10 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.375

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00532

Titres et sommaires

PEINES - Peines correctionnelles - Amende - Prononcé - Motivation - Eléments à considérer - Ressources et charges - Etablissement des charges - Charges au jour où la juridiction statue

Il résulte des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges, au jour où la juridiction statue. Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, pour condamner la société déclarée coupable à une amende, apprécie ses ressources à une date antérieure à l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire

Texte de la décision

N° U 22-80.375 F-B

N° 00532


ECF
10 MAI 2023


CASSATION PARTIELLE
REJET


M. BONNAL président,




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MAI 2023


M. [R] [Y], M. [F] [Y] et M. [C] [I], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société [Y] et [W], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 6 décembre 2021, qui les a condamnés, le premier, pour travail dissimulé aggravé, à 5 000 euros d'amende, le deuxième et la troisième, pour recours aux services d'un travailleur dissimulé aggravé, à respectivement 5 000 euros et 20 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de MM. [F] et [R] [Y], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [Y] et [W], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF Nord Pas-de-Calais, et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Maziau, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,


la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. MM. [F] et [R] [Y], en qualité de représentants légaux des sociétés française [Y] et [W] et espagnole [Y] [1], ainsi que les sociétés précitées, placées en liquidation judiciaire, la première étant représentée par son liquidateur, M. [C] [I], ont été convoqués devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés.

3. Par jugement du 9 avril 2020, le tribunal correctionnel les a déclarés coupables des faits reprochés et condamnés à des amendes, a ordonné la confiscation à l'encontre de la société [Y] et [W] de la somme de 642 600 euros saisie sur le compte bancaire de ladite société ainsi qu'une mesure de publication.

4. Sur l'action civile, le tribunal a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais (l'URSSAF) et a condamné solidairement les quatre prévenus à lui payer la somme de 743 408 euros à titre de dommages-intérêts.

5. MM. [R] et [F] [Y] ainsi que M. [I] ont relevé appel de cette décision, le procureur de la République appel incident.

Examen des moyens

Sur le moyen proposé pour MM. [R] et [F] [Y] et sur les premier et troisième moyens proposés pour la société [Y] et [W]


6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le deuxième moyen proposé pour la société [Y] et [W]

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [Y] et [W] au paiement d'une amende de 20 000 euros et, à titre de peine complémentaire, a ordonné la confiscation de la somme de 642 600 euros saisie sur son compte bancaire, alors « que le juge pénal qui prononce une peine d'amende doit spécialement motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction mais également au regard de la situation matérielle et sociale de la société, en tenant compte de ses ressources et de ses charges, appréciées au jour où il statue ; il résulte de la procédure que la société [Y] et [W] est en liquidation judiciaire, que le fonds de commerce et le matériel ont été vendus pour un prix de 642 600 euros, saisi puis confisqué à titre de peine complémentaire, et que le montant des dommages et intérêts alloués à l'URSSAF au titre du préjudice subi excède de plus de 100 000 euros cet actif de la liquidation judiciaire ; le liquidateur judiciaire de la société a produit un état du passif déclaré faisant notamment apparaître une déclaration de créance de la direction générale des finances publiques à hauteur d'une somme supérieure à 50 000 euros ; pour dire adaptée et proportionnée la peine d'amende de 20 000 euros prononcée, après avoir inexactement retenu que la société a été placée en redressement judiciaire, alors qu'elle a été directement placée en liquidation judiciaire compte tenu de sa situation irrémédiablement obérée, l'arrêt énonce que la société [Y] et [W] réalisait avant l'ouverture de la procédure collective un chiffre d'affaires de plus de 2 millions et qu'en ayant recours à une entreprise exerçant un travail dissimulé, elle a éludé des charges qui lui incombaient ; en ne se plaçant pas à la date où elle statuait pour apprécier la situation de la société et en ne s'expliquant pas mieux sur le caractère proportionné de la peine d'amende au regard de ses ressources et charges, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 132-1, 132-20 et 132-24 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 485-1 du code de procédure pénale :

8. Selon ce texte, en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. Il en résulte que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges, au jour où la juridiction statue.

9. Pour confirmer le jugement ayant condamné la société [Y] et [W] à 20 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l'article 131-38 du code pénal, énonce, qu'avant la procédure collective ouverte à son encontre, la société réalisait un chiffre d'affaires de plus de 2 000 000 d'euros.

10. Les juges ajoutent, qu'en ayant recours à une entreprise exerçant un travail dissimulé, elle a éludé les charges qui lui incombaient.

11. Ils en concluent que l'amende ainsi prononcée est adaptée et proportionnée.

12. En prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a apprécié les ressources de la société prévenue, non au jour où elle statuait, mais à une date antérieure à l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

13. Il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen proposé pour la société [Y] et [W]

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement la société [Y] et [W], représentée par son liquidateur, M. [I], à payer à l'URSSAF la somme de 743 408 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que, in solidum, la somme de 1 200 euros (450 + 750) sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors « que la cour ne pouvait que fixer le montant de la créance de l'URSSAF au passif de la liquidation judiciaire de la société [Y] et [W] ; qu'elle a violé les articles L. 622-21 et L. 622-24, alinéa 7, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-21, I, et L. 641-3 du code de commerce, dans leur version issue respectivement de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 et de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 :

15. Selon ces textes, le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

16. Après avoir relevé que la société [Y] et [W] a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 2 février 2018, l'arrêt la condamne à payer des dommages-intérêts à l'URSSAF, partie civile, en réparation du préjudice découlant des infractions de travail dissimulé commises antérieurement.

17. En statuant ainsi, alors que la créance de l'URSSAF avait une origine antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel, qui devait se borner à fixer au passif de la liquidation judiciaire la créance de la partie civile, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

18. Dès lors, la cassation est encore encourue de ce chef.




PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par MM. [R] et [F] [Y] :

Les REJETTE ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que MM. [R] [Y] et [F] [Y] devront payer à l'URSSAF Nord Pas-de-Calais en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Sur le pourvoi formé par la société [Y] et [W] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 6 décembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant condamné la société [Y] et [W] à 20 000 euros d'amende et à payer à l'URSSAF la somme de 743 408 euros, à titre de dommages-intérêts, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-trois.

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