10 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.041

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00520

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 mai 2023




Cassation partielle


Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 520 F-D

Pourvoi n° D 21-23.041




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 MAI 2023

M. [T] [R], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 21-23.041 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Keyence France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à Pôle emploi de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [R], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Keyence France, après débats en l'audience publique du 29 mars 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 novembre 2020), M. [R] a été engagé en qualité d'ingénieur technico-commercial par la société Keyence par contrat à durée indéterminée.

2. Les parties ont signé le 7 décembre 2015 une rupture conventionnelle qui a été homologuée par l'administration.

3. Le 9 juin 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en nullité de la rupture conventionnelle et en paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, alors « qu'il appartient à l'employeur d'établir le respect des durées maximales de travail ; qu'en retenant, pour écarter tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, que M. [R] ne justifiait pas que la durée quotidienne maximale et la durée hebdomadaire maximale de travail n'ait pas été respectées, la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est incompatible avec la thèse développée devant les juges du fond, le salarié ayant offert de prouver que l'employeur avait dépassé les durées maximales de travail.

6. Cependant, la production devant les juges du fond de pièces destinées à caractériser les dépassements des durées maximales de travail dénoncés par le salarié n'est pas incompatible avec le moyen portant sur la charge de la preuve du respect de ces durées maximales de travail.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :

8. Selon ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

9. Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

10. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que s'il apparaît que le salarié a effectivement été obligé, pour exécuter les missions imparties, de réaliser des heures supplémentaires, celles-ci l'ont été dans un nombre très inférieur à celui indiqué par lui, sans qu'il ne justifie que la durée quotidienne maximale et la durée hebdomadaire maximale de travail n'aient pas été respectées. L'arrêt ajoute que le salarié échoue à rapporter la preuve d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

11. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir respecté les durées maximales de travail prévues par le droit interne, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger la rupture conventionnelle licite et de rejeter les demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de préavis, alors « qu'en cas de contestation, il appartient à l'employeur d'établir la remise au salarié d'un exemplaire de la convention de rupture dans des conditions lui permettant d'exercer utilement sa faculté de rétractation ; qu'en relevant que le salarié n'établissait pas que la convention de rupture ne lui avait été remise qu'à l'occasion de l'envoi de cette convention à la DIRECCTE, quand il appartenait à l'employeur d'apporter la preuve de cette remise, la cour d'appel a violé les articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

13. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est incompatible avec la thèse développée devant les juges du fond, le salarié qui avait produit l'exemplaire de la convention de rupture ne pouvant à hauteur de cassation affirmer qu'il n'a aucune preuve à rapporter.

14. Cependant, la thèse présentée aux juges du fond par le salarié, selon laquelle l'exemplaire de la convention de rupture, qu'il produisait, lui avait été remis par l'employeur à l'occasion de la demande d'homologation n'est pas incompatible avec le moyen portant sur la charge de la preuve de cette remise lors de la conclusion de la rupture conventionnelle.

15. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1237-11 et L. 1237-14 du code du travail :

16. En premier lieu, la remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention, dans les conditions prévues par l'article L. 1237-14 du code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, il s'ensuit qu'à défaut d'une telle remise, la convention de rupture est nulle.

17. En second lieu, en cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d'en rapporter la preuve.

18. Pour juger la rupture conventionnelle licite et rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il ne résulte pas de la lettre adressée par l'employeur à l'administration que la remise de la convention s'est faite au moment où celui-ci le prétend puisque l'employeur lui a adressé à cette occasion « copie pour information » de la lettre de demande d'homologation qu'elle a adressée à la Direccte le 23 octobre 2015, sans élément pour justifier que la pièce jointe à l'adresse de l'administration était également jointe à la copie de la lettre de transmission pour le salarié. L'arrêt ajoute que le salarié ne rapporte pas la preuve qu'il a reçu, comme il le prétend, à cette occasion et par cet envoi, la convention de rupture conventionnelle, alors qu'il la produit aux débats, démontrant ainsi qu'il l'avait en sa possession. L'arrêt précise que la rupture a été initiée par le salarié, les dates réclamées expressément par lui pour signer la convention (début du mois de décembre) et pour rompre le contrat de travail (29 janvier 2016) ont été parfaitement respectées par les parties alors qu'elles se sont rencontrées deux fois avant la signature (27 novembre et 4 décembre 2015) pour une signature le 7 décembre. L'arrêt en déduit qu'il n'apparaît pas que le consentement du salarié à la rupture ait été bafoué ou surpris.

19. En statuant ainsi, sans constater qu'un exemplaire de la convention de rupture avait été remis au salarié lors de la conclusion de cette convention qui fait courir le délai de rétractation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, en ce qu'il dit la rupture conventionnelle licite, rejette les demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de préavis, et en ce qu'il statue sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens, l'arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Keyence aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Keyence et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-trois.

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