12 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.057

Assemblée plénière

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2023:PL90668

Titres et sommaires

CRIMES ET DELITS COMMIS A L'ETRANGER - Faits commis à l'étranger par un étranger - Crimes contre l'humanité et crimes de guerre - Compétence universelle des juridictions françaises - Condition - Double incrimination - Incrimination identique dans la loi étrangère - Nécessité (non)

La condition de double incrimination, exigée par l'article 689-11 du code de procédure pénale pour la poursuite des crimes contre l'humanité et des crimes et délits de guerre, n'implique pas que la qualification pénale des faits soit identique dans les deux législations, mais requiert seulement qu'ils soient incriminés par l'une et l'autre. La condition d'incrimination par la loi étrangère peut être remplie au travers d'une infraction de droit commun constituant la base du crime poursuivi, tels le meurtre, le viol ou la torture


CRIMES ET DELITS COMMIS A L'ETRANGER - Faits commis à l'étranger par un étranger - Génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre - Compétence universelle des juridictions françaises - Caractère subsidiaire - Fait commis sur le territoire d'un Etat non partie au Statut de Rome - Déclinatoire de compétence de la Cour pénale internationale - Nécessité (non)

Pour l'application de l'article 689-11, second alinéa, du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi du 9 août 2010, en vigueur du 11 août 2010 au 25 mars 2019, lorsque les faits poursuivis auraient été commis par un ressortissant syrien sur le territoire de la Syrie, Etat non partie au Statut de Rome et à l'égard duquel la Cour pénale internationale n'avait à l'évidence aucune compétence, il ne saurait être exigé que le ministère public s'assure auprès de cette juridiction qu'elle décline expressément sa compétence

Texte de la décision

COUR DE CASSATION LM


ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE


Audience publique du 12 mai 2023


Rejet

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 668 B+R

Pourvoi n° Y 22-80.057





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 12 MAI 2023


L'association [1], partie civile, a formé une opposition contre l'arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, en date du 24 novembre 2021, qui a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris du 18 février 2021, ayant, dans l'information suivie, contre M. [S] [R], des chefs de tortures, crimes contre l'humanité et complicité de ces crimes, prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 9 septembre 2022, le premier président de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen de l'opposition devant l'assemblée plénière de ladite Cour.

La [1] invoque, devant l'assemblée plénière, un moyen d'opposition.

Ce moyen a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la [1].

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [S] [R].

Des observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la [2], reprenant, au profit de cette dernière, le moyen proposé par [1].

Le rapport écrit de Mme Leprieur, conseiller, et l'avis écrit de M. Molins, procureur général, ont été mis à la disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, assistée de M. Dimitri Dureux, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, et l'avis de M. Molins, procureur général, auquel, parmi les parties invitées à le faire, la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy a répliqué, après débats en l'audience publique du 17 mars 2023 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Chauvin, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, Mme Martinel, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. Huglo, Mmes de la Lance, Darbois, doyens de chambre, Mmes Auroy, Leroy-Gissinger, M. Delbano, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, Mme Cavrois, M. Martin, Mmes Agostini, Grandjean, M. Bedouet, conseillers, M. Molins, procureur général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 18 décembre 2017, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a porté à la connaissance du pôle spécialisé du parquet de Paris sa décision d'exclure de la protection internationale M. [S] [R], ressortissant syrien, au motif qu'il existait des raisons plausibles de soupçonner que celui-ci s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies relevant de l'article 1er, F, c) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés.

3. Il lui était imputé sa participation à la répression de manifestations de l'opposition au régime syrien, ainsi qu'à l'arrestation de civils à l'occasion de ces événements et lors d'opérations de contrôles sur des barrages, faits commis de 2011 à 2013, alors qu'il avait été mobilisé comme réserviste de l'armée syrienne et affecté à la direction des renseignements généraux.

4. Une enquête préliminaire a été diligentée.

5. Le 15 février 2019, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a ouvert une information contre M. [R] des chefs d'actes de tortures, crimes contre l'humanité et pour complicité de ces crimes.

6. Le même jour, M. [R] a été mis en examen pour complicité de crimes contre l'humanité, faits commis en Syrie entre mars 2011 et fin août 2013.

7. Les associations [1] ([1]) et [2] se sont constituées partie civile.

8. Le 12 août 2019, l'avocat de M. [R] a déposé une requête en nullité du procès-verbal d'interpellation de l'intéressé, de sa garde à vue et des actes subséquents, notamment la mise en examen, au motif de l'incompétence des autorités de poursuite et de jugement françaises. Il a également fait valoir l'absence d'indices graves ou concordants.

9. Par arrêt du 18 février 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a dit que les juridictions françaises étaient compétentes, rejeté la requête en annulation, constaté la régularité de la procédure jusqu'à la cote D. 546 et fait retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information.

10. Par arrêt du 24 novembre 2021 (Crim., 24 novembre 2021, pourvoi n° 21-81.344, publié au Bulletin), la chambre criminelle a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre de l'instruction du 18 février 2021, déclaré incompétentes les juridictions françaises pour connaître des poursuites engagées contre le demandeur, et, pour qu'il soit à nouveau jugé, sur les conséquences de cette incompétence sur la régularité des actes de la procédure, renvoyé la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Examen de la recevabilité de l'opposition


11. Il résulte de l'examen de la procédure suivie devant la Cour de cassation que M. [R] n'a pas notifié le pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 18 février 2021, à [1], partie civile, ainsi que l'exigent les dispositions de l'article 578 du code de procédure pénale.

12. Pas davantage, il n'a été adressé à la partie civile, partie intéressée au pourvoi, copie du mémoire produit à l'appui de celui-ci, en méconnaissance des prescriptions de l'article 589 du même code.

13. En conséquence, l'opposition, formée dans les conditions prévues aux articles 579 et 589 du code de procédure pénale, est recevable.

14. Par ailleurs, [1] produit des éléments de nature à conduire l'Assemblée plénière à réexaminer le pourvoi de M. [R].

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

15. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt de la chambre de l'instruction du 18 février 2021 en ce qu'il a décidé que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître des faits de complicité de crime contre l'humanité reprochés à M. [R], qu'il n'y avait lieu à l'annulation d'aucun acte ou pièce de la procédure et constaté la régularité du surplus jusqu'à la cote D. 546, alors :

« 1°/ que la compétence des juridictions françaises pour connaître de faits constitutifs de crime contre l'humanité commis à l'étranger suppose soit que l'État où les faits ont été commis ou dont le mis en examen a la nationalité soit partie au statut de Rome, soit que les faits pour lesquels le mis en examen est poursuivi soient incriminés dans l'État dans lequel ils ont été perpétrés ; qu'en l'espèce, pour retenir que la condition de la double incrimination était remplie, l'arrêt attaqué a considéré que si les crimes contre l'humanité n'étaient pas expressément visés comme tels dans le code pénal syrien, celui-ci incriminait le meurtre, les actes de barbarie, le viol, les violences et la torture, tandis que la Constitution syrienne interdisait la torture et incriminait les atteintes aux libertés publiques, la Syrie étant partie à de nombreux traités, dont les Conventions de Genève, ajoutant que ces crimes étaient des éléments constitutifs du crime contre l'humanité ; qu'en statuant ainsi tout en relevant que les crimes contre l'humanité n'étaient pas expressément visés comme tels dans le code pénal syrien, et sans constater que la Syrie aurait été partie au statut de Rome, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 689 et 689-11 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en se bornant à retenir que, n'étant compétente que pour des faits commis sur le territoire d'États parties au statut de Rome, ce qui n'était pas le cas de la Syrie, la Cour pénale internationale ne pouvait décliner une compétence qu'elle ne possédait pas, quand il lui appartenait de vérifier que le ministère public avait accompli les diligences mises à sa charge par les dispositions de l'article 689-11 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 689-11 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

17. Le moyen pose la question de l'interprétation de la condition de double incrimination, énoncée à l'article 689-11 du code de procédure pénale.

18. Aux termes de ce texte, dans sa version issue de la loi n° 2010-930 du 9 août 2010, en vigueur du 11 août 2010 au 25 mars 2019, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont elle a la nationalité est partie à la convention précitée.

19. Cet article exige que les faits poursuivis en France sous la qualification de crimes contre l'humanité ou de crimes et délits de guerre soient punis par la législation de l'État où ils ont été commis.

20. Or, ces infractions comportent un élément constitutif contextuel. Les crimes contre l'humanité, autres que le génocide, définis par les articles 212-1 à 212-3 du code pénal, sont nécessairement commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique. Les crimes et délits de guerre, définis aux articles 461-1 à 461-31 du même code, doivent avoir été commis lors d'un conflit armé et en relation avec ce conflit, en violation des lois et coutumes de la guerre ou des conventions internationales applicables aux conflits armés.

21. L'article 689-11, précité, peut, dès lors, recevoir deux interprétations différentes.

22. Selon la première interprétation, il faut considérer que l'existence d'un élément contextuel fait partie intégrante des faits poursuivis puisque, en l'absence de cet élément, ils ne peuvent être qualifiés de « crime contre l'humanité » ou de « crime et délit de guerre ». On en déduit que la législation qui ne tient pas compte de cet élément contextuel et se borne à réprimer des faits sous-jacents, pris individuellement, ne réprime pas les faits poursuivis considérés dans leur ensemble mais seulement une partie d'entre eux. Or c'est cet ensemble qui justifie la compétence extraterritoriale des juridictions françaises, laquelle n'existe pas pour les seuls faits sous-jacents. Aussi la condition de double incrimination n'est-elle remplie que si, dans l'État où les faits ont été commis, la législation prend en compte la circonstance qu'ils l'ont été en exécution d'un plan concerté ou lors d'un conflit armé et en relation avec ce conflit. Cette interprétation a été retenue par l'arrêt de la chambre criminelle frappé d'opposition.

23. La seconde interprétation se fonde sur le fait que l'article 689-11 du code de procédure pénale se borne à exiger que les faits soient punis dans l'État où ils ont été commis sans tenir compte de la qualification sous laquelle ils pourraient être poursuivis. On en déduit qu'il suffit que les faits sous-jacents soient punis par la législation de l'État où ils ont été commis.

24. Dès lors que le simple libellé du texte ne permet pas de lui donner un sens certain, il convient de rechercher l'intention du législateur. Celle-ci est déterminante s'agissant de la mise en œuvre de la compétence universelle des juridictions françaises, laquelle relève de la souveraineté de l'État en matière pénale.

25. Or, il résulte des débats parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 9 août 2010, qui a créé l'article 689-11 du code de procédure pénale, que la condition de double incrimination, telle qu'énoncée dans ledit article, ne requiert pas une identité de qualification et d'incrimination.

26. Ainsi, le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale indiquait, à ce propos, lors de la 1re séance du 13 juillet 2010 : « Cette condition n'est jamais que la traduction du principe de légalité des peines. Elle vise à conférer une légitimité juridique à l'intervention des juridictions françaises. Elle n'implique en revanche pas qu'il faille que les faits aient une incrimination identique dans les deux États. Les faits doivent effectivement être réprimés dans l'autre pays même s'ils sont qualifiés différemment ou si on leur applique des peines différentes. [...] Aucun pays au monde ne laisse le meurtre ou les faits de barbarie impunis dans sa législation pénale. On ne peut donc pas arguer qu'en maintenant la condition de double incrimination, on laisserait impunis les auteurs d'un génocide par exemple. »

27. Le secrétaire d'État auprès de la ministre de la justice et des libertés ajoutait : « Ce critère de la double incrimination [...] n'empêche pas de poursuivre des faits graves. D'ailleurs, contrairement à ce qui est expliqué dans l'exposé sommaire de ces amendements, il n'est imposé une identité ni des qualifications ni des peines encourues. Aucun fait grave, que ce soit un génocide, un assassinat, un viol, n'échappera à la compétence des juridictions françaises en raison de cette exigence de double incrimination. »

28. Dans le même sens, dans ses observations sur les recours dirigés contre la loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, présentées devant le Conseil constitutionnel, le Gouvernement affirmait : « [...] cette condition de double incrimination ne constituera jamais, en fait, un obstacle à la poursuite et au jugement des crimes les plus graves. Il n'est pas nécessaire en effet, pour l'application de l'article, que les dénominations des crimes soient identiques (notamment que le génocide soit, en tant que tel, incriminé) : il suffit que les faits soient pénalement sanctionnés ; or tous les États du monde incriminent l'assassinat et le meurtre. »

29. Par ailleurs, les termes de l'article 689-11 du code de procédure pénale sont identiques à ceux de l'article 696-3 du même code, qui, en matière d'extradition, requiert que le « fait » soit « puni par la loi française » d'une peine.

30. Or, en cette matière, la chambre criminelle a jugé qu'il appartient aux juridictions françaises de rechercher si les faits visés dans la demande d'extradition sont punis par la loi française d'une peine criminelle ou correctionnelle, indépendamment de la qualification donnée par l'État requérant (Crim., 21 mars 2017, pourvoi n° 16-87.722, Bull. crim. 2017, n° 75). La condition de double incrimination de faits qualifiés de crimes contre l'humanité par l'État étranger requérant peut être remplie dans la législation nationale au travers d'infractions de droit commun, en particulier le crime d'assassinat (Crim., 12 juillet 2016, pourvoi n° 16-82.664), ou la séquestration arbitraire aggravée (Crim., 24 mai 2018, pourvoi n° 17-86.340, Bull. crim. 2018, n° 102).

31. Il n'apparaît pas justifié d'interpréter différemment les termes de l'article 689-11 du code de procédure pénale, relatif à un cas de compétence universelle, et ceux de l'article 696-3 du même code, relatif à l'extradition.

32. En effet, le mécanisme de la compétence universelle constitue une alternative au mécanisme de coopération pénale qu'est l'extradition et trouve à s'appliquer dans le cas où l'État étranger est défaillant dans son obligation de poursuivre les crimes internationaux.

33. Il y a donc lieu de retenir que la condition de double incrimination, exigée pour la poursuite des crimes contre l'humanité et des crimes et délits de guerre, n'implique pas que la qualification pénale des faits soit identique dans les deux législations, mais requiert seulement qu'ils soient incriminés par l'une et l'autre.

34. La condition d'incrimination par la loi étrangère peut être remplie au travers d'une infraction de droit commun constituant la base du crime poursuivi, tels le meurtre, le viol ou la torture.

35. Une telle interprétation ne prive pas la condition de double incrimination de toute portée.

36. En effet, par exemple, s'agissant des crimes contre l'humanité, l'infraction prévue par l'article 212-1 du code pénal, consistant en la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, ne trouve pas nécessairement d'équivalent dans certains droits étrangers.

37. De même, certains crimes et délits de guerre, tel le fait d'ordonner qu'il n'y ait pas de survivants ou d'en menacer l'adversaire, prévu par l'article 461-8 du même code, ne sont pas systématiquement incriminés, même en substance.

38. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité tiré de l'incompétence des juridictions françaises pour connaître des crimes contre l'humanité reprochés à M. [R] sur le fondement de l'article 689-11 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué, s'agissant de la condition de double incrimination, après avoir constaté que la Syrie n'est pas partie à la Convention portant statut de la Cour pénale internationale, énonce que la Constitution syrienne de 2012 interdit la torture et qu'en vertu de ce texte, toute violation de la liberté personnelle ou de la protection de la vie personnelle ou de tous autres droits ou libertés publiques garantis par la Constitution est considérée comme un crime qui est puni par la loi.

39. Les juges relèvent que, si les crimes contre l'humanité ne sont pas expressément visés comme tels dans le code pénal syrien, celui-ci incrimine le meurtre, les actes de barbarie, le viol, les violences et la torture.

40. La chambre de l'instruction en déduit que le droit syrien, même s'il n'incrimine pas, de manière autonome, les crimes contre l'humanité, réprime les faits à l'origine de la poursuite dans l'affaire dont elle est saisie.

41. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

42. Dès lors, le moyen doit être écarté.

43. L'opposition est par conséquent bien fondée, de sorte qu'il y a lieu de déclarer nul et non avenu l'arrêt rendu par la chambre criminelle.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

44. Selon l'article 689-11, second alinéa, du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi du 9 août 2010, en vigueur du 11 août 2010 au 25 mars 2019, la poursuite du crime de génocide, des autres crimes contre l'humanité et des crimes et délits de guerre ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. A cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition.

45. Pour écarter le moyen de nullité pris de l'incompétence des juridictions françaises pour connaître des crimes reprochés à M. [R] sur le fondement de l'article 689-11 précité, l'arrêt attaqué, s'agissant de la condition tenant à la déclinaison de sa compétence par la Cour pénale internationale, énonce que cette juridiction ne peut décliner une compétence qu'elle ne possède pas.

46. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

47. En effet, il résulte de l'article 12 du Statut de Rome que la Cour pénale internationale peut exercer sa compétence si est partie audit Statut l'État sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu, ou l'État dont la personne accusée du crime est un ressortissant.

48. La Syrie n'étant pas un État partie, il ne saurait être exigé que le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément une compétence dont elle est à l'évidence dépourvue.

49. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

50. Le moyen critique l'arrêt de la chambre de l'instruction du 18 février 2021 en ce qu'il a décidé n'y avoir lieu à l'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et constaté la régularité de la procédure pour le surplus jusqu'à la cote D. 546, alors « qu'à peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; qu'en retenant à l'encontre de l'exposant l'existence d'indices graves et concordants ''qu'il ait pu participer comme complice au crime visé'', sans caractériser à son encontre aucun acte positif de nature à constituer des indices graves et concordants d'avoir commis en qualité de complice des faits de crimes contre l'humanité, la chambre de l'instruction n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard de l'article 80-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

51. Pour rejeter la demande de nullité de la mise en examen, tirée de l'inexistence d'un acte positif imputable à M. [R], l'arrêt relève que les services de renseignements de l'appareil sécuritaire syrien étaient particulièrement actifs dès le début des manifestations et que les activités de la direction générale des renseignements généraux se concentraient sur la lutte contre les manifestations et l'arrestation de supposés opposants au régime.

52. Les juges ajoutent que M. [R] a été successivement affecté à deux des sections de la direction générale des renseignements généraux, identifiées comme étant celles d'où provenaient un grand nombre des clichés des corps de personnes torturées contenus dans le rapport dit « César ».

53. Les juges retiennent que, selon un rapport syrien, faire son service militaire dans un service de sécurité était généralement considéré comme l'une des meilleures affectations et que M. [R], remarqué lors de plusieurs sélections, avait nécessairement donné des preuves de loyauté au régime. Ils en déduisent que ces éléments contredisent les allégations de l'intéressé, selon lesquelles il avait été affecté au sein de ces sections sans raison particulière et que son rôle s'était limité à exécuter des gardes statiques sur des barrages dans des quartiers ultra sécurisés.

54. Ils énoncent encore que les personnels des sections dont il s'agit travaillaient en coordination pour effectuer des patrouilles et que les réservistes, sélectionnés au vu de leur loyauté, étaient systématiquement armés.

55. Ils précisent que deux témoins ont pensé reconnaître M. [R] sur photographie, l'un croyant l'avoir croisé comme surveillant dans un centre de détention, l'autre comme agent ou surveillant. Un autre témoin a déclaré l'avoir entendu dire que son travail était d'arrêter les manifestants et de les frapper avec une matraque.

56. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits, d'où elle a déduit qu'il existait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de M. [R] comme complice au crime visé, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

57. Le moyen doit, en conséquence, être rejeté.

58. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE l'association [1] recevable en son opposition ;

Au fond, la reçoit ;

DÉCLARE nul et non avenu l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 24 novembre 2021, qui a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris du 18 février 2021 ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-trois.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.