19 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-21.053

Chambre sociale - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00502

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Nullité - Cas - Dénonciation de faits antérieurs au licenciement - Faits susceptibles de constituer un harcèlement - Qualification par le salarié - Nécessité (non) - Office du juge - Appréciation - Conditions - Portée

Le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce. Ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d'avoir adressé aux membres du conseil d'administration de l'association une lettre pour dénoncer le comportement du supérieur hiérarchique de la salariée en l'illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l'employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d'agissements de harcèlement moral. Dès lors, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n'était pas démontrée, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l'intéressée d'agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Harcèlement - Harcèlement moral - Existence - Faits établis par le salarié la faisant présumer - Appréciation - Office du juge - Portée

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 avril 2023




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 502 FP-B+R

Pourvoi n° T 21-21.053




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023

L'Association institution familiale Sainte-Thérèse (AIFST), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-21.053 contre l'arrêt rendu le 15 avril 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [O] [L], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à Pôle emploi Direction régionale de Normandie, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'Association institution familiale Sainte-Thérèse, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [L], et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mars 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, M. Rinuy, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mme Cavrois, MM. Rouchayrole, Barincou, Mme Lacquemant, conseillers, Mme Ala, M. Le Corre, Mmes Lanoue, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 15 avril 2021), Mme [L] a été engagée par l'Association institution familiale Sainte-Thérèse (l'AIFST) à compter du 28 novembre 2002 en qualité de psychologue, affectée au sein de l'établissement le foyer du [4] qui accueille des adolescents en difficulté.

2. Par lettre du 9 avril 2018, elle a été licenciée pour faute grave.

3. Soutenant avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral, la salariée a saisi, le 31 octobre 2018, la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l'obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement de la salariée est nul et de le condamner au paiement d'une somme sur ce fondement, alors :

« 1°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, c'est à la condition qu'il soit effectivement reproché au salarié d'avoir dénoncé l'existence de faits de ''harcèlement moral'' ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait à Mme [L] d'avoir adressé à la direction du foyer du [4] un courrier en date du 26 février 2018 au sein duquel elle avait ''gravement mis en cause l'attitude et les décisions prises par le directeur, M. [D], tant à [son] égard que s'agissant du fonctionnement de la structure'' et y avait ''également porté des attaques graves à l'encontre de plusieurs de [ses] collègues, quant à leur comportement, leur travail, mais encore à l'encontre de la gouvernance de l'Association'' ; qu'en considérant néanmoins que la formulation de la lettre de licenciement autorisait Mme [L] à revendiquer le bénéfice des dispositions protectrices de l'article L. 1152-2 du code du travail, et en annulant en conséquence le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail ;

2°/ qu'en retenant que ''le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n'est pas démontrée emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement'', quand la lettre de licenciement ne reprochait pas à la salariée d'avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement du 9 avril 2018, et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents qu'il examine, en méconnaissance de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, le juge ne peut prononcer la nullité du licenciement qu'à la condition que le salarié ait qualifié les agissements visés de harcèlement moral ; qu'ayant constaté que ''en l'espèce, la lettre de licenciement reproche pour l'essentiel à Mme [L] l'envoi d'un courrier, le 26 février 2018, à des membres du conseil de l'administration pour dénoncer le comportement de M. [D], directeur du foyer du [4] en l'illustrant de plusieurs exemples qui ont entraîné selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé'', la cour d'appel a décidé que ''le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n'est pas démontrée emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement'' ; que partant, en énonçant que Mme [L] avait été licenciée pour un grief ''tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée'', alors qu'il ne résultait pas de ses propres constatations que la salariée avait relaté dans le courrier du 26 février des faits qualifiés par elle de harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1152-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail ;

4°/ que l'AIFST exposait dans ses écritures que Mme [L] ne mentionnait ''à aucun moment le terme de harcèlement'' dans sa lettre du 26 février 2018, et en déduisait qu'elle ne pouvait conclure à la nullité de son licenciement en considérant que la mesure prise à son encontre aurait été fondée sur un harcèlement moral qu'elle aurait prétendument dénoncé ; qu'en décidant néanmoins que Mme [L] avait été licenciée pour un grief ''tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée'', sans rechercher, alors qu'elle y était pourtant invitée, si la salariée avait qualifié dans sa lettre du 26 février 2018 le comportement dénoncé de harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1152-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

7. Aux termes de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

8. La Cour de cassation en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce, et que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits de harcèlement moral emporte à lui seul la nullité du licenciement (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 ; Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-25.554, Bull. V, n° 115).

9. La Cour de cassation a également jugé que le salarié ne pouvait bénéficier de la protection légale contre le licenciement tiré d'un grief de dénonciation de faits de harcèlement moral que s'il avait lui-même qualifié les faits d'agissements de harcèlement moral (Soc., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-23.045, Bull. 2017, V, n° 134).

10. Postérieurement, la Cour de cassation a énoncé que l'absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n'est pas exclusive de la mauvaise foi de l'intéressé, laquelle peut être alléguée par l'employeur devant le juge (Soc., 16 septembre 2020, pourvoi n° 18-26.696, publié).

11. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et que le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul (Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, publié).

12. Dès lors, au regard, d'une part de la faculté pour l'employeur d'invoquer devant le juge, sans qu'il soit tenu d'en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, d'autre part de la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l'exercice non abusif de sa liberté d'expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l'instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement, il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.

13. D'abord, ayant constaté, hors toute dénaturation, que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d'avoir adressé à des membres du conseil d'administration de l'AIFST, le 26 février 2018, une lettre pour dénoncer le comportement du directeur du foyer du [4] en l'illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l'employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d'agissements de harcèlement moral.

14. Ensuite, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n'était pas démontrée, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l'intéressée d'agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'Association institution familiale Sainte-Thérèse aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Association institution familiale Sainte-Thérèse et la condamne à payer à Mme [L] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.

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