13 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.676

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00382

Titres et sommaires

ETRANGER - Entrée et séjour - Entrée et séjour irréguliers - Procédure de rétention administrative - Reconduite à la frontière - Refus de se soumettre aux obligations sanitaires avant le terme de la procédure de rétention - Peine d'emprisonnement - Droit de l'Union européenne - Compatibilité (non)

Le droit de l'Union prohibe la poursuite des délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de celle-ci à l'exécution de la décision de retour, avant que la procédure de rétention ne soit parvenue à son terme. Il en résulte que l'infraction, prévue à l'alinéa 3 de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de refuser de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement. Encourt la cassation l'arrêt qui déclare le prévenu coupable de ce chef alors que sa rétention n'avait pas pris fin

Texte de la décision

N° G 22-81.676 FS-B

N° 00382


RB5
13 AVRIL 2023


CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 AVRIL 2023



M. [D] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, chambre correctionnelle, en date du 22 décembre 2021, qui, pour infraction à la législation sur les étrangers, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [D] [V], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Labrousse, Leprieur, Sudre, MM. Maziau, Turbeaux, Seys, Dary, Mme Thomas, MM. Laurent, Gouton, Brugère, Mme Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mme Guerrini, M. Michon, Mme Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 2 mars 2021, M. [D] [V], ressortissant algérien, a fait l'objet d'un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français.

3. Le 9 août 2021, il a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de placement en rétention pour une durée de quarante-huit heures, rétention qui, le 11 août suivant, a été prolongée pour vingt-huit jours par une ordonnance du juge des libertés et de la détention. Le 8 septembre 2021, une nouvelle prolongation de la mesure a été ordonnée pour trente jours.

4. Les 10 et 26 août, 14 et 30 septembre 2021, M. [V] a refusé de se prêter à un test de dépistage de la covid-19 nécessaire pour embarquer dans un avion à destination de l'Algérie.

5. Par jugement du 7 octobre 2021, le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de refus de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'une mesure d'éloignement et l'a condamné à trois mois d'emprisonnement.

6. M. [V] a relevé appel de cette décision, le ministère public formant un appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable M. [V] du délit de refus par un étranger de se soumettre aux modalités de transport ou aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office d'une décision d'éloignement, alors « qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 s'oppose à une réglementation nationale mettant en oeuvre des poursuites pénales à l'encontre du ressortissant d'un pays tiers séjournant irrégulièrement sur le territoire d'un État membre sans que ne soient préalablement mises en échec les mesures coercitives prévues par cette même directive ; qu'il s'ensuit qu'en condamnant Monsieur [V] à une peine d'emprisonnement délictuel de trois mois au titre de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile (CESEDA) du fait de son refus de se soumettre à la réalisation d'un test PCR aux fins d'exécution de sa mesure d'éloignement, alors même que la mesure de rétention administrative dont il faisait l'objet dans le cadre de la procédure d'éloignement n'avait pas expiré, la cour d'appel de Lyon a violé les textes précédemment évoqués. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

8. Selon le premier de ces textes, pris en son paragraphe 1, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet d'une procédure de retour, afin de procéder à son éloignement, en particulier lorsque la personne évite ou empêche la préparation du retour ou de l'éloignement.

9. Le même article, en son paragraphe 6, a), prévoit que la durée de la rétention, dont il fixe le maximum, peut être prolongée, lorsque, malgré les efforts déployés par l'État membre, l'opération d'éloignement se prolonge en raison du manque de coopération de la personne concernée.

10. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que la directive précitée s'oppose à une réglementation d'un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n'étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n'a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l'article 8 de cette directive et n'a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention (CJUE, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11).

11. La CJUE considère qu'un tel emprisonnement est en effet susceptible de faire échec à l'application de la procédure d'éloignement et de retarder le retour, portant ainsi atteinte à l'effet utile de cette directive, dont l'objet est la mise en place d'une politique efficace d'éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d'une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.

12. Il en résulte que les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui doivent être éloignés en application de la directive précitée peuvent, en vue de la préparation et de la réalisation de cet éloignement, s'agissant d'une privation de liberté, tout au plus être soumis à une rétention.
13. Néanmoins, selon la CJUE, les États membres ont la faculté d'adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n'ont pas permis de parvenir à l'éloignement d'un ressortissant d'un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière, sans motif justifié de non-retour, la procédure de retour établie par ladite directive ayant été menée à son terme (CJUE, arrêt du 28 avril 2011, C-61/11, El Dridi ; arrêt du 6 décembre 2011 précité ; arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15).

14. Telle est la situation de la personne qui a fait l'objet d'une mesure de rétention dont la durée maximale a été atteinte sans qu'elle ait pu être éloignée, malgré les efforts de l'État membre, et de celle dont la rétention a été levée au constat qu'il n'existe plus de perspectives raisonnables d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres, au sens de l'article 15, § 4, de la directive précitée, ce dont le juge saisi des poursuites doit s'assurer.

15. Il s'en déduit que les délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie, et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de celle-ci à l'exécution de la décision de retour, ne peuvent être poursuivis avant que la procédure de rétention ne soit parvenue à son terme.

16. Tel est le cas de l'alinéa 3 de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de refuser de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet.

17. Une telle infraction ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin pour l'un des motifs visés au paragraphe 14, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement.

18. En l'espèce, pour déclarer M. [V] coupable du chef de l'infraction prévue à l'article L. 824-9, alinéa 3, précité, l'arrêt attaqué énonce que, si cette directive interdit de recourir à des mesures pénales tant que les mesures administratives d'éloignement n'ont pas été exercées, elle n'interdit pas de sanctionner des comportements délibérés de refus ou de soustraction aux mesures administratives prises dans le cadre de l'éloignement, sans qu'il soit nécessaire de maintenir l'intéressé en rétention jusqu'à l'expiration du délai maximal de celle-ci.

19. En se déterminant ainsi, alors que les poursuites pénales ne pouvaient être engagées avant l'expiration du délai de la rétention du prévenu, lequel n'avait pas pris fin en l'espèce, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.


Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon en date du 22 décembre 2021 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire en ce qui concerne la déclaration de culpabilité prononcée contre M. [V] ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.

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