13 avril 2023
Cour d'appel de Rouen
RG n° 22/03932

Chambre Sociale

Texte de la décision

N° RG 22/03932 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JHP3





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 13 AVRIL 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Ordonnance du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 29 Novembre 2022





APPELANTE :





Société RENAULT SAS

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Karin DULAC, avocat au barreau de PARIS









INTIME :





Monsieur [B] [M]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représenté par Me Michel ROSE de la SELARL DPR AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN







































COMPOSITION DE LA COUR  :





En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 14 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère





GREFFIER LORS DES DEBATS :





Mme WERNER, Greffière







DEBATS :





A l'audience publique du 14 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023





ARRET :





CONTRADICTOIRE



Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.










EXPOSÉ DU LITIGE



M. [B] [M] a été engagé par la société Renault en qualité d'opérateur statut ouvrier par contrat de travail à durée indéterminée du 20 novembre 1995.

Au dernier état, M. [B] [M] occupe le poste de professionnel instrumentation statut ouvrier P2 coefficient 195.



Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale de la Métallurgie ainsi que la convention collective territoriale de la Métallurgie [Localité 4]-[Localité 3].



Par requête du 21 juin 2022, M. [B] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.



Par ordonnance du 29 novembre 2022, le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour juger les demandes de M. [B] [M], a :



- ordonné la mise en 'uvre de l'entretien professionnel récapitulatif au profit de M. [B] [M] dans le respect des dispositions de l'article L6315-1 II et conformément au guide d'utilisation issu de l'accord collectif du 8 novembre 2019 élaboré par l'observatoire de la métallurgie sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d'un délai de 3 mois suivant la notification de la décision, le conseil se réservant le droit de liquider cette astreinte,



- ordonné la mise en 'uvre pour l'avenir des entretiens professionnels au profit de M. [B] [M] suivant la périodicité organisée par l'accord collectif du 8 novembre 2019, distinct de l'entretien individuel d'appréciation des performances, respectant les termes de l'article L. 6315-1 I du code du travail,



- débouté M. [B] [M] de sa demande d'astreinte par infraction constatée,



- condamné la société Renault à abonder le compte CPF de M. [B] [M] à hauteur de 3 000 euros,



- condamné la société Renault à verser à M. [B] [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.



La société Renault a interjeté un appel total le 8 décembre 2022.



Par conclusions remises le 23 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Renault demande à la cour de :



- déclarer recevable et bien fondé son appel,



y faisant droit,



à titre principal,







- infirmer la décision rendue en ce que le conseil s'est déclaré compétent pour juger les demandes de M. [B] [M], a ordonné la mise en 'uvre de l'entretien professionnel récapitulatif au profit de M. [B] [M] dans le respect des dispositions de l'article L6315-1 II et conformément au guide d'utilisation issu de l'accord collectif du 8 novembre 2019 élaboré par l'observatoire de la métallurgie sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d'un délai de 3 mois suivant la notification de la décision, le conseil se réservant le droit de liquider cette astreinte, condamné la société Renault à abonder le compte CPF de M. [B] [M] à hauteur de 3 000 euros, ordonné la mise en 'uvre pour l'avenir des entretiens professionnels au profit de M. [B] [M] suivant la périodicité organisée par l'accord collectif du 8 novembre 2019, distinct de l'entretien individuel d'appréciation des performances, respectant les termes de l'article L. 6315-1 I du code du travail, condamné la société Renault à verser à M. [B] [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,



statuant à nouveau,



- déclarer irrecevables les demandes de M. [B] [M],



- dire n'y avoir lieu à référé,



- débouter M. [B] [M] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,



- débouter M. [B] [M] de sa demande d'abondement de son CPF à hauteur de 3 000 euros,



- condamner M. [B] [M] à 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,



à titre subsidiaire,



- infirmer la décision rendue en ce qu'elle a ordonné la mise en 'uvre de l'entretien professionnel récapitulatif au profit de M. [B] [M] dans le respect des dispositions de l'article L6315-1 II et conformément au guide d'utilisation issu de l'accord collectif du 8 novembre 2019 élaboré par l'observatoire de la métallurgie sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d'un délai de 3 mois suivant la notification de la décision,



statuant à nouveau,



- réduire l'astreinte prononcé par l'ordonnance de référé à l'encontre de la Société à la somme de 100 euros par jour de retard.



Par conclusions remises le 9 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [B] [M] demande à la cour de :



- confirmer l'ordonnance de référé du 29 novembre 2022 en toutes ses dispositions,



- débouter la société Renault de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, tant formulées à titre principal qu'à titre subsidiaire,







- condamner la société Renault au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, ainsi qu'aux entiers dépens.



L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 23 février 2023.




MOTIFS DE LA DÉCISION



I - Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite



La société Renault, qui explique que M. [B] [M] a bénéficié tout au long de sa carrière d'un entretien professionnel annuel, a formulé chaque année des voeux de formation et d'évolution professionnelle, a bénéficié de nombreuses formations sans émettre la moindre critique sur le contenu et la forme des entretiens jusqu'à sa saisine de la juridiction prud'homale, conteste l'existence d'un trouble manifestement illicite et donc la recevabilité des demandes présentées en référé, aux motifs qu'elle a tenu les entretiens professionnels conformément aux exigences légales et conventionnelles, que le contenu de l'entretien professionnel est conforme tant à la dernière rédaction de l'article L.6315-1 du code du travail qu'à l'objectif du législateur, qu'elle a également respecté son obligation relative à l'état des lieux professionnel.



M. [B] [M] soutient que la société Renault a manqué à ses obligations en n'organisant pas d'entretien professionnel distinct de l'entretien individuel d'évaluation jusqu'en 2020 au mépris de l'article L.6315-1 I dans sa version applicable du 10 août 2016 au 1er janvier 2019, qu'elle n'a pas davantage respecté cet article dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2019, l'entretien ne comportant pas d'informations relatives à la validation des acquis de l'expérience, à l'activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l'employeur est susceptible de financer et aux conseils en évolution professionnelle et qu'il n'a pas non plus bénéficié de l'entretien afférent à l'état des lieux récapitulatif de son parcours professionnel, le questionnaire remis par son employeur consistant à cocher des cases ne pouvant s'y substituer dès lors qu'il doit s'exercer dans le cadre d'un entretien spécifique.



Selon l'article R.1455-5 du code du travail, dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article R.1455-6 précise que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite est défini comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit nécessitant que soit prise une mesure 'répressive', destinée à mettre fin à une situation provoquant une atteinte dommageable et actuelle aux droits ou aux intérêts légitimes du demandeur.











A - Sur l'obligation d'entretien professionnel



Après la création d'un bilan d'étape professionnel par la loi du 24 novembre 2009, la loi du 5 mars 2014 y a substitué un entretien professionnel devant se tenir tous les deux ans dont le dispositif a été repris dans l'article L.6315-1 du code du travail pour une entrée en vigueur à compter du 7 mars 2014.



Dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2019, à l'occasion de son embauche, le salarié est informé qu'il bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi. Cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l'expérience.



Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l'issue d'un congé de maternité, d'un congé parental d'éducation, d'un congé de proche aidant, d'un congé d'adoption, d'un congé sabbatique, d'une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l'article L.1222-12, d'une période d'activité à temps partiel au sens de l'article L.1225-47 du présent code, d'un arrêt longue maladie prévu à l'article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l'issue d'un mandat syndical.



Dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2019, l'article L.6315-1 du code du travail est ainsi rédigé :

I. - A l'occasion de son embauche, le salarié est informé qu'il bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi. Cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l'expérience, à l'activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l'employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle.



Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l'issue d'un congé de maternité, d'un congé parental d'éducation, d'un congé de proche aidant, d'un congé d'adoption, d'un congé sabbatique, d'une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l'article L. 1222-12, d'une période d'activité à temps partiel au sens de l'article L. 1225-47 du présent code, d'un arrêt longue maladie prévu à l'article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l'issue d'un mandat syndical. Cet entretien peut avoir lieu, à l'initiative du salarié, à une date antérieure à la reprise de poste.



II. - Tous les six ans, l'entretien professionnel mentionné au I du présent article fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cette durée s'apprécie par référence à l'ancienneté du salarié dans l'entreprise.



Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d'apprécier s'il a :

1° Suivi au moins une action de formation ;

2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;

3° Bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle.



Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque, au cours de ces six années, le salarié n'a pas bénéficié des entretiens prévus et d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2, son compte personnel est abondé dans les conditions définies à l'article L. 6323-13.



III. - Un accord collectif d'entreprise ou, à défaut, de branche peut définir un cadre, des objectifs et des critères collectifs d'abondement par l'employeur du compte personnel de formation des salariés. Il peut également prévoir d'autres modalités d'appréciation du parcours professionnel du salarié que celles mentionnés aux 1° à 3° du II du présent article ainsi qu'une périodicité des entretiens professionnels différente de celle définie au I.



Dans sa version applicable depuis le 1er janvier 2020, le dispositif a été maintenu dans les mêmes termes, sauf à préciser que pour l'application du présent article, l'effectif salarié et le franchissement du seuil de cinquante salariés sont déterminés selon les modalités prévues à l'article L. 130-1 du code de la sécurité sociale.



L'article 11-1 de l'accord national du 8 novembre 2019 relatif à l'emploi, à l'apprentissage et à la formation professionnelle Entretien professionnel dispose que l'entretien professionnel constitue le moment privilégié pour aborder le parcours professionnel et pour échanger, entre l'employeur et le salarié, sur les évolutions prévisibles des emplois, métiers, compétences et certifications, ainsi que sur les dispositifs d'accompagnement pouvant être mobilisés à l'appui d'un projet d'évolution professionnelle. Il s'agit d'un acte clé du management, nécessitant une forte implication des managers.



En l'espèce, le groupe Renault a décidé la mise en oeuvre de cet entretien professionnel chaque année.

Ainsi, en application des dispositions légales, des accords collectifs de branche et d'entreprise chaque salarié doit bénéficier :

- chaque année d'un entretien professionnel consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi. Cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l'expérience, et depuis le 1er janvier 2019, également des informations afférentes à l'activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l'employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle.

Cet entretien professionnel se distingue de celui relatif à l'évaluation du travail du salarié, de ses objectifs et ses performances et/ou son potentiel, comme le précise le guide d'utilisation et support de l'entretien professionnel réalisé par l'observatoire paritaire de la métallurgie, qui indique également que l'entretien professionnel peut être tenu isolément ou couplé à l'entretien d'évaluation, ajoutant que, dans tous les cas, il doit faire l'objet d'un temps et d'un document spécifique.

- tous les 6 ans, d'un état des lieux récapitulatifs de son parcours professionnel en terme de formation et de progression salariale.

Il s'en déduit que pour les salariés recrutés avant le 7 mars 2014, comme M. [B] [M], les entretiens professionnels devaient se dérouler :

- chaque année s'agissant de l'entretien professionnel

- avec un état des lieux récapitulatif lors de la sixième année, soit pour le 31 décembre 2020, finalement reporté au 30 septembre 2021 compte tenu de la crise sanitaire.



Il n'est pas discuté qu'en 2014, l'employeur a mis en place un guide utilisateur décrivant les modalités et les objectifs des entretiens professionnels, précisant que doivent être abordées au cours de l'entretien :

- la carrière du collaborateur : parcours réalisé, compétences développées et les hypothèses d'évolution professionnelle,

- les actions de développement du collaborateur : actions de développement des compétences métier et des attitudes professionnelles à mettre en place afin de le soutenir dans l'atteinte de la performance attendue sur son poste, de préparer la prochaine étape de leur parcours professionnel et de favoriser le maintien et le développement de leur employabilité.

Ce guide rappelait également que la loi 'Pour la liberté de choisir son avenir professionnel 'du 5 mars 2014 prévoit qu'un entretien professionnel soit organisé afin d'aborder les perspectives d'évolution professionnelle du collaborateur et que l'entretien 'carrière et plan de développement' s'inscrit dans ce cadre légal.

Aussi, il convient de compléter l'échange en entretien de face à face par un accès à une information relative aux dispositifs suivants :

- la validation des Acquis de l'Expérience

- le Compte Personnel de Formation

- les abondements que l'employeur est susceptible de financer,

- le CEP.

Il doit être rappelé au collaborateur que des instances externes peuvent également l'accompagner dans cette réflexion, tels que les conseillers en évolution professionnelle dépendant du Fongecif, d'Opcalia, de l'Apec ou de Pôle emploi.

S'il n'est imposé aucun formalisme sur les modalités de tenue des entretiens d'évaluation, et les entretiens professionnels du salarié, outre la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, néanmoins, il convient de s'assurer que les modalités mises en oeuvre permettent au salarié de manière claire, de nature à éviter toute confusion, chaque entretien ayant une finalité bien distincte, de les permettant les différencier, mais aussi, de s'assurer que l'ensemble des points devant être abordés, l'ont bien été.



Si la société Renault a fait évoluer sa pratique en établissant deux documents distincts, l'un pour l'entretien d'évaluation et l'autre valant compte rendu de l'entretien relatif à la carrière et au développement professionnel utilisable à compter de l'année 2021, il y a lieu de constater que quelque soit le document utilisé, il n'y figure pas les mentions relatives à l'information pourtout obligatoire sur la validation des Acquis de l'Expérience, le compte personnel de formation et les abondements que l'employeur est susceptible de financer.



Si le texte de l'article L.6315-1 n'apporte pas de précision quant à ce que doit contenir le document remis au salarié, néanmoins, alors qu'il contraint l'employeur à donner des informations sur des points explicitement et précisément spécifiés, il paraît nécessaire pour s'assurer du respect de l'effectivité de cette obligation légale mise à la charge de l'employeur qu'elles apparaissent sur le document signé des parties, même en une formulation succincte dans une trame pré-écrite et non développée, pour constituer ainsi un mode de preuve non discutable, dès lors qu'il appartient à l'employeur d'établir qu'il a effectivement respecté les obligations mises à sa charge, la rédaction d'un guide à destination des managers, même prévoyant l'ensemble des informations à donner n'étant pas en soi suffisantes pour établir et contrôler qu'en réalité ces informations ont été données au salarié concerné.









Aussi, la société Renault étant défaillante dans l'administration de cette preuve, dès lors qu'il est exigé que les informations soient données, il existe un trouble manifestement illicite à ne pas démontrer l'effectivité du respect de cette obligation légale qui cause nécessairement un préjudice au salarié qui n'a pas disposé de l'ensemble des informations lui permettant d'envisager en toute connaissance de cause son évolution professionnelle, de sorte que c'est à raison que la formation de référé a retenu sa compétence.



B- Sur l'état des lieux professionnel



L'article L.6315-1 II du code du travail prévoit que tous les six ans, l'entretien professionnel mentionné au I du présent article fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cette durée s'apprécie par référence à l'ancienneté du salarié dans l'entreprise.

Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d'apprécier s'il a :

1° Suivi au moins une action de formation ;

2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;

3° Bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle.



L'article 11-2 de l'accord national du 8 novembre 2019 relatif à l'emploi, à l'apprentissage et à la formation professionnelle dispose qu'en application de l'article L. 6315-1, II, du code du travail, tous les 6 ans, l'entretien professionnel fait l'objet d'un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cet état des lieux recense, au cours des 6 dernières années, les entretiens professionnels mis en 'uvre, les actions de formation suivies, les progressions salariales ou professionnelles intervenues, ainsi que les éléments de certification acquis.

A ce titre, la société Renault soutient avoir respecté cette obligation en remettant au salarié un questionnaire lui demandant si sur les six dernières années il avait :

- bénéficié d'au mois 2 entretiens individuels abordant notamment les sujets 'formation', 'orientation', 'mobilité'au cours de ces entretiens,

- suivi au moins une formation quelle qu'en soit la forme

- acquis des éléments de certification

- bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle,

qu'il a remis le 27 octobre 2020, précisant sans l'établir que cette remise a été faite au manager, permettant ainsi le cas échéant d'en échanger avec lui.

Alors que le texte de l'article L.6315-1 du code du travail prévoit que tous les 6 ans, l'entretien professionnel fait un état des lieux récapitulatif, il sen déduit que cet état des lieux donne lieu à échange au cours de l'entretien professionnel et dès lors le seul questionnaire qui constitue un élément permettant de poser les termes de l'échange à ce sujet en amont de l'entretien professionnel n'est pas suffisant à lui seul à établir l'effectivité de cet échange au cours de l'entretien professionnel.



Dès lors, le trouble manifestement illicite est là encore caractérisé dès lors que le salarié n'avait pas bénéficié de l'entretien professionnel intégrant cet état des lieux.

Si les premiers juges ont ordonné en conséquence pour de justes motifs la mise en oeuvre de l'entretien professionnel récapitulatif dans le respect des dispositions de l'article L.6315-1 du code du travail sous astreinte, dès lors qu'à la suite de leur décision, le 21 février 2023, le salarié a été convoqué pour la tenue de l'entretien professionnel récapitulatif organisé le 23 février 2023, au vu de l'évolution du litige, il n'y a pas lieu de maintenir l'astreinte qui avait été ordonné pour ce faire.



II - Sur la demande au titre de l'abondement du CPF



La société Renault au motif que les conditions tenant à la tenue des entretiens et à la formation sont cumulatives, soutient que la sanction ne peut lui être appliquée dès lors que M. [B] [M] a non seulement bénéficié des entretiens professionnels obligatoires, mais aussi bénéficié de plusieurs formations non rendues obligatoires par son activité ou sa fonction.



M. [B] [M], rappelant que l'abondement du compte CPF est une sanction se traduisant par une contribution inscrite au compte personnel et recouvrée par le Trésor public et non une créance du salarié, soutient que l'employeur n'établit ni qu'il a procédé à des entretiens professionnels réguliers, ni à l'entretien récapitulatif, les conditions cumulatives sont réunies, ce qui justifie que la sanction soit prononcée.



L'article L.6315-1 du code du travail dispose que dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque, au cours de ces six années, le salarié n'a pas bénéficié des entretiens prévus et d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2, son compte personnel est abondé dans les conditions définies à l'article L. 6323-13.



L'article 11.3 de l'accord national du 8 novembre 2019 relatif à l'emploi, à l'apprentissage et à la formation professionnelle prévoit que dans les entreprises d'au moins 50 salariés, lorsque le salarié n'a pas bénéficié, durant les 6 années précédant l'entretien d'état des lieux récapitulatif, des entretiens professionnels prévus et d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2 du code du travail, il bénéficie, en application de l'article R. 6323-3, I du même code, d'un abondement de son compte personnel de formation (CPF) d'un montant de 3 000 € versé par l'employeur à la Caisse des dépôts et consignations. Le salarié est informé de ce versement.



Toutefois, en application de l'article 1er, XIII de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, jusqu'au 31 décembre 2020, dans ces mêmes entreprises, le salarié bénéficie de l'abondement correctif de son CPF visé au précédent alinéa s'il n'a pas bénéficié, durant ces 6 années, des entretiens professionnels prévus, et :

- soit d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2 du code du travail ;

- soit d'au moins deux des trois mesures suivantes : le suivi d'au moins une action de formation, l'acquisition d'éléments de certification par la formation ou par la validation des acquis de son expérience, le bénéfice d'une progression salariale ou professionnelle.



Il résulte des termes clairs du texte précité que la sanction doit être prononcée dès lors que deux conditions cumulatives sont réunies, à savoir :

- l'absence de tenue d'entretiens professionnels dans les conditions prescrites

- l'absence d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2 du code du travail.

Aussi, alors qu'il est établi que M. [B] [M] a bénéficié de formations hors celles qui conditionnent l'exercice d'une activité ou d'une fonction, en suivant les formations suivantes :

- Français E-learning Français 224 de février à avril 2018

- Maths- E-learning Mathématiques 224 de mars à novembre 2018,

aucune sanction n'est encourue, de sorte que la cour infirme la décision entreprise sur ce point.



III - Sur les dépens et frais irrépétibles



En qualité de partie partiellement succombante, la société Renault SAS est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [B] [M] la somme de 1 000 euros en cause d'appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l'instance et non compris dans les dépens.



PAR CES MOTIFS



LA COUR



Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,



Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Renault SAS à abonder le compte CPF de M. [B] [M] à hauteur de 3 000 euros ;



Statuant à nouveau,



Dit n'y avoir lieu de condamner la société Renault à abonder le compte CPF de M. [B] [M] sur le fondement de l'article L.6315-1 du code du travail ;



La confirme en ses autres dispositions ;



Compte tenu de l'évolution du litige,



Dit sans objet l'astreinte prononcée ;



Y ajoutant,



Condamne la société Renault SAS aux entiers dépens d'appel ;



Condamne la société Renault SAS à payer à M. [B] [M] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;



Déboute la société Renault SAS de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel.



La greffière La présidente

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