17 mai 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/09792

Pôle 4 - Chambre 13

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 17 MAI 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/09792



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Janvier 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris - RG n° 19/01802



APPELANTE :



ASSOCIATION 269 LIFE FRANCE OFFICIEL prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 1]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Ayant pour avocat plaidant Me Angélique CHARTRAIN, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE :



CONFEDERATION FRANÇAISE DE LA BOUCHERIE CHARCUTERIE TRAITEURS , agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Ayant pour avocat plaidant Me Isabelle MARCUS MANDEL, avocat au barreau de Paris



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère chargée du rapport .



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère



Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD



ARRET :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




***



Dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, ont été posées sur des panneaux publicitaires des affiches anti-spécisme représentant un boucher vêtu d'un tablier ensanglanté posant devant une toise et portant un panneau avec la mention 'bonjour, je suis boucher et j'adore découper des cadavres d'innocents pour votre bon plaisir'. Le logo, le site internet et la page Facebook de '269 Life' sont reproduits en bas à gauche de ces affiches. Cette action a été nommée 'Nuit du spécisme'.



L'association 269 Life France Officiel, qui a pour but de sensibiliser la population à la condition animale, a republié sur sa page Facebook un texte rédigé par [R] [B], créateur du collectif 269 Life, dans lequel il fait l'apologie de l'anti-spécisme, ainsi que des photographies de l'action 'boucher, pas un métier' durant laquelle des militants anti-spécisme manifestaient devant des boucheries avec des bébés animaux morts, en jetant du faux sang sur les vitrines de ces commerces et en tenant une pancarte avec l'écriteau 'boucher, pas un métier'.



C'est dans ces circonstances que par actes des 10 et 16 janvier 2019, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT), estimant ces actes constitutifs de dénigrement, a fait assigner l'association 269 Life France, l'association 269 Life Officiel (sic) et l'association 269 Life Libération Animale devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité délictuelle.



Par jugement du 20 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- condamné in solidum l'association 269 Life France, l'association 269 Life Officiel et l'association 269 Life Libération Animale à payer à la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs, la somme de 7 500 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamné in solidum l'association 269 Life France, l'association 269 Life Officiel et l'association 269 Life Libération Animale aux dépens, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamné in solidum l'association 269 Life France, l'association 269 Life Officiel et l'association 269 Life Libération Animale à payer à la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- débouté la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs, du surplus de ses demandes.



Par déclaration du 17 juillet 2020, l'association 269 Life France Officiel a interjeté appel de cette décision.



Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 6 février 2023, l'association 269 Life France Officiel, demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a retenu sa responsabilité civile délictuelle au titre du dénigrement et l'a condamnée in solidum à payer à la CFBCT les sommes de 7 500 euros en réparation de son préjudice moral et 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens,

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

et statuant à nouveau,

- déclarer la CFBCT irrecevable, à défaut de prouver sa qualité et son intérêt à agir, et mal fondée en ses demandes,

- débouter la CFBCT de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la CFBCT à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour abus du droit d'agir en justice,

- condamner la CFBCT à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la CFBCT aux entiers dépens.



Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 2 mars 2023, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT) demande à la cour de:

- la recevoir en ses écritures, les déclarer bien fondées,

- infirmer le jugement en ce qu'il ne caractérise pas des actes de dénigrement tenant à l'affiche et au texte publié sur facebook, et en ce qu'il n'a pas reconnu de préjudice commercial et matériel,

en conséquence,

- débouter l'association 269 Life France Officiel en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger que l'association 269 Life France Officiel s'est rendue coupable d'actes de dénigrement,

- condamner l'association 269 Life France Officiel à lui verser la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral,

- condamner l'association 269 Life France Officiel à lui verser la somme de 900 000 euros au titre du préjudice commercial et matériel,

- faire interdiction en tant que de besoin à l'association 269 Life France Officiel de procéder à l'affichage de l'affiche incriminée ou tout autre affiche de même nature et ce sous astreinte de 50 euros par jour et par affiche,

- faire interdiction d'organiser ou de participer directement ou indirectement à des manifestations de quelque nature que ce soit devant les vitrines des boucheries et boucheries charcuterie et ce sous astreinte de 100 euros par jour et par action,

- condamner l'association 269 Life France Officiel à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'association 269 Life France Officiel aux entiers dépens de l'instance au titre de l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Me Taytaud.




SUR CE :



Sur la recevabilité à agir de la CFBCT :



L'association 269 Life France Officiel soulève l'irrecevabilité à agir de la CFBCT, faute de qualité et d'intérêt, aux motifs que :

- les statuts de la CFBCT produits en première instance, d'origine douteuse, manifestement incomplets, non signés ni datés, ne font pas état de la défense des intérêts de ses membres ni de sa capacité à ester en justice et ne sont confortés par aucun autre élément, notamment des décisions de justice en relation avec la défense de l'intérêt des professions de boucher, boucher-charcutier et traiteur,

- les statuts de la CFBCT produits en cause d'appel, d'un contenu différent, paraphés et signés sont datés du 3 septembre 2020, soit postérieurement à l'introduction de l'instance et lui sont donc inopposables.



La CFBCT ne réplique pas sur ce point.



Selon l'article 122 du code de procédure civile, 'Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix et la chose jugée'.



Il est produit deux versions des statuts de la CFBCT. La première, si elle contient un article 2 indiquant que la confédération a pour but notamment de 'veiller aux intérêts généraux de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs' et de 'représenter la profession et d'intervenir auprès des pouvoirs publics, des administrations, des tribunaux et auprès des divers groupements économiques et professionnels nationaux et internationaux', n'est cependant ni datée, ni signée. La seconde, qui reprend les dispositions de cet article, est datée du 3 septembre 2020 et n'était donc pas applicable au moment de la délivrance de l'assignation par actes des 10 et 16 janvier 2019.



Au surplus, la plaquette de présentation de la CFBCT présente celle-ci comme une organisation professionnelle faisant partie intégrante des différentes interprofessions permettant d'apporter une vision plus globale au métier, et proposant de nombreux services, dont le conseil, la formation, la communication et l'information. Parmi les '5 bonnes raisons d'adhérer', figurent la rubrique 'se protéger : Bénéficiez d'une information, d'un conseil, d'une aide sur vos questions juridiques (baux commerciaux, démarchage abusif...), sociales (convention collective, contrat de travail...), fiscales, sur la règlementation, l'hygiène ou encore la traçabilité'.



Aucun élément n'établit que la CFBCT assurait la défense des intérêts de ses adhérents en justice au moment de l'introduction de l'action en justice.



La CFBCT ne justifie donc pas de sa qualité et de son intérêt à agir. Elle est par conséquent irrecevable en ses demandes.



Le jugement est donc infirmé.



Sur la demande de dommages-intérêts pour abus de procédure et l'amende civile :



L'association 269 Life France Officiel fait valoir l'abus de droit de la CFBCT dont l'action est manifestement mal fondée, et qui fait preuve de mauvaise foi, de déloyauté et de légéreté blâmable notamment en entretenant volontairement la confusion entre elle et d'autres entités animalistes, en se fondant sur des citations tronquées et en n'ayant pas cherché à la contacter alors qu'elle n'a pas été touchée par la citation délivrée en première instance.

Elle sollicite une somme de 30 000 euros de dommages et intérêts aux motifs que ses actions ont été paralysées en raison du budget consacré à la présente procédure et en raison de l'atteinte à son honneur et à sa réputation pour avoir été diffamée dans les médias, dénoncée de façon calomnieuse auprès du président de la République et mise en cause dans un rapport d'information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l'exercice de certaines activités légales du 26 janvier 2021. Elle considère également que l'intimée doit être condamnée à une amende civile.



La CFBCT réplique que la présente action ne présente aucun caractère dilatoire, les montants demandés correspondant en réalité au préjudice subi par toute une profession qui compte 18 000 artisans, et que la demande est infondée.



Il n'est justifié aucun abus de droit d'agir de la CFBCT qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits. En particulier, il ne saurait lui être fait grief d'entretenir volontairement une confusion entre les associations 269 Life France Officiel et 269 Life France dont les dénominations et actions sont similaires. L'insuffisance et le caractère tronqué allégués des pièces et l'importance du montant des demandes formulées ne suffisent pas à caractériser l'abus de procédure s'agissant de l'action en responsabilité délictuelle exercée à l'encontre de l'appelante qui a reproduit sur sa page Facebook un texte rédigé par [R] [B], créateur du collectif 269 Life, dans lequel il fait l'apologie de l'anti-spécisme, ainsi que des photographies de l'action 'boucher, pas un métier' durant laquelle des militants anti-spécisme se tenaient devant des boucheries avec des bébés animaux morts, en jetant du faux sang sur les vitrines de ces commerces et en tenant une pancarte avec l'écriteau 'boucher, pas un métier'.



L'appelante est donc déboutée de ses demandes de ce chef.







Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :



La CFBCT échouant en ses prétentions est condamnée aux dépens et à payer à l'association 269 Life France Officiel une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Infirme le jugement dans la limite de l'appel,



Dit la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs irrecevable en ses demandes à l'encontre de l'association 269 Life France Officiel,



Déboute l'association 269 Life France Officiel de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et de prononcé d'une amende civile,



Condamne la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs à payer à l'association 269 Life France Officiel une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs aux dépens de première instance et d'appel.











LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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