5 mai 2023
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 19/19629

Chambre 4-1

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1



ARRÊT AU FOND

DU 05 MAI 2023



N° 2023/157



Rôle N° RG 19/19629 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFK65







[T] [L]





C/





SA CMA CGM









Copie exécutoire délivrée le :



05 MAI 2023



à :



Me Jacqueline MAROLLEAU de l'AARPI MAROLLEAU & TAUPENAS, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON



Me Pierre ARNOUX, avocat au barreau de MARSEILLE























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 05 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 19/00284.





APPELANTE



Madame [T] [L], demeurant [Adresse 1]



représentée par Me Jacqueline MAROLLEAU de l'AARPI MAROLLEAU & TAUPENAS, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON





INTIMEE



SA CMA CGM représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège., demeurant [Adresse 2]



représentée par Me Pierre ARNOUX, avocat au barreau de MARSEILLE



*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR



L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.



La Cour était composée de :



Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller



qui en ont délibéré.



Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA



Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2023.





ARRÊT



Contradictoire



Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2023,



Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président, et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






***





























































Madame [T] [L] a été engagée par la SA CMA CGM selon contrat de travail à durée indéterminée du 21 janvier 2014, prenant effet le 23 janvier 2014, en qualité d'assistante de direction, statut agent de maîtrise, niveau V, échelon 2, coefficient 340. Elle a exercé au sein de la direction juridique.



Madame [L] a été en arrêt de travail du 9 septembre au 23 octobre 2015.



A son retour, elle a intégré le poste d'assistante au sein de la direction de l'organisation dont le directeur était Monsieur [X], puis le poste d'assistante de Monsieur [Z], puis un poste partagé entre la direction de l'organisation et la direction de l'affrètement.



Par avenant du 2 septembre 2016, elle a été promue au statut de cadre au forfait, niveau VII, échelon B, coefficient 520.



Le 17 Mai 2017, Madame [L] a été convoquée à un entretien préalable et mise à pied à titre conservatoire.



Madame [L] a été licenciée pour une cause réelle et sérieuse, par lettre du 13 juin 2017 et pour les motifs suivants :

' Le 2 mai 2017 dans l'après-midi, Monsieur [J] [X], votre supérieur hiérarchique,vous a convié à un entretien afin de vous rappeler à nouveau les tâches qui vous incombaient à savoir :

' Mettre à jour les organigrammes de la direction générale (non mis à jour depuis décembre 2016).

' Travailler en lien avec les responsables ressources humaines à la mise à jour des différents organigrammes des lignes dont l'organisation avait été modifiée suite aux annonces du Directeur Général.

Monsieur [J] [X] vous a alors expliqué que cela allait vous demander, à vous ainsi qu'aux différents responsables des Ressources Humaines, la mise en place d'une organisation adaptée, en lien avec les RRH. Cette précision devant vous permettre à vous et aux responsables ressources humaines, de mieux intégrer ces tâches dans votre gestion du temps.

Or, au cours de cet entretien, vous avez fait part de votre insatisfaction concernant l'exécution de ces tâches en expliquant à votre supérieur hiérarchique que le travail que vous effectuez n'était pas intéressant et que la direction de l'organisation ne nécessitait pas le concours d'une assistante.

Au cours de cet entretien, et alors que cela avait déjà été fait par courriels datés des 28 février 2017 et 23 mars 2017, votre supérieur hiérarchique vous explique à nouveau l'étendue de votre mission et la nature de vos tâches dans le cadre de votre fonction auprès de la direction de l'organisation, puis renouvelle l'instruction qu'il vous avait faite au début de la réunion.

A ce moment, vous vous êtes levée en précisant que vous n'acceptiez pas qu'il vous parle comme ca et que ' vous n'étiez pas sa fille', vous êtes alors sortie de son bureau au beau milieu de la réunion. Malgré sa demande à votre égard de rester pour finir cette réunion vous êtes sortie pour vous asseoir à votre poste de travail, sans aucune explication complémentaire.

Suite à cet entretien, vous avez indiqué entamer le travail de mise à jour des organigrammes demandé. Néanmoins, au cours de votre remplacement par une travailleuse temporaire pour la période du 15 mai au 26 mai, il est apparu que le travail fourni jusqu'alors concernant la mise à jour des organigrammes était très incomplet et approximatif matérialisant ainsi votre absence indéniable d'implication dans ce travail.

Les explications recueillies au cours de l'entretien ne nous ont pas permises de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés. En effet, lors de votre entretien préalable, vous avez confirmé votre réel manque d'intérêt pour votre travail auprès de la direction de l'organisation, considérant qu'il n'était pas valorisant et ne vous intéressait plus. Vous expliquez votre attitude par le fait que vous aviez déjà évoqué votre manque d'intérêts auprès de votre supérieur hiérarchique, sans aucune prise en compte de vos remarques pour changer les choses.

Vous considérez que votre supérieur hiérarchique vous infantilise.

Les faits ci-avant décrits sont fautifs et totalement inadmissibles et constituent des manquements à vos obligations professionnelles et contractuelles notamment à votre lien de subordination que nous ne pouvons tolérer.

En effet, en quittant l'entretien avec votre supérieur hiérarchique sans aucune justification valable, vous vous inscrivez dans un comportement fautif caractérisant un manquement inacceptable à vos obligations professionnelles.

De plus, votre refus (dans un premier temps) d'exécuter les tâches qui vous sont confiées par votre responsable hiérarchique alors même que celles-ci font partie intégrante de vos missions et correspondent à votre qualification, constitue un acte d'insubordination absolument inacceptable.

Puis, l'exécution défectueuse de ces dernières (dans un second temps) manifeste votre persistance dans votre comportement fautif, exempt de toute conscience professionnelle.

Par ailleurs, nous vous rappelons que l'article 5.1 du règlement intérieur applicable à l'établissement précise que «dans l'exécution de son travail, le personnel est tenu de respecter les instructions de son supérieur hiérarchique » et que « chaque collaborateur doit faire preuve de correction dans son comportement vis-à-vis de ses collègues, de ses subordonnées et de la hiérarchie ».

Une telle conduite rend impossible toute collaboration.

Compte tenu de la nature des faits qui vous sont reprochés, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement.

Vous cesserez de faire partie de nos effectifs à l'expiration du préavis, d'une durée 3 mois que nous vous dispensons d'effectuer'.



Invoquant un harcèlement moral et contestant son licenciement, Madame [L] a saisi, le 6 octobre 2017, le conseil de prud'hommes de Marseille, lequel, par jugement du 5 décembre 2019, a :

- débouté Madame [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- dit et jugé que le licenciement est parfaitement justifié et régulier.

- constaté l'absence d'un quelconque harcèlements moral.

- débouté Madame [L] de ses prétentions au titre des dommages-intérêts.

- débouté Madame [L] du surplus de ses demandes.

- débouté les deux parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- dit que les dépens seront partagés entre les parties.



Madame [L] a interjeté appel de ce jugement.



Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 1er juillet 2020, elle demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille le 5 décembre 2019 des chefs du jugement critiqués et ci-dessous expressément mentionnés, en ce qu'il a débouté Madame [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, dit et jugé que le licenciement est parfaitement justifié et régulier, constaté l'absence d'un quelconque harcèlement moral, débouté Madame [L] de ses prétentions au titre de dommages-intérêts, débouté Madame [L] du surplus de ses demandes, débouté les deux parties de leur demande de l'article 700 du code de procédure civile et dit que les dépens seront partagés entre les parties.

- et statuer à nouveau pour :

- dire et juger que la procédure de licenciement est irrégulière, faute pour la lettre de convocation d'avoir informé Madame [L] des dispositions conventionnelles et du règlement intérieur, relatives aux droits de la défense.

- dire et juger que le jugement dont appel est nul et de nul effet, le juge de première instance ayant purement et simplement omis de motiver sa décision selon laquelle le licenciement est « parfaitement justifié et régulier», quant à la caractérisation de la faute simple, le défaut de motifs donnant lieu à l'annulation du jugement dont appel, de ce chef .

- dire et juger que le licenciement de Madame [L] est sans cause réelle et sérieuse en l'absence de preuve de refus d'exécuter ses tâches, le doute bénéficiant au salarié, et compte tenu du fait que la preuve de l'exécution défectueuse volontaire prétendue de ses tâches n'est pas rapportée.

- requalifier la mise à pied à titre conservatoire en mise à pied disciplinaire, compte tenu du manque de gravité des faits reprochés ne nécessitant pas une mise à pied conservatoire, et compte tenu de sa durée.

- dire et juger que le licenciement de Madame [L] est abusif.

- dire et juger que Madame [L] a été victime d'agissement de l'employeur caractérisant un harcèlement moral pour avoir été placée dans une situation professionnelle dont la réalisation des tâches était impossible. - en tant que de besoin, ordonner le cas échéant la comparution personnelle de membres du personnel de la SA CMA CGM et notamment celle de Madame [A], de Madame [V] [I], de Monsieur [H] [N] et de Monsieur [O], médecin du travail, afin de les entendre sur les faits de harcèlement moral.

Par conséquent,

- condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] des dommages-intérêts ne pouvant être inférieurs à 9 mois de salaire soit la somme 31.188,33 € pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

- condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] la somme de 20.792,22 € pour son préjudice du fait des agissements de harcèlement moral pratiqués par l'employeur.

- condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] la somme de 3.465,37 € pour son préjudice distinct et lié aux conditions dans lesquelles il a été mis fin à son contrat de travail de manière brusque et injustifiée, en l'absence de faits graves démontrés.

- condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] la somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et de 3.000 € pour la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

- débouter la SA CMA CGM de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, formulées à titre principal comme à titre subsidiaire, demandes qui sont soit infondées soit irrecevables.



Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 14 avril 2020, la SA CMA CGM demande à la cour de :

- débouter Madame [L] de son appel du jugement rendu le 5 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Marseille.

- accueillir la SA CMA CGM en son appel incident du jugement rendu le 5 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Marseille.

- le dire régulier en la forme et fondé au fond.

Et, ce faisant :

- débouter Madame [L] de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions, notamment de ses demandes, infondées en droit comme en fait, tendant à s'entendre dire et juger que la procédure de licenciement est irrégulière, faute pour la lettre de convocation d'avoir informé Madame [L] des dispositions conventionnelles et du règlement intérieur, relatives aux droits de la défense, dire et juger que le jugement dont appel, est nul et de nul effet, le juge de première instance ayant purement et simplement omis de motiver sa décision selon laquelle le licenciement est parfaitement justifié et régulier, quant à la caractérisation de la faute simple, le défaut de motifs donnant lieu à l'annulation du jugement dont appel, de ce chef, dire et juger que le licenciement de Madame [L] est sans cause réelle et sérieuse, en l'absence de preuve de refus d'exécuter ses tâches, le doute bénéficiant au salarié, et compte tenu du fait que la preuve de l'exécution défectueuse volontaire prétendue de ses tâches n'est pas rapportée, requalifier la mise à pied à titre conservatoire en mise à pied disciplinaire, compte tenu du manque de gravité des faits reprochés ne nécessitant pas une mise à pied conservatoire, et compte tenu de sa durée, dire et juger que le licenciement de Madame [L] est abusif, condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] des dommages-intérêts ne pouvant être inférieurs à 9 mois de salaire, soit la somme 31.188,33 €, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] la somme de 3.465,37€ pour son préjudice distinct et lié aux conditions dans lesquelles il a été mis fin à son contrat de travail de manière brusque et injustifiée, en l'absence de faits graves démontrés, dire et juger que Madame [L] a été victime d'agissements de l'employeur caractérisant un harcèlement moral pour avoir été placée dans une situation professionnelle dont la réalisation des tâches était impossible; ordonner en tant que de besoin le cas échéant la comparution personnelle de membres du personnel de la SA CMA CGM et notamment celle de Madame [A], de Madame [V] [I], de Monsieur [H] [N] et de Monsieur [O], médecin du travail, afin de les ENTENDRE sur les faits de harcèlement moral, par conséquent, condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] la somme de 20.792,22 € pour son préjudice du fait des agissements de harcèlement moral pratiqués par l'employeur.

- confirmer le jugement rendu le 5 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Marseille.

- débouter Madame [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- dire et juger que le licenciement est parfaitement justifié et régulier.

- constater l'absence d'un quelconque harcèlement moral.

- débouter Madame [L] de ses prétentions au titre des dommages-intérêts.

- débouter Madame [L] du surplus de ses demandes.

- débouter Madame [L] de sa demande au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire :

- si la cour devait accorder un quelconque crédit aux arguments de Madame [L] et ainsi estimer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, il lui appartiendrait alors de lui octroyer, à titre de dommages-intérêts de ce chef, une somme qui ne saurait être supérieure à 10.396,11 €.

- si la cour devait accorder un quelconque crédit aux arguments de Madame [L] tendant à retenir l'existence d'un préjudice distinct et lié aux conditions dans lesquelles il a été mis fin à son contrat de travail de manière brusque et injustifiée, en l'absence de faits graves démontrés, il lui appartiendrait alors de limiter à une somme purement symbolique les dommages-intérêts octroyés de ce chef.

- si la cour devait accorder un quelconque crédit aux arguments de Madame [L] tendant à retenir l'existence d'un harcèlement moral, il lui appartiendrait alors de limiter à une somme purement symbolique les dommages-intérêts octroyés de ce chef.

En toutes hypothèses :

- débouter Madame [L] de ses prétentions au titre des dépens et des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- en statuant de nouveau, condamner Madame [L], outre aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Pierre ARNOUX sur son affirmation de droit, à verser la somme de 4.000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.














MOTIFS DE LA DÉCISION



I. Sur la demande de nullité du jugement du conseil de prud'hommes



Madame [L] fait valoir, qu'au titre de la caractérisation de la faute, le conseil de prud'hommes a purement et simplement omis de motiver sa décision et ce défaut de motivation doit donner lieu à annulation du jugement.



Or, il ressort du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille que celui-ci a pris en considération les fautes reprochées dans la lettre de licenciement et en a déduit que la lettre de licenciement était suffisamment motivée et que le licenciement 'a une cause réelle et sérieuse' justifiant le rejet de la demande de dommages-intérêts sollicités par la salariée. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du jugement pour défaut de motivation.





II. Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse



Madame [L] fait valoir que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse aux motifs de l'irrégularité de la procédure de licenciement pour absence d'information de la possibilité de saisir la commission de discipline, de l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur, de l'absence de motivation de la lettre de licenciement et enfin de l'absence de caractérisation de la faute.





Sur l'irrégularité de la procédure de licenciement pour absence d'information de la salariée de la possibilité de saisir la commission de discipline



Madame [L] invoque les dispositions de la convention collective et du règlement intérieur et soutient que, quand bien même la convocation à entretien préalable du 17 mai 2017 précise que l'employeur envisage « un licenciement pour faute simple », eu égard à la mise à pied à titre conservatoire qui a été décidée par la SA CMA CGM à la même date et dans le même courrier, il est évident qu'à cette date, seul un licenciement pour faute grave pouvait être envisagé puisque la mise à pied conservatoire est indissociable de l'existence d'une faute grave, l'employeur tentant manifestement de détourner le débat sur la question de la rémunération de la mise à pied conservatoire. Or, la SA CMA CGM ne l'a pas informée, dans le courrier de convocation à l'entretien préalable, qu'elle pouvait demander, par écrit contre récépissé, la consultation pour avis d'une commission de discipline, dans un délai de 4 jours ouvrables à compter de la première présentation de la convocation, soit en l'espèce, à compter du 17 mai 2017. Cette procédure préalable constitue une garantie des droits de la défense qui ont été violés. Les dispositions relatives à la commission de discipline sont conventionnellement prévues et applicables, non pas lorsque l'employeur licencie effectivement pour faute grave ou lourde - ce qui suppose une appréciation a posteriori et in fine - mais lorsqu'il « envisage » de licencier pour faute grave, ce qui implique une appréciation a priori et avant même que la sanction ne soit prise.



La SA CMA CGM réplique que la mise à pied conservatoire n'est pas une sanction disciplinaire mais une mesure facultative qui a pour effet de dispenser le salarié de venir travailler et qui dure jusqu'à la notification de la décision qui sera en définitive retenue, laquelle pourra être soit une sanction autre qu'un licenciement (mise a pied disciplinaire notamment), soit un licenciement disciplinaire (pour faute), soit un licenciement pour un motif autre que disciplinaire. L'employeur peut accompagner la procédure d'une mise à pied conservatoire même en l'absence de faute grave, autrement dit, même en présence d'une faute simple et, dans cette hypothèse, la mise a pied devra être intégralement rémunérée. Madame [L] n'a nullement fait l'objet de l'une des meures prévues par la convention collective (faute grave faute lourde) mais d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse, liant faute simple et insuffisance professionnelle. En conséquence, la SA CMA CGM n'avait pas à convoquer de commission de discipline dans le cadre de ce licenciement. La lettre de convocation à l'entretien préalable fait expressément référence à un licenciement pour faute simple et il est faux de conclure que la mise à pied conservatoire serait indissociable de la faute grave puisque la possibilité de mettre en oeuvre la mise à pied conservatoire ne dépend pas du degré ni de la qualification de la faute reprochée mais permet à l'employeur, s'il le souhaite, de pouvoir s'affranchir du paiement du salaire pendant la période correspondant à la mise à pied conservatoire en cas de faute grave ou de faute lourde. La SA CMA CGM n'a nullement envisagé de licencier Madame [L] pour faute grave, mais s'est contentée de la dispenser de présence pendant la durée de la procédure en lui notifiant une mise à pied à titre conservatoire, qui lui a été rémunérée intégralement, ce qu'elle avait parfaitement le droit de faire. Et, ce faisant, elle n'avait pas l'obligation d'appliquer les dispositions prévues à l'article 3.4.2 de la convention collective applicable à la relation contractuelle. Selon l'article L.1332-3 du code du travail : 'lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'article L.1332-2 ait été respectée'.



Selon l'article 3.4.2. de la convention collective du personnel des entreprises de navigation : ' Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction de rétrogradation ou de licenciement pour faute grave ou lourde, il informe le salarié, dans le courrier de convocation à l'entretien préalable, qu'il pourra demander par écrit contre récépissé, la consultation pour avis d'une commission de discipline, dans un délai de 4 jours ouvrables à compter de la première présentation de la convocation. La commission de discipline devra se réunir avant l'entretien préalable et dans un délai maximum de 8 jours ouvrables après la réception de la demande.

La commission de discipline est constituée comme suit:

- l'employeur ou son représentant, en qualité de président de la commission ;

- 1 membre de l'entreprise désigné par la direction en dehors du service de l'intéressé ;

- 1 ou 2 salaries choisis par le salarié, prioritairement parmi les représentants du personnel : au sein de l'établissement, s'il comporte des institutions de représentation du personnel, à défaut, au sein de l'entreprise.

La commission est valablement constituée même en l'absence de membres choisis par le salarié dès lors qu'ils ont été valablement convoqués par l'employeur. L'employeur informe le salarié par écrit de la date à laquelle la commission se réunira et l'invite à s'y présenter. Les membres de la commission sont également convoqués par écrit. La convocation indique les faits reprochés au salarié. L'employeur tient à la disposition du salarié convoqué et des membres de la commission l'ensemble des pièces du dossier disponibles au moment de la demande de réunion de la commission de discipline illustrant les faits reprochés. La commission de discipline entend le salarié, s'il est présent, avant délibération. Elle rend un avis écrit avant la clôture de la réunion. Cet avis est porte à la connaissance du salarié et des participants. ».



Il ressort de la lettre de convocation à l'entretien préalable du 17 mai 2017 les mentions suivantes : 'Objet: Convocation à un entretien préalable + mise à pied à titre conservatoire

Madame,

Nous vous informons que nous sommes amenés à envisager à votre égard un licenciement pour faute simple.

En application des dispositions des articles L.1232-2 et suivants du Code du travail, nous vous convoquons à un entretien préalable portant sur cette éventuelle mesure afin de vous exposer nos motifs et recueillir vos explications sur les faits qui vous sont reprochés.

Cet entretien aura lieu le mercredi 24 mai 2017 à 12 heures, dans nos locaux situés au sein du siège social de notre Société sis [Adresse 2], à la Direction des Ressources Humaines - 15ème étage, où vous serez reçue par Monsieur [Y] [D], Directeur des Ressources Humaines.

Au cours de cet entretien, vous avez la faculté de vous faire assister par une personne de votre choix appartenant obligatoirement au personnel de l'entreprise ou à celui des entités de l'unité économique et sociale à laquelle l'entreprise appartient.

Nous vous demandons par ailleurs de nous faire part de tout mandat que vous exerceriez à l'extérieur de l'entreprise et qui vous ferait bénéficier d'une protection particulière contre le licenciement. Vous disposez d'un délai courant jusqu'à l'entretien préalable pour porter cette information à notre connaissance (dans l'intérêt de chacun, de préférence par écrit). A défaut, vous ne pourriez pas bénéficier de la protection correspondante.

Enfin, et afin de maintenir le bon ordre dans le service, nous vous notifions par la présente une mise à pied à titre conservatoire à compter de ce jour qui vous sera rémunérée. Nous vous demandons donc de ne plus vous présenter à votre travail pendant tout le déroulement de la procédure et jusqu'à la notification de notre décision à intervenir'.



Si l'employeur dispose du droit de prononcer une mise à pied conservatoire au cours de la procédure de licenciement qu'il a diligentée à l'encontre d'un salarié, c'est à la condition que les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable ladite mesure conservatoire. C'est donc la nature de la faute reprochée au salarié ou ses répercussions sur le fonctionnement de l'entreprise qui justifient de prononcer d'une mise à pied conservatoire immédiate.



S'agissant d'une mesure grave puisqu'elle suspend le contrat de travail et vise à écarter immédiatement le salarié de l'entreprise jusqu'au prononcé d'une sanction définitive, la mise à pied conservatoire est en principe indissociable de l'existence d'une faute grave ou d'un comportement initialement considéré comme tel au moment de l'engagement de la procédure de licenciement. Ainsi, lorsqu'il notifie à son salarié une mise à pied conservatoire dans la lettre de convocation à l'entretien préalable, l'employeur envisage nécessairement un licenciement pour faute grave au moment où il initie la procédure.



En conséquence, dès lors qu'elle a notifié à Madame [L] sa mise à pied conservatoire dans la lettre de convocation à l'entretien préalable du 17 mai 2017 et même si elle a maintenu le paiement du salaire, la SA CMA CGM devait nécessairement envisager la possibilité de prendre une sanction pour faute grave au sens des dispositions de l'article 3.4.2. de la convention collective du personnel des entreprises de navigation et devait informer la salariée, dans le courrier de convocation à l'entretien préalable, qu'elle pouvait demander par écrit contre récépissé, la consultation pour avis d'une commission de discipline, dans un délai de quatre jours ouvrables à compter de la première présentation de la convocation.



La consultation de la commission visée audit article, chargée de donner un avis sur le licenciement envisagé, constitue une garantie de fond dont la méconnaissance, au cas d'espèce, rend le licenciement de Madame [L] sans cause réelle et sérieuse.



Il n'y a donc pas lieu d'examiner les autres moyens avancés par Madame [L] pour voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir la requalification de la mise à pied conservatoire en sanction disciplinaire et, en conséquence, l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur, l'absence de motivation de la lettre de licenciement et enfin de l'absence de caractérisation de la faute.



En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (41 ans), de son ancienneté (3 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (3.465,37 €), des circonstances de la rupture mais également de l'absence de tout justificatif de sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail, il convient d'accorder à Madame [L] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 21.000 €.



III. Sur le harcèlement moral



Il sera rappelé que le harcèlement moral par référence à l'article L 1152-1 du code du travail est constitué par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



En cas de litige, l'article L 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, le salarié présente des éléments de fait, appréciés dans leur ensemble, laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



Madame [L] présente les éléments de faits suivants : elle a été privée de son poste à deux reprises puis elle a été contrainte et forcée d'exécuter deux postes simultanément, sans tâches précises et sous la direction de deux lignes managériales. Elle a subi une agression lors d'une réunion (lancement d'un téléphone portable en comité de direction du service juridique). Les pièces qu'elle produit attestent de ce que le directeur RH du groupe, Monsieur [U] [Z], était parfaitement informé de cette situation et de ce que ce dernier admet que la cause du problème est Monsieur [S]. La SA CMA CGM ne justifie pas des décisions qu'elle a prises pour faire cesser les agissements des managers et pour protéger sa santé et sa sécurité face à de tels comportements. Elle invoque la violence avec laquelle elle a été mise à pied à titre conservatoire.



Madame [L] produit les pièces suivantes :

- son mail du 23 septembre 2015 qu'elle a adressé à Madame [C] dans lequel elle indique : 'Comme vous le savez, je suis en arrêt maladie pour épuisement au travail jusqu'à la fin du mois de septembre pour le moment. Je vous informe que je ne souhaite pas réintégrer mon poste à la Direction Juridique.

En effet, l'incident du codir du 3 septembre dernier a marqué le point de non retour quant au comportement que je ne veux plus supporter de la part de [K] [S].

D'autre part, il y a actuellement une annonce sur le site Cadremploi pour un poste d'assistante de direction au sein du Groupe. Savez-vous de quelle direction il s'agit et si mon profil correspond. Je vous laisse le soin de me revenir avec une proposition de poste me permettant de réintégrer le Groupe dans des conditions optimales de travail au sein d'une nouvelle direction'.

- un mail de Monsieur [U] [Z] à Monsieur [K] [S] du 22 octobre 2015 : '[K], je ne suis pas la bouche de ton assistante, je suis simplement informé du problème de ton assistante qui ne veut plus travailler avec toi et à cause de toi '.

- un annuaire mentionnant que Madame [L] était affectée à la direction de l'organisation et à la direction des achats, ventes, affrets et navires.

- plusieurs mails adressés en mai 2017 dans lesquels elle se présente comme étant l'assistante de Monsieur [R] et de Monsieur [X] et des extraits de réservations au profit de Monsieur [R] et de Monsieur [X] en mai 2017.

- l'attestation de Monsieur [M] qui indique : 'j'ai travaillé au sein de la Direction Juridique de CMA CGM de Janvier 2013 à Juillet 2016. [T] [L] nous y a rejoint de Janvier 2014 à Octobre 2015. Pour avoir eu de nombreuses interactions avec les assistantes de la Direction Juridique et notamment [T] [L] -, il m'est possible d'attester de la pression du harcèlement et du stress dont elles sont victimes - et dont [T] [L] a été victime. En effet, ses supérieurs lui demandaient sans cesse de nouvelles tâches qui ne figuraient pas au sein de sa fiche de poste, mais imposaient aussi un rythme de travail élevé avec des changements répétitifs de décisions ne favorisant pas une stabilité et un épanouissement professionnel que cherche à offrir CMA CGM. Il lui a fréquemment été demandé des tâches en urgence, annulées ou modifiées à la dernière minute, puis finalement confirmées. Ses supérieurs ne se privaient pas non plus d'utiliser [T] [L] pour évacuer leur propre pression - forte chez CMA CGM - en lui jetant par exemple leur téléphone portable à la figure. [T] [L] a été déplacée dans d'autres services au bon gré des Ressources Humaines, ce qui a contribué à la déstabiliser. Elle a alors pu souffrir de ces changements à répétition qui ne lui offraient aucune visibilité professionnelles quant à son avenir au sein de CMA CGM. J'ai pu voir l'état de stress et de malaise croissant chez [T] [L] durant son passage à la Direction Juridique de CMA CGM. Elle s'est sentie injustement traitée et elle a aujourd'hui du mal à trouver la confiance en elle nécessaire à trouver un nouvel emploi'.

- l'attestation de Madame [E] qui indique : 'j'ai intégré la société CMA CGM en mai 2014 où j'ai rencontré [T] [L] lorsqu'elle était assistante du directeur Juridique. Nous avons été amenées à nous côtoyer et [T] est devenue une amie très proche. J'ai suivi ses changements de postes suite à ses demandes d'évolution dans la société et aux frustrations vécues face aux changements constants de discours de la RH. (...) Finalement il semblait évident qu'il y avait une incompréhension entre les besoins de la RH et les souhaits d'évolution professionnelle de [T]. D'une incompréhension certaine de son manager en a découlé une mise à pied conservatoire alors que [T] n'avait commis aucune faute justifiant cette procédure (mot illisible) psychologiquement. Le jour de sa mise à pied, j'ai pris mon après-midi pour soutenir [T] qui ne comprenait absolument pas ce qui lui arrivait. Les mois qui ont suivi ont été psychologiquement très éprouvants et je l'ai vue sombrer dans la dépression'.

- un certificat médical du 26 septembre 2017 du docteur [F] qui indique : 'Je soussigné, [W] [F], Docteur en Médecine, certifie m'occuper de Madame [T] [L] depuis le 31 mars 2015. J'ai eu l'occasion, depuis cette date d'effectuer plusieurs arrêts de travail pour stress et manifestations anxio-dépressives, en lien selon la patiente à : " des conflits au niveau de son environnement professionnel". Ces différents arrêt ont justifié la prescription de médicaments psychotropes, ainsi que des prises en charges spécialisées' et des prescriptions médicales d'anxiolytiques.



Madame [L] présente des éléments de fait qui, appréciés dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Ainsi, il incombe à la SA CMA CGM de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



La SA CMA CGM fait valoir qu'il aura fallu la présente procédure pour que Madame [L] affirme, pour la première fois, qu'elle aurait été victime d'un harcèlement moral et avance des propos sans pour autant les étayer par des éléments de preuves objectifs. Le mail adressé à Madame [C] n'est pas probant et la salariée précise même ne pas vouloir reprendre son poste au sein de la direction juridique sans faire mention d'un harcèlement moral. Madame [L] indique également que c'est elle-même qui a sollicité que sa candidature soit examinée pour un poste au sein de la direction de la communication. De même, le mail de Monsieur [Z] ne contient pas la preuve de l'existence d'un harcèlement moral mais tout au plus d'une incompatibilité d'humeur entre deux individus, ce qui est courant au sein d'une entreprise. Il ressort du compte rendu de l'entretien préalable que Madame [L] n'a pas estimé nécessaire de faire état de souffrances et la seule mention d'une difficulté psychologique est relative à la réception de la convocation à entretien préalable, qui ne saurait légitimement relever du harcèlement moral. Il en est de même du courrier de tentative de résolution amiable adressé à la SA CMA CGM par l'avocat de la salariée le 28 juin 2017.

Madame [L] ne rapporte pas le commencement de preuve exigé par la loi. Elle se contente d'affirmer ou produit des attestations de proches qui sont mensongères ou qui renvoient à des faits qui n'ont nullement été constatés personnellement par leurs rédacteurs, mais relatés par Madame [L], ou qui décrivent des ressentis exprimés par cette dernière. Ces attestations ne sont donc pas conformes aux exigences de l'article 202 alinéa 1 sur ce point et devront être écartées, faute de valeur probante.

Enfin, les faits relatés par la salariée ne relèvent pas d'un harcèlement moral alors que les mesures de changement de postes relevaient du pouvoir de direction de l'employeur et étaient justifiées par les besoins de l'organisation interne. Il est faux d'affirmer que la salariée occupait deux postes de travail car elle occupait la seule fonction d'assistante de direction, et conformément à l'article 3 de son contrat de travail, elle était affectée auprès de directions différentes.



La SA CMA CGM produit le compte rendu de l'entretien préalable et les comptes rendus d'évaluation de la salariée.



*



Il appartient au juge de former sa conviction, au vu des éléments de faits présentés, et de dire si le harcèlement moral est ou non constitué, peu important que la salariée n'ait pas, elle-même, caractérisé cette situation de harcèlement auprès de son employeur au cours de la relation contractuelle.



Les attestations de Monsieur [M] et de Madame [E] respectent les exigences de forme de l'article 202 du code de procédure civile et leurs auteurs rapportent bien des faits qu'ils ont personnellement constatés. La valeur probante de ces attestations n'est donc pas contestable et elles seront prises en considération par la cour.



Si la SA CMA CGM invoque l'article 3 du contrat de travail qui stipule que 'la Salariée exercera les fonctions d'Assistante de Direction et sera positionnée au statut Agent de Maîtrise, Niveau V, Echelon 2, coefficient 340 étant entendu qu'en fonction des nécessités d'organisation du travail, la Salariée pourra être affectée au sein de différentes directions, ce que la Salariée accepte expressément', Madame [L] invoque un cumul de postes qui a créé une charge de travail importante, un stress et des pressions de ses managers ainsi que des changements répétitifs de postes qui l'ont destabilisée, ce dont attestent Monsieur [M] et Madame [E]. Ce fait est également attesté par les comptes rendus d'évaluation de la salariée puisqu'en 2015, elle indiquait que le 'poste tel qu'il est actuellement n'est pas un poste d'assistante. Il consiste majoritairement en des réservations de salles et la mise à jour d'organigrammes'.



La SA CMA CGM ne produit pas d'élément qui démontrerait que Madame [L] n'a pas été victime de pressions et de mouvements d'humeur de la part de ses managers, parfois violents, notamment s'agissant d'un jet d'un téléphone à la figure de la salariée le 3 septembre 2015 et qui a été l'une des causes de son arrêt de travail le 9 septembre suivant.



Le mail de Monsieur [U] [Z], directeur RH, atteste que l'employeur était au courant de la situation difficile de Madame [L] au sein du service de Monsieur [S] et la SA CMA CGM ne justifie pas des mesures qu'elle a prises pour protéger la santé et la sécurité de sa salariée.



Par ailleurs, la SA CMA CGM a fait preuve d'un comportement particulièrement brutal et déloyal envers Madame [L] en décidant de la mettre à pied à titre conservatoire, et donc de l'écarter immédiatement de l'entreprise, tout en lui payant son salaire et en soutenant envisager un licenciement pour faute simple , dans le but d'écarter l'application des dispositions conventionnelles protectrices de ses droits.



Il résulte également des pièces produites par la salariée, et notamment des pièces médicales, que ces agissements répétés ont pour objet et pour effet une dégradation de ses conditions de travail. Ils ont altéré sa santé physique et mentale et compromis son avenir professionnel.



La SA CMA CGM échoue ainsi à démontrer que les faits présentés par Madame [L] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi.



Compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée et des conséquences dommageables qu'il a eues pour Madame [L] telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, le préjudice en résultant pour Madame [L] doit être réparé par l'allocation de la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts.



IV. Sur la demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice distinct



Madame [L] soutient avoir subi un véritable traumatisme dû à la manière brute et incompréhensible par laquelle il a été mis fin à son contrat de travail et invoque le fait qu'elle n'a toujours pas pu récupérer ses données et affaires personnelles, dont ses entretiens d'évaluation, malgré ses demandes réitérées et celles de son conseil, ce qui caractérise un abus de position dominante de l'employeur.



La SA CMA CGM conclut que Madame [L] ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct qui, notamment ne ressort pas des éléments médicaux produits au débat. Si les circonstances du licenciement ont été prises en considération dans l'évaluation des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Madame [L] produit plusieurs mails, notamment de Madame [B], déléguée syndicale, du 16 juin 2017 et des courriers de son conseil du 28 juin 2017 et du 28 août 2017 par lesquels elle sollicitait de récupérer ses affaires personnelles suite à sa mise à pied conservatoire et à son licenciement.



La SA CMA CGM ne produit pas d'élément qui attesterait qu'elle a restitué à Madame [L] ses affaires personnelles. Le manquement de l'employeur en la matière est donc caractérisé ainsi que le préjudice moral de Madame [L] qui sera indemnisé par l'allocation de la somme de 1.500 € à titre de dommages-intérêts.



V. Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens



Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées. Il est équitable de condamner la SA CMA CGM à payer à Madame [L] la somme de 2.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en première instance et en cause d'appel.



Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de la SA CMA CGM, partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et en matière prud'homale,



Rejette la demande de nullité du jugement,



Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Dit que le licenciement de Madame [T] [L] est sans cause réelle et sérieuse,



Dit que Madame [T] [L] a subi des faits répétés de harcèlement moral,



Condamne la SA CMA CGM à payer à Madame [T] [L] les sommes de :

- 21.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 1.500 € à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice distinct,

- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la SA CMA CGM aux dépens de première instance et d'appel.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction

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