10 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-86.186

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00526

Titres et sommaires

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 8 - Respect de la vie privée - Ingérence de l'autorité publique - Défaut - Cas - Captation et fixation de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu public - Exception - Enregistrement permanent ou systématique de données visuelles la concernant

La captation et la fixation, par une autorité publique, de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu public ne constituent pas en elles-mêmes une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée de cette personne, seul l'enregistrement permanent ou systématique de données visuelles la concernant pouvant entraîner une atteinte au droit en cause. Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour écarter le moyen de nullité de la captation d'images de personnes se trouvant sur la voie publique, à l'initiative d'enquêteurs, pris de la violation de l'article 8, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, énonce que les prises de vue ont été réalisées, de manière non continue, à l'aide d'un camescope, l'appareil en cause n'étant pas fixé ou installé durablement sur place et ne fonctionnant pas en permanence compte tenu de la présence intermittente des enquêteurs, dès lors qu'un tel enregistrement, d'une part, n'est pas assimilable à la mise en oeuvre d'un dispositif de vidéosurveillance, d'autre part, faute de caractère permanent et systématique, ne saurait caractériser une ingérence dans l'exercice du droit précité


OFFICIER DE POLICE JUDICIAIRE - Pouvoirs - Géolocalisation - Cas d'urgence - Conditions - Information immédiate du procureur de la République ou du juge d'instruction - Nécessité d'un écrit motivé (non)

Il résulte de l'article 230-35 du code de procédure pénale que si l'officier de police judiciaire doit justifier, lorsqu'il informe le procureur de la République de la pose en urgence d'un dispositif de géolocalisation, de l'existence d'un risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens, la loi ne lui fait pas obligation d'établir à cette fin un écrit motivé, mais seulement de faire connaître au magistrat les éléments de fait qui permettront à celui-ci d'apprécier l'existence de ce risque et, s'il l'estime constitué, d'énoncer, dans sa décision autorisant la poursuite de la mesure, les circonstances de fait le caractérisant

Texte de la décision

N° K 22-86.186 F-B

N° 00526


ECF
10 MAI 2023


REJET


M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MAI 2023


M. [R] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 10 mai 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, de vols en bande organisée, arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires en bande organisée, associations de malfaiteurs, violation de domicile, en récidive, et recel, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 8 décembre 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [R] [K], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen des chefs susvisés le 18 juin 2021, M. [R] [K] a présenté le 19 octobre suivant une requête en annulation d'actes ou de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de M. [K] ayant demandé à la chambre de l'instruction de juger nulle la captation d'images sur la voie publique par utilisation d'une vidéo, alors :

« 1°/ qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit à la vie privée que pour autant que cette ingérence est, notamment, prévue par la loi ; qu'il en va ainsi de la captation de l'image d'une personne sur la voie publique, dès lors que cette captation s'accompagne de l'enregistrement, même photographique, des images captées ; qu'en l'espèce, les services de police avaient installé dans une rue un dispositif de surveillance discret, constitué d'un camescope, installé à proximité du véhicule de M. [K], en vue d'extraire différentes images qui étaient annexées au procès-verbal sous forme de clichés photographiques, la chambre de l'instruction relevant « [qu']aucun texte ne prévoit cette situation de manière spécifique » ; qu'en jugeant toutefois que ces prises de vue « ne [constituaient] pas en soi une ingérence dans la vie privée, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, le cadre de l'enquête préliminaire sous le contrôle du parquet et le but poursuivi de recherche des preuves d'infractions de vols en bande organisée et de séquestration étant légal, adapté et proportionné », après avoir pourtant constaté qu'elles avaient permis des enregistrements « pour en extraire des photographies qui figureront seules en procédure » ce dont il résultait que, portant une atteinte au droit à la vie privée de M. [K], elles devaient être spécifiquement autorisées et encadrées par la loi, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles préliminaire et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 8, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'au stade de l'enquête préliminaire ou de flagrance, le procureur de la République tient, seul, des articles 39-3 et 41 du code de procédure pénale, le pouvoir de faire procéder, sous son contrôle effectif et selon les modalités qu'il autorise s'agissant de sa durée et de son périmètre, à une vidéosurveillance sur la voie publique, aux fins de rechercher la preuve des infractions à la loi pénale ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a relevé que « les services de police, après avoir localisé le lieu de stationnement du véhicule Mercedes GLA volé et faussement immatriculé [Immatriculation 2] [Adresse 3], mettaient en place un dispositif de surveillance discret à proximité de cette voiture ; [qu']à un certain moment, ils décidaient d'enregistrer ce qu'ils voyaient au moyen d'un camescope en vue d'en extraire différentes images qui étaient annexées au procès-verbal sous forme de clichés photographiques » ; qu'il en résultait que les prises de vue litigieuses avaient été effectuées par les seuls services de police et de leur seule initiative et non par le procureur de la République, sous son contrôle et selon les modalités qu'il définissait ; qu'en refusant toutefois de prononcer leur annulation, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé les textes précités, ensemble les articles préliminaire et 593 du code de procédure pénale, et 8, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Pour rejeter le moyen de nullité de la captation d'images de personnes se trouvant sur la voie publique, l'arrêt attaqué commence par rappeler que le 19 novembre 2020 à 14 heures, les enquêteurs, ayant localisé un véhicule recherché, ont mis en place un dispositif de surveillance et, à un moment, ont décidé d'enregistrer les scènes qu'ils observaient avec un camescope en vue d'extraire des images qu'ils ont ensuite annexées au procès-verbal de surveillance.

5. Les juges énoncent que les prises de vue ont été réalisées sur la voie publique de manière non continue, l'appareil en cause n'étant pas fixé ou installé durablement sur place et ne fonctionnant pas en permanence compte tenu de la présence intermittente des enquêteurs.

6. Ils ajoutent que les prises d'images et leur exploitation ne constituent ni un recueil systématique de données ni une ingérence dans la vie privée.

7. En l'état de ces seuls motifs, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

8. En effet, la captation et la fixation, par une autorité publique, de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu public ne constituent pas en elles-mêmes une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée de cette personne, seul l'enregistrement permanent ou systématique de données visuelles la concernant pouvant entraîner une atteinte au droit en cause.

9. En l'espèce, l'enregistrement, à l'aide d'un camescope, pour les besoins de leur enquête, d'une scène observée par les policiers, n'est pas assimilable à la mise en oeuvre d'un dispositif de vidéosurveillance et, ne présentant pas de caractère permanent ou systématique dans le recueil et la mémorisation des faits et gestes de la personne concernée lorsqu'elle se trouve dans un lieu public, ne saurait caractériser une telle ingérence.

10. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de M. [K] ayant demandé à la chambre de l'instruction de juger nulle la géolocalisation du véhicule Citroën immatriculé [Immatriculation 1], alors « que l'officier de police judiciaire qui, d'initiative, procède à l'installation d'un moyen technique destiné à la localisation en temps réel d'une personne, d'un véhicule, ou de tout autre objet, doit en informer immédiatement le procureur de la République ou le juge d'instruction et justifier, dans sa demande d'autorisation a posteriori, le risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteintes graves aux personnes et aux biens ; qu'en se bornant à juger que « la motivation de la décision incombe au magistrat lors de la rédaction de la décision prescrivant la poursuite de l'opération » et « [qu']il n'incombait donc pas à l'officier de police judiciaire qui a installé le dispositif de géolocalisation de motiver sa décision », pour en conclure à la validité des opérations de géolocalisation dès lors que la seule autorisation alors donnée par le procureur de la République était suffisamment motivée, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 593 et 230-35 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

12. Pour écarter le moyen de nullité de la géolocalisation en urgence du véhicule Citroën, l'arrêt attaqué énonce que le procès-verbal d'avis à magistrat se résume à une simple information du procureur de la République, qu'il n'incombait pas à l'officier de police judiciaire qui a installé le dispositif de géolocalisation de motiver sa décision, et que la motivation relative au risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens incombe au magistrat lors de la rédaction de sa décision prescrivant la poursuite de l'opération.

13. Les juges ajoutent que la motivation du magistrat a été suffisante au regard des exigences de la loi.

14. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les textes visés au moyen.

15. En effet, si l'officier de police judiciaire doit justifier, dans son information au magistrat, qui a lieu par tout moyen, de l'existence du risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens qui l'a amené à poser en urgence un dispositif de géolocalisation en temps réel, la loi ne lui fait pas obligation d'établir à cette fin un écrit motivé, mais seulement de faire connaître au magistrat les éléments de fait qui permettront à ce dernier d'apprécier l'existence de ce risque et, s'il l'estime constitué, d'énoncer dans sa décision autorisant la poursuite de la mesure les circonstances de fait le caractérisant.

16. La décision du procureur de la République d'autoriser la poursuite de la mesure n'étant pas critiquée et énonçant les circonstances de fait établissant l'existence d'un risque imminent de déperdition d'éléments de preuve, il y a lieu d'en conclure que l'officier de police judiciaire avait satisfait à l'obligation de justification lui incombant.

17. Il n'importe en conséquence que les éléments justifiant le risque en cause ne ressortent pas du procès-verbal d'avis à magistrat ou de toute autre pièce établie par l'officier de police judiciaire pour rendre compte de la mesure critiquée.

18. Dès lors, le moyen doit encore être écarté.

19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-trois.

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