19 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-80.675

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00668

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Ordonnances - Appel - Forme - Appel interjeté par un avocat - Désignation préalable de l'avocat - Exception - Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - Excès de formalisme portant atteinte à l'équité de la procédure - Applications diverses

La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Il se déduit de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si le droit d'exercer un recours peut être soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure. Encourt la cassation, en raison d'un formalisme excessif, l'arrêt d'une chambre de l'instruction qui déclare irrecevable l'appel formé au nom de la partie civile par un avocat, au motif que ce dernier n'avait pas été régulièrement désigné au regard des articles 115 et 502 du code de procédure pénale, alors que la copie du dossier lui a été délivrée et que l'avis de fin d'information, le réquisitoire définitif et l'ordonnance de règlement lui ont été notifiés, ce dont il résulte que le juge d'instruction a considéré que cet avocat avait été personnellement choisi par la partie civile

Texte de la décision

N° R 23-80.675 F-B

N° 00668


MAS2
19 AVRIL 2023


CASSATION


Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 AVRIL 2023




La société [1], anciennement dénommée [2], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 12 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre M. [O] [F], des chefs d'abus de biens sociaux, abus de confiance, fraude fiscale, abandon de famille, organisation frauduleuse d'insolvabilité, et contre Mme [I] [U], du chef de recel, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance de requalification, de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge d'instruction.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société [1], anciennement dénommée [2], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [O] [F], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 avril 2023 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Turcey, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite d'un signalement de TRACFIN relatif aux mouvements de fonds observés entre les comptes des sociétés dirigées par M. [O] [F] et ceux de ce dernier ainsi que de sa mère, une information a été ouverte le 17 mars 2008 des chefs d'escroquerie, abus de biens sociaux et complicité, recel et blanchiment.

3. Le 11 mars 2009, la société [2] s'est constituée partie civile.

4. Une ordonnance de requalification, de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel a été rendue le 29 juillet 2021 par le juge d'instruction.

5. Le 6 août 2021, Mme Maryline Buchheit, avocat, a formé appel de cette ordonnance pour la société [2].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel de la société [1], anciennement dénommée [2], irrecevable, alors :

« 1°/ que lorsqu'une partie a désigné une société civile professionnelle comme avocat en application des dispositions de l'article 115 du Code de procédure pénale, l'ensemble des avocats exerçant au sein de cette société civile professionnelle sont réputés avoir été désignés et peuvent dès lors interjeter appel des ordonnances du juge d'instruction au nom et pour le compte de cette partie ; qu'en l'espèce, il ressort du dossier de la procédure que deux courriers adressés par la société [2] au greffier du juge d'instruction en application du texte susvisé mentionne la « SCP Gandar-Buchheit » comme avocat désigné ; que, dès lors, en déclarant irrecevable l'appel formé à l'encontre de l'ordonnance de règlement de la procédure par Me Buchheit au nom et pour le compte de la société [2], motifs pris que cette avocate n'avait pas été régulièrement désignée, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 115, 186, 502 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que lorsqu'une partie a désigné une société civile professionnelle comme avocat en application des dispositions de l'article 115 du Code de procédure pénale, l'appel formé, au stade de l'instruction, par un avocat au nom et pour le compte de cette partie est recevable dès lors que l'acte d'appel fait apparaître l'appartenance de cet avocat à la société civile professionnelle désignée ; que, dès lors, en déclarant irrecevable l'appel formé à l'encontre de l'ordonnance de règlement de la procédure par Me Buchheit au nom et pour le compte de la société [2], quand les termes de l'acte d'appel faisaient apparaître l'appartenance de cette avocate à la « SCP Gandar-Buchheit », laquelle avait été mentionnée comme avocat désigné dans deux courriers adressés par la société [2] au greffier du juge d'instruction en application de l'article 115 du Code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 115, 186, 502 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que les avocats associés de l'avocat choisi par une partie en application de l'article 115 du Code de procédure pénale peuvent interjeter appel des ordonnances du juge d'instruction au nom et pour le compte de celle-ci ; qu'à tout le moins en va-t-il ainsi lorsque l'acte d'appel fait apparaître que l'avocat qui a fait la déclaration d'appel est associé, au sein d'une même société civile professionnelle, à l'avocat régulièrement désigné ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (p. 42) que par un courrier du 11 mars 2009, la société [2] a informé le juge d'instruction de sa volonté de désigner Me Gandar comme l'un de ses avocats, qu'à l'issue de sa première audition en qualité de partie civile le 22 juin 2009, la société [2] a confirmé avoir fait le choix notamment de Me Gandar, que par un courrier du 27 janvier 2015, cette société a rappelé que la situation de Me Gandar, membre de la « SCP Gandar-Buchheit », restait inchangée et que par courrier du 1er juillet 2019, elle a informé le juge d'instruction de la désignation d'un nouvel avocat aux côtés notamment de la « SCP Gandar-Buchheit » ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé au nom et pour le compte de la société [2] à l'encontre de l'ordonnance de règlement par Me Buchheit, quand les termes de l'acte d'appel faisaient apparaître l'appartenance de cette avocate à la SCP Gandar-Buchheit en tant qu'associée, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 115, 186, 502 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;


4°/ que si le droit d'exercer un recours peut être soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé au nom et pour le compte de la société [2] par Me Buchheit, motifs pris que cette avocate n'avait pas été désignée dans les formes prévues par l'article 115 du Code de procédure pénale (arrêt, p. 42), lorsque, d'une part, l'exigence qui, selon la Cour de cassation résulte des dispositions combinées de ce texte et de l'article 502 du Code de procédure pénale, selon laquelle l'avocat, qui fait une déclaration d'appel, ne peut exercer ce recours, au stade de l'instruction, que si la partie concernée a préalablement fait choix de cet avocat et en a régulièrement informé la juridiction d'instruction (Crim. 9 janvier 2007, n° 06-84.738, Bull. crim. n°3 ; Crim. 27 novembre 2012, n°11-85.130, Bull. crim. n°260), ne constitue pas un moyen adéquat pour atteindre les buts visés par ces dispositions, à savoir éviter les risques d'annulation de la procédure du fait d'une irrégularité dans la convocation de l'avocat choisi par les parties et préserver le secret de l'instruction, et lorsque, d'autre part et en tout état de cause, l'atteinte portée au droit d'accès au juge d'appel de la société [2], résultant de la déclaration d'irrecevabilité de son appel, n'entretient pas un rapport raisonnable de proportionnalité avec les buts poursuivis par les dispositions susvisées, dans la mesure où, en premier lieu, l'application de l'article 115 du code de procédure pénale n'est pas systématique, la Cour de cassation ayant déjà considéré comme valable une procédure dans laquelle ces formalités n'avaient pas été respectées dès lors que cela n'avait pas porté atteinte aux intérêts de la partie concernée (Crim. 9 avril 2013, n°13-80.502), en deuxième lieu, il ressort du dossier de la procédure que le juge d'instruction et son greffier étaient parfaitement informés que Me Buchheit était l'un des avocats de la société [2] et qu'ils n'ont rien trouvé à redire à ce sujet, cette avocate ayant notamment reçu notification des avis de fin d'information, des réquisitoires du procureur de la République et du procureur général, de l'ordonnance de règlement, de l'avis d'audience devant la chambre de l'instruction, de l'arrêt attaqué de la chambre de l'instruction et ayant pu obtenir sans difficulté copie du dossier de la procédure dès 2018, sans qu'aucune contestation ne soit par ailleurs soulevée à cet égard par les autres parties, de sorte que Me Buchheit était fondée à considérer que sa désignation était régulière, en troisième lieu, la société [2] n'a soutenu à aucun moment que Me Buchheit aurait agi en dehors de ses instructions, en quatrième lieu, Me Buchheit avait été l'associée de Me Gandar, avocat régulièrement désigné par la société, ce qui ressort très clairement de l'acte d'appel lui-même qui mentionne l'appartenance de Me Buchheit à la « SCP Gandar-Buchheit », en cinquième et dernier lieu, la décision d'irrecevabilité de l'appel de la partie civile entraîne des conséquences irrémédiables de nature à entraver l'exercice des droits de la défense, la partie civile et son avocat ne pouvant plus, à ce stade, régulariser une désignation validée par le juge d'instruction, alors même que le risque d'annulation de la procédure pour cause d'ambiguïté ou de confusion quant au nom de l'avocat chargé d'assister la société [2] durant l'instruction a nécessairement disparu, la chambre de l'instruction a fait preuve d'un formalisme excessif susceptible de porter atteinte à l'équité de la procédure et a par conséquent violé les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches

7. Pour déclarer irrecevable l'appel formé le 6 août 2021 par Mme Buchheit, avocat, pour le compte de la société [2], l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles 115 et 502 du code de procédure pénale que I'avocat qui fait une déclaration d'appel ne peut exercer ce recours au stade de l'instruction que si la partie concernée a préalablement fait le choix de cet avocat et en a informé la juridiction d'instruction, que cette désignation doit être nominative et porter sur une personne physique régulièrement inscrite à un barreau et que l'appel a en l'espèce été interjeté par un avocat non régulièrement désigné.

8. Les juges rappellent, notamment, que la société [2] a informé le juge d'instruction le 11 mars 2009 qu'elle se constituait partie civile en désignant comme avocats M. Pierre Gandar, avocat à Metz, et M. Olivier Saumon, avocat à Paris, que par application de l'article 89 du code de procédure pénale, la société [2] a déclaré le 27 mars suivant au juge d'instruction l'adresse de M. Gandar, à laquelle lui ont été notifiés les droits liés à sa qualité de partie civile et qu'à I'issue de sa première audition, le représentant de la société [2] a confirmé avoir fait le choix de deux avocats, M. Bernard Vatier, avocat à Paris, étant désigné comme nouvel avocat aux côtés de M. Gandar.

9. Ils ajoutent que le 27 janvier 2015, la partie civile a informé le juge d'instruction qu'elle désignait M. Fabrice Fages, avocat à Paris, aux lieux et place de M. Vatier, en précisant que la situation de M. Gandar demeurait inchangée, que le 1er juillet 2019, elle a avisé le juge d'instruction du choix d'un nouvel avocat en la personne de M. François Saint-Pierre, avocat à Lyon, aux côtés de M. Fages et de la SCP Gandar-Buchheit et qu'ainsi à ce stade de la procédure, les avocats régulièrement désignés par la société [2] étaient MM. Saint-Pierre, Fages et Gandar.

10. Ils relèvent que la société [2] n'a jamais fait connaître au juge d'instruction dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale le nom de Mme Buchheit, avocat à Metz, comme étant I'avocat choisi par elle et que le seul courrier du 1er juillet 2019 faisant référence à la personne morale SCP Gandar-Buchheit ne peut être considéré comme désignant un avocat personne physique, ayant seul le titre d'avocat au sens de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

11. Ils concluent que la désignation d'un avocat dans le cadre de l'information n'emporte pas désignation de ses associés ou collaborateurs et qu'à aucun moment, Mme Buchheit n'a fait l'objet d'une désignation nominative dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale, et ce, alors même que M. Gandar, avocat honoraire depuis le 1er janvier 2018, n'était plus associé de la SCP Gandar-Buchheit ni autorisé à représenter des clients depuis le 31 décembre 2017 et que Mme Buchheit était devenue la seule associée de cette SCP.

12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait une exacte application des articles 115 et 502 du code de procédure pénale, lesquels ne sont pas contraires aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

13. En effet, d'une part, le courrier du 1er juillet 2019 par lequel la société [2] a fait le choix de M. Saint-Pierre, avocat, afin d'assurer la défense de ses intérêts aux côtés de M. Fages, avocat, et de la SCP Gandar-Buchheit, n'a pas eu pour effet de désigner l'ensemble des avocats exerçant au sein de cette société civile professionnelle en leur permettant de former appel des ordonnances du juge d'instruction au nom et pour le compte de cette partie.

14. D'autre part, il ne résulte d'aucune disposition conventionnelle ou légale qu'un avocat qui n'a pas été personnellement désigné dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale serait recevable à interjeter appel d'une ordonnance du juge d'instruction, quand bien même il exercerait au sein de la même société civile professionnelle que l'avocat régulièrement choisi et serait l'associé ou le collaborateur de ce dernier.

15. Ainsi, les griefs doivent être écartés

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Vu les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme :

16. Il résulte du premier de ces textes que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

17. Il se déduit du second de ces textes que si le droit d'exercer un recours peut être soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure.

18. Pour déclarer irrecevable l'appel formé le 6 août 2021 par Mme Buchheit, avocat, pour le compte de la société [2], l'arrêt prononce par les motifs repris aux paragraphes 7 à 11 de la présente décision.

19. En se déterminant ainsi, alors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen des pièces de la procédure, que la copie du dossier d'information avait été délivrée à Mme Buchheit, avocat, par le greffe de la juridiction d'instruction et que l'avis de fin d'information, le réquisitoire définitif et l'ordonnance de règlement dont elle a formé appel lui avaient été notifiés, ce dont il résulte que le juge d'instruction a considéré que cet avocat avait été personnellement choisi par la partie civile, la chambre de l'instruction, en opposant à cette dernière, au stade de l'appel, l'irrégularité de la désignation de Mme Buchheit, a fait preuve d'un formalisme excessif et a méconnu les textes et les principes ci-dessus rappelés.

20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 12 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par Mme de la Lance en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.

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