du transport aérien, personnel au sol.



Promu au poste d'agent de coordination des relations clientèles fret le 19 avril 2001, son contrat de travail a été transféré le 18 mai 2001,à la société Singapore Airlines Cargo.



Le salarié devenait attaché commercial ('sales representative') à compter du 1er avril 2003, puis en octobre 2007, attaché commercial senior, ( 'sales representative senior'), son statut demeurant celui d'agent de maîtrise mais son coefficient étant porté à 280 et son salaire revalorisé à cette occasion.



A compter du 23 mai 2011, date à laquelle le salarié a été élu membre de la délégation unique du personnel, l'intéressé a développé une activité syndicale, et a été élu dans ce cadre le 29 juin suivant, en qualité de délégué syndical jusqu'au 28 juin 2015.



Le contrat de travail de M. [R] a été transféré à la société Singapore Airlines Limited le 1er avril 2018 et il accédait au statut cadre au mois de mai suivant.



L'intéressé était placé en arrêt de travail à compter du 12 avril 2018.



Le 20 mai 2019, le caractère professionnel de la maladie dont souffrait le salarié était reconnu par la CPAM et le 17 septembre suivant, l'intéressé obtenait le statut de travailleur handicapé.



Entre temps, estimant que son employeur ne respectait pas ses obligations et souhaitant obtenir la réparation des préjudices qu'il estimait subir de ce fait, M. [R] a saisi le conseil des prud'hommes de Bobigny le 4 juin 2018 pour faire valoir ses droits.



Par jugement du 4 décembre 2019, notifié aux parties par lettre du 9 décembre 2019, cette juridiction a:

- rejeté la demande de reclassement de M. [R] au poste de responsable des ventes,

- condamné la société Singapore Airlines Limited à verser à M. [R] les sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé du salarié résultant de la dégradation de ses conditions de travail,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [R] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Singapore Airlines Limited de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,

- condamné la société Singapore Airlines Limited aux dépens.



Par déclaration du 8 janvier 2020, M. [R] a interjeté appel.



Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 16 janvier 2023, il demande à la cour :

- de le dire et juger recevable et bien-fondé en son appel,

- de rejeter les fins de non-recevoir,

- d'infirmer le jugement entrepris,

et, statuant à nouveau,

- de condamner la société Singapore Airlines Limited à lui verser :

-148 379,06 euros au titre du préjudice financier pour discrimination syndicale,

- 50 000 euros au titre du préjudice moral lié au harcèlement discriminatoire,

- 3 287 euros au titre du préjudice financier lié au harcèlement discriminatoire pendant l'arrêt de travail,

- 11 726,97 euros de rappel de prime d'intéressement de 2018 à 2022,

- de constater la rupture d'égalité entre lui et M. [U],

- de condamner la société Singapore Airlines Limited à lui verser au titre du manquement à la règle « à travail égal, salaire égal » la somme de :

-74 883,76 euros,

-7 488,37 euros de congés payés afférents,

- d'ordonner le reclassement de M. [R] au poste de responsable des ventes avec le niveau de responsabilité et le salaire de base correspondant dans les huit jours de la notification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- de condamner la société Singapore Airlines Limited à lui 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'ordonner la remise d'un bulletin de paie conforme à la décision,

- de dire que les condamnations à intervenir porteront intérêts à partir de chaque échéance mensuelle avec capitalisation desdits intérêts selon l'article 1343-2 du Code civil à partir de la date de la saisine,

- de condamner la société Singapore Airlines Limited aux entiers dépens et aux frais d'exécution éventuels.





Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 20 février 2023, la société Singapore Airlines Limited demande à la cour :

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 4 décembre 2019 en qu'il l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé du salarié résultant de la dégradation de ses conditions de travail,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-intérêts au taux légal à compter du jugement,

- dépens,

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 4 décembre 2019 en qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 4 décembre 2019 en qu'il a débouté M. [R] de ses autres demandes,

-de rejeter des débats la pièce n°49 de M. [R],

- de débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes,

en outre :

- de déclarer irrecevables les demandes suivantes :

- rappel de salaire au titre de la prime d'intéressement,

- rappel de salaire au titre de la prime de 25 ans de présence,

- des dommages et intérêts en réparation du préjudice de santé lié au harcèlement discriminatoire,

- des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier lié au harcèlement discriminatoire, à titre subsidiaire,

- de débouter M. [R] de l'ensemble des demandes suivantes comme étant infondées :

- rappel de salaire au titre de la prime d'intéressement,

- rappel de salaire au titre de la prime de 25 ans de présence,

- des dommages et intérêts en réparation du préjudice de santé lié au harcèlement discriminatoire,

- des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier lié au harcèlement discriminatoire,

en tout état de cause,

- de condamner M. [R] à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

et 3 000 euros sur le même fondement pour la procédure d'appel,

- de condamner M. [R] au dépens.



La défenseure des droits a déposé au greffe par voie papier des observations le 23 janvier 2023 dans lesquelles il conclut :

- ' en conséquence et au vu de ce qui précède, la Défenseure des droits considère que M.[R] a fait l'objet d'une discrimination et de harcèlement discriminatoire en raison de son activité syndicale et que la société a manqué à son obligation de sécurité et de prévention prévue à l'article L4121-1 du code du travail,

-telles sont les observations que la Défenseure des droits entend porter à la connaissance de la cour d'appel de Paris'.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 23 février 2023 pour y être examinée.



Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.






MOTIFS



I- sur la recevabilité des demandes,



Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait et selon l'article 565 'les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent'.



En application des dispositions de l'article 566 du même code, les demandes nouvelles en appel sont recevables si elles sont l'accessoire, la conséquence ou le complément des demandes initiales.



La société Singapore Airlines Limited soutient que l'ensemble des demandes formulées au titre du harcèlement discriminatoire, à savoir les dommages-intérêts de 50 000 euros au titre du préjudice de santé et de 3 287 euros au titre du préjudice financier sont nouvelles, qu'il en est de même s'agissant du rappel de prime 'des 25 ans de présence' à hauteur de 572,87 euros et de la demande relative à la prime d'intéressement de 11 726,97 euros.



Cependant, s'agissant des demandes liées au harcèlement discriminatoire, elles ne peuvent être qualifiées de nouvelles puisque M. [R] formait devant le conseil des prud'hommes une demande de dommages-intérêts au titre de 'l'atteinte à sa dignité et à sa santé résultant de la dégradation de ses conditions de travail' qu'il expliquait (P. 29 de ses conclusions), comme résultant du harcèlement moral dont il s'estimait victime.



Par ailleurs, et s'agissant de la prime dite 'des 25 ans', la cour d'appel n'en n'est pas saisie dès lors qu'elle ne figure pas dans le dispositif des conclusions de M. [R], aucune fin de non recevoir ne pouvant donc être relevée de ce chef.



Enfin s'agissant de la prime d'intéressement ou bonus, s'il y a lieu de constater qu'elle ne figurait pas dans les demandes présentées devant le conseil des prud'hommes, elle doit être considérée néanmoins comme constituant l'accessoire des demandes fondées sur la reconnaissance d'une inégalité de traitement dont il n'est pas contesté qu'elles étaient formulées en première instance.



Aucune des demandes ainsi formées ne doit donc être déclarée irrecevable, les prétentions de la société Singapore Airlines Limited sur ce point devant être rejetées.





II- Au fond,



A- sur la discrimination,



L'article 1132-1 du Code du Travail inclus dans le chapitre 2 fixant les règles sur le principe de non-discrimination et inclus dans le titre III intitulé 'Discriminations', prohibe toute mesure discriminatoire, directe ou indirecte à l'encontre d'un salarié, en raison de l'un des motifs énoncés à l'article 1er de la loi N° 2008 -496 du 27 mai 2008, parmi lesquels figure les activités syndicales.



L'article 1134-1 du même code aménage les règles de preuve pour celui qui s'estime victime de discrimination au sens du chapitre 2, l'intéressé devant alors seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, la partie défenderesse devant prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge formant sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



A l'appui de sa demande, M. [R] présente les éléments suivants:

- à partir de son premier mandat, en 2011, il a moins progressé dans son coefficient, et donc dans sa rémunération, passant seulement en 2022 du coefficient 280 qu'il avait depuis 2007, à celui de 300, soit 1,81 points de progrès par an, alors que précédemment sa progression était de 8,15 points par an.

Les bulletins de salaire mentionnent les dates auxquelles les coefficient lui ont été attribués en référence aux emplois attachés.

- devenu cadre en avril 2018, il a été maintenu au coefficient 300, le plus bas de la grille conventionnelle,

- sa rémunération qui avait progressé jusqu'en 2011 de 6% par an, n'augmente plus que de 1,6% par an entre 2011 et 2021, et ce, malgré son accès au statut cadre en avril 2018,

- en juillet 2022 il est mis à l'écart de l'augmentation générale de 3% allouée aux autres salariés,

- il n'atteindra le statut cadre qu'en 2018, malgré la demande qu'il en avait faite dès 2011, le refus formulé en 2015 par l'employeur n'étant nullement justifié, observation étant faite qu'en octobre 2007, c'est l'employeur qui avait proposé le passage au statut cadre,

- tous les commerciaux au sein de Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo sont cadres,

- son collègue de travail, M. [U] a accédé au statut cadre en 2001, dès sa promotion en qualité d'attaché commercial senior, alors que lui a accédé à ce poste en 2007 sans devenir cadre,

- ses évaluations atteindront leur maximum en 2011 et ne cesseront de régresser par la suite, l'année 2016-2017 donnant lieu à la plus mauvaise,

- il a été mis à l'écart d'une procédure de recrutement interne en 2017, s'agissant du remplacement de son binôme, lui même attaché commercial, et n'a pas été informé du rejet de la candidature qu'il avait néanmoins formée sur le poste en cause, au profit d'un recrutement externe, et ce, en contradiction avec l'article 9 de la convention collective applicable.

- sa prime d'intéressement est demeurée inférieure à celle des autres salariés, et il a été privé de la prime des 25 ans de présence.



M.[R] verse aux débats diverses pièces, parmi lesquelles, ses bulletins de salaire, des demandes écrites de passage au statut cadre, ses comptes rendus d'évaluation, des documents professionnels concernant M. [U] et l'attestation de ce dernier, diverses pièces établissant un recrutement externe.



Ces éléments permettent de retenir qu'au delà de la simple allégation, le salarié présente des faits, qui pris dans leur ensemble laissent présumer l'existence d'une discrimination liée à ses activités syndicales.



Or la société Singapore Airlines Limited ne justifie pas les mesures prises à l'égard de M. [Z] par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, ce que confirment les observations de la Défenseure des Droits.



Ainsi, s'agissant de sa moindre progression de coefficient et donc de rémunération à partir de son premier mandat, en 2011, le ralentissement apparaît en comparant les bulletins de salaire des deux périodes.



L'employeur produit aux débats des tableaux de comparaison du sort de l'intéressé avec d'autres salariés, mais dont ni les fonctions ni l'ancienneté ni même le service ou l'établissement ne sont les mêmes que ceux de M. [R], la pertinence du panel de comparaison qu'il remet en cause, même attestée par l'expert désigné par l'employeur n'étant pas démontrée alors que ce technicien expose dans son rapport (page 7) avoir travaillé à partir d'une liste établie par la société, laquelle ne justifie aucunement devant la cour des choix opérés pour ce faire.



De plus, certains de ces salariés, comme M. [R] jusqu'en 2018, relèvent du statut non cadre qu'il considère justement, comme ne lui ayant été reconnu que trop tardivement alors qu'exerçant des fonctions d'attaché commercial senior depuis 2007, au même titre que son alter ego M. [U], ce dernier, attaché commercial depuis 2001, a été dès cette date admis au statut de cadre et a bénéficié en tant que tel d'un coefficient supérieur à celui reconnu à M.[R] devenu cadre.



De même faut-il constater que la reconnaissance du statut cadre est intervenue en 2018 pour l'intéressé, sans autre explication de la part de l'employeur que 'la fusion des succursales cargo et passagers' à raison de 'ce que tous les attachés commerciaux de la division passagers sont cadres', le fait contesté par l'intéressé, qu'il soit seul attaché commercial de la division cargo et en tant que tel, dénué de toute gestion d'équipe et de travail sur les plus gros clients n'étant pas autrement démontré.



De plus, la société soutient qu'elle était légitime à lui refuser de passer au statut cadre au regard des fonctions occupées d'attaché commercial, mais n'hésite pas à se contredire en rappelant que c'est elle qui en 2007, à l'occasion de l'affectation du salarié dans ce nouvel emploi, lui a proposé le statut cadre qu'il a refusé à l'époque.



La mise à l'écart du salarié de l'augmentation générale de 3% allouée à d'autres salariés telle qu'elle résulte des bulletins de salaire produits (pièces N° 181 et 183 de M. [R]), sans être contestée, n'est pas objectivement justifiée .



La coïncidence de la chute des appréciations positives dans ses évaluations avec son engagement syndical en 2011 ne peut être considérée comme justifiée par le fait que le salarié n'a pas contesté cette diminution dans le cadre des entretiens organisés et des comptes-rendus afférents, ce d'autant que cette contestation apparaît explicitement dans le compte rendu concernant l'année 2016-2017, et qu'il n'est justifié d'aucune suite donnée aux observations pourtant clairement formulées par le salarié.



De même le fait que d'autres salariés ont eux mêmes subi une telle diminution est sans effet au regard de l'obligation de démontrer l'existence de critères objectifs ayant conduit à réduire la note globale de M. [R] alors que l'effectivité d'une baisse continue de ses performances n'est pas autrement justifiée.



Quant aux modalités du recrutement en 2017 d'une personne extérieure préférée à M. [R] pour le poste précédemment occupé par M. [U], lui même responsable des ventes fret et binôme du salarié, il y a lieu de relever que là encore ne sont pas apportés d'éléments objectifs justifiant la procédure choisie conduisant au choix opéré



En effet, outre que la recherche en interne est intervenue deux jours après que le poste ait été publié en externe, en contradiction avec les dispositions conventionnelles et les engagements des responsables de l'entreprise dont il résulte une subsidiarité des recrutements externes, les raisons pour lesquelles M. [R] a été écarté du poste proposé ne sont pas objectivement justifiées, le fait qu'il avait été amené à remplacer son collègue sur le poste convoité étant reconnu et la circonstance que des fonctions de management n'aient été occupées par le candidat retenu que ponctuellement et plus de dix auparavant telle que relevée par le défenseur des droits, résultant du curiculum vitae de l'intéressé.



De plus, et s'agissant des fonctions de management, M. [R] justifie avoir obtenu un diplôme de troisième cycle en la matière dont l'employeur ne démontre pas qu'il était insuffisant pour répondre aux attentes du nouveau poste en la matière.



Enfin, la justification du caractère objectif de la diminution des bonus et de l'absence de tout versement de cette prime à laquelle il n'est pas contesté que l'ensemble des salarié a eu droit en 2022 ne peut être considérée comme résultant du seul caractère discrétionnaire de la prime en cause, lequel n'écarte pas pour l'employeur l'obligation de justifier, lorsque les conditions de son octroi sont contestées, les raisons objectives l'ayant conduit à en exclure totalement ou partiellement le salarié.



La présomption de discrimination à raison de l'activité syndicale ne peut donc être considérée comme écartée par les éléments apportés par l'employeur.



Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé sur ce point, la discrimination étant retenue.





B- sur le harcèlement moral,



Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L 1152-1 du Code du Travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du Code du Travail, dans sa rédaction issue de la loi N° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



A l'appui de sa demande, outre les faits présentés au titre de la discrimination syndicale tels précédemment relevés, M. [R] présente aussi les éléments suivants pour caractériser le harcèlement discriminatoire dont il se plaint:

- aggravation de la situation décrite dans le cadre de la discrimination telle qu'apparue depuis 2011, à compter de 2015, date à laquelle il a été considéré comme unique responsable d'un mouvement de grève organisé au sein de l'entreprise, ce dont attestent deux collègues dont l'un évoque explicitement la situation de bouc émissaire de M. [R] dans les suites du mouvement social soutenu par le syndicat qu'il représentait,

- la mésentente croissante avec Mme A., sa responsable,

- de nombreuses erreurs commises dans le courant de ses arrêts de travail, l'employeur ayant omis de déclarer les arrêts de travail à la CPAM et bloquant en conséquence le paiement à ce dernier des indemnités journalières ou ayant maintenu son salaire au delà de la période de 1095 jours prévue conventionnellement, le tout imposant au salarié de nombreuses démarches et des péréquations sur des trop-perçus versés en dépit des alertes formalisées,

- la dégradation de son état de santé générant un arrêt de travail à compter du 12 avril 2018 renouvelé de manière répétée et le conduisant à ne pas reprendre son activité professionnelle, le caractère professionnel de sa maladie ayant été reconnu par l'organisme social,

- la dégradation de ses conditions de travail que d'autres salariés ont constaté dans les attestations qu'il verse aux débats (pièce N° 62 du salarié), l'un d'eux évoquant le 'stress ambiant pesant pour les salariés'.



De ce qui précède il résulte que le salarié a été victime de faits répétés de discrimination à raison de son activité syndicale pour lesquels il n'a été justifié d'aucun élément objectif.



A cela s'ajoutent les faits présentés tenant au comportement de sa supérieure hiérarchique tel que décrit par ses collègues, aux troubles et tracas imposés tels que matérialisés par les différents courriers de rappels de M. [R], à la dégradation des conditions de travail telle que dénoncée par ses collègue et à l'atteinte portée à sa santé telle que résultant des documents médicaux qu'il produit.



Pris dans leur ensemble ces faits laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.



Il a été démontré par l'analyse des faits de discrimination présentés ci-dessus qu'aucune justification objective n'y avait été apportée par l'employeur.



Au delà, pour ce qui est de l'altercation avec sa supérieure hiérarchique, et le comportement de cette dernière, les dénégations de l'employeur sont insuffisantes à démontrer que ces faits n'ont pas existé ou sont justifiés, ce d'autant qu'il rappelle lui mêmeque la supérieure mise en cause a justement suivi une formation sur le management dans les suites de plaintes de salariés en 2016.



De même le sort défavorable réservé à M  [R] dans les suites du mouvement de grève de 2015, n'a pas été objectivement justifié alors que, de ce qui précède il résulte que les raisons pour lesquelles il n'a été admis au statut cadre qu'en 2018, il n'a pas été retenu sur le poste de M. [U] et a fait objet d'évaluations successivement dégradées notamment pour la période 2016-2017 n'ont pas été objectivées.



De même la dégradation de l'état de santé du salarié ne peut être considéré comme justifiée par des éléments objectifs étrangers aux faits présentés au regard de la concomitance de ces derniers avec les arrêts de travail et les constats faits par le corps médical, la réalité de la contestation de la reconnaissance du caractère professionnel de l'affection n'étant au demeurant pas démontrée par la seule production de la saisine en août 2019 de la commission de recours amiable et d'un courrier avisant certes d'une mise en état au 21 septembre 2020, mais très imprécis et n'émanant pas en tout état de cause d'une juridiction de sécurité sociale.



Enfin, les nombreux courriers électroniques de réclamations de M. [R] relativement aux versements des indemnités journalières et aux problèmes afférents démontrent la réalité de difficultés récurrentes en la matière qui ne peuvent être considérés comme justifiées par le seul fait d'un changement d'organisation dont les effets ne sont pas autrement précisés.



Le harcèlement moral est donc établi et doit être retenu, le jugement entrepris devant en conséquence être infirmé sur ce point.



C - sur l'inégalité de traitement,



Il est admis en référence au principe général de l'égalité de traitement, que l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant qu'ils soient placés dans une situation identique ou comparable au regard de l'avantage en cause, sauf à ce que la différence de traitement pratiquée repose sur des raisons objectives et pertinentes.



Cette règle ne se confond pas avec l'interdiction des discriminations fondées sur des critères illicites de l'article L 1132-1 du code du travail.



Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de soumettre au juge les éléments de faits susceptibles de caractériser cette inégalité.



Par ailleurs, selon l'article L. 3221-4 du code du travail sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.



A l'appui de sa demande, M.[R] compare sa situation avec celle de M. [U].



Il rappelle que ce dernier et lui occupent le même poste de responsable des ventes depuis 2007, l'identité des tâches étant attestées par ses collègues, par les échanges avec sa supérieure hiérarchique qui d'une part, l'invite à faire en sorte que l'un ou l'autre soit obligatoirement présent tous les jours (pièce N° 45 du salarié), et d'autre part, lui confie, comme à M. [U], la gestion de gros portefeuilles, les entretiens professionnels de l'un comme de l'autre étant menés par cette même supérieure hiérarchique à compter de 2013.



L'affirmation de l'employeur selon laquelle M. [R] était sous l'autorité de M. [U] et n'exerçait pas les mêmes fonctions que lui est contredite par la notification du refus du congé sabbatique demandé par le salarié dans lequel l'employeur écrit: 'l'équipe de ventes au service fret n'est composée que de deux personnes [M. [R] et M. [U]], [N] [R] représente donc 50% de l'effectif, [N] [R] est en charge de la plus grosse partie commerciale pour la province, (...)'.



Elle est également contredite par l'attestation de l'assistante commerciale (Pièce N°29 du salarié) et du responsable opération (pièce N°30 du salarié), travaillant eux mêmes avec l'un et l'autre des deux salariés et évoquant pour l'une 'les mêmes tâches' et pour l'autre le 'rôle de binôme' et 'les mêmes tâches'.



L'identité de tâche est également démontrée par l'attestation d'un membre d'une société cliente qui déclare (pièce N° 113 du salarié): 'je contactais M. [U] ou M. [R] sans distinction particulière pour le traitement de mes expéditions.'



Si M. [U] a été amené a faire l'évaluation de M. [R], cette situation a été manifestement ponctuelle et limitée à deux années ainsi que cela résulte des compte rendus versés aux débats, et il doit être retenu que c'est la supérieure hiérarchique de l'un et de l'autre qui donnait ses autorisations aux départ en congés.



Les deux salariés doivent en conséquence être considérés comme exécutant un travail de valeur égale alors que leur rémunération afférente au statut qui leur était reconnu était différente.



L'inégalité de traitement est donc caractérisée et doit être retenue alors que la société ne conteste pas que M [R] n'a pas été placé dans les mêmes conditions salariales que M. [U], mais revendique le bien fondé de cette différence.





D- sur les indemnisations dues.



Le salarié victime d'une discrimination doit être rétabli dans ses droits et indemnisé et l'employeur peut être condamné à verser des dommages-intérêts au salarié au titre du préjudice subi du fait de la discrimination, dommages-intérêts qui sont cumulables avec ceux accordés en réparation du harcèlement.



Le salarié privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination peut prétendre en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination.



1) sur les créances salariales,



S'agissant de la rupture d'égalité entre le salarié et M. [U], le montant des droits éludés doit être fixé à 74 883,76 euros et 7 488 euros pour les congés payés afférents, prime d'ancienneté, prime de 13 et 14ème mois comprise, pour la période non prescrite courant de 2015 à 2022, telle que cela résulte du décompte produit par l'appelant, la société Singapore Airlines Limited devant être condamnée à verser ces sommes à titre de créances salariales.



De plus, entre 2018 et 2022 il n'est pas contesté que M. [R] a été privé de tout ou partie du bonus à raison du comportement de l'employeur contre lequel sont retenus une discrimination à raison des activités syndicales et un harcèlement discriminatoire de même qu'une inégalité de traitement.



L'arrêt de travail qui est résulté de ces comportements et qui selon la société a conduit à l'absence de performance justifiant le non versement des bonus, a privé le salarié des sommes auxquelles il aurait pu prétendre à ce titre s'il n'avait pas été victime des faits de discrimination et de harcèlement discriminatoire imputés à l'employeur.



Il doit en conséquence être alloué de ce chef à M [R] la somme de 11 726,97 euros à titre de rappel de salaire.



2) sur les créances indemnitaires,



M. [R] sollicite au titre de la discrimination syndicale, une indemnisation qu'il chiffre à un total de 148 379,06 euros en référence à un salaire reconstitué à compter de 2011 jusqu'en 2022.



Cette évaluation prenant en considération la différence de rémunération imposée à M [R] et existant notamment avec les émoluments versés à M. [U], auquel le salarié s'est comparé tant en ce qui concerne les tâches que le statut, il y a lieu de considérer, au regard du rappel de salaire qui lui a été précédemment alloué à raison de la rupture d'égalité avec la situation de ce même M.[U], que les droits salariaux dont il a été éludé pendant onze années ont généré un préjudice qui doit être fixé à 100 000 euros, augmentation de 3% des salaires de base de 2022 comprise et prime de 25 ans de présence également.



En outre, le harcèlement moral a, comme il a été ci-dessus rappelé, généré un préjudice tant matériel que moral qu'il convient d'indemniser en une somme globale de 8 000 euros au regard de la durée des faits retenus et de leur intensité ainsi que des conséquences sur l'état de santé du salarié.



3) sur la demande de reclassement,



Au titre de la discrimination à raison de l'activité syndicale, M. [R] sollicite également que soit ordonné 'son reclassement au poste de responsable des ventes avec le niveau de responsabilité et le salaire de base correspondant dans les huit jours de la notification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard'.



Les faits tenant aux modalités dans lesquelles un recrutement externe sur le poste de responsable des ventes a été privilégié au recrutement interne au mépris des dispositions conventionnelles ont été retenus comme constituant la discrimination à raison des activités syndicales, ce qui justifie que soit ordonné le reclassement sollicité, lequel tend également à restaurer M. [R] dans les droits dont il a été évincé.



La société ne justifie pas d'une impossibilité de procéder au reclassement sollicité, lequel doit donc être ordonné rien ne justifiant en revanche à ce stade le prononcé d'une astreinte.





III- sur les autres demandes,



De ce qui précède, il résulte que la cour ne s'est pas fondée sur la pièce n°49 de M.[R], il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande tendant à ce qu'elle soit rejetée des débats.



Les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation, et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1343-2 nouveau du code civil.



L'employeur sera tenu de présenter au salarié un bulletin de paie récapitulatif par année civile, conforme au présent arrêt.



Enfin raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à M. [R] une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.





PAR CES MOTIFS



La Cour,



REJETTE la demandes tendant à ce que soient déclarées irrecevables comme nouvelles les demandes de M. [R] tenant à des rappels de primes et de dommages-intérêts pour harcèlement moral discriminatoire,



INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,







CONDAMNE la société Singapore Airlines Limited à verser à M. [R] les sommes de :



- 74 883,76 euros à titre de rappel de salaire pour la période 2015 à 2022,



- 7488 euros au titre des congés payés afférents,



- 11 726,97 euros à titre de rappel de bonus pour les années 2018 à 2022,



-100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la discrimination syndicale,



- 8 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né du harcèlement moral discriminatoire,



ORDONNE le reclassement de M. [R] au poste de responsable des ventes avec le niveau de responsabilité et le salaire de base correspondant dans les huit jours de la signification du présent arrêt,



CONDAMNE la société Singapore Airlines Limited à verser à M. [R] 3 000 euros à titre de dommages-intérêts



DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,



DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1154 devenu l'article 1343-2 nouveau du code civil,



DIT que l'employeur sera tenu de présenter au salarié un bulletin de paie récapitulatif par année civile, conforme au présent arrêt,



DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes.



CONDAMNE la société Singapore Airlines Limited aux dépens de première instance et d'appel.



LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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