13 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-85.816

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00381

Titres et sommaires

ETRANGER - Entrée et séjour - Entrée et séjour irréguliers - Procédure de rétention administrative - Reconduite à la frontière - Soustraction avant le terme de la procédure de rétention - Peine d'emprisonnement - Droit de l'Union européenne - Compatibilité (non)

Le droit de l'Union prohibe la poursuite des délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie, et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de celle-ci à l'exécution de la décision de retour, avant que la procédure de rétention ne soit parvenue à son terme. Il en résulte que l'infraction, prévue par l'article L. 824-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de ne pas présenter les documents de voyage, ou de ne pas communiquer les renseignements permettant l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement. Justifie sa décision l'arrêt qui prononce la relaxe du prévenu de ce chef alors que sa rétention n'avait pas pris fin en l'espèce

Texte de la décision

N° G 22-85.816 FS-B

N° 00381


RB5
13 AVRIL 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 AVRIL 2023



Le procureur général près la cour d'appel de Metz a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 16 juin 2022, qui a relaxé M. [B] [L] du chef d'infraction à la législation sur les étrangers.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Labrousse, Leprieur, Sudre, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, MM. Laurent, Gouton, Brugère, Mme Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Mallard, Mme Guerrini, M. Michon, Mme Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Courtial, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 9 avril 2021, M. [B] [L], de nationalité soudanaise, a fait l'objet d'un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire. Il a été placé dans un centre de rétention, le 22 décembre 2021, en vue de l'exécution de la décision d'éloignement ; sa rétention a été prolongée par le juge des libertés et de la détention jusqu'au 20 février 2022.

3. Le 5 janvier, puis le 9 février 2022, M. [L] a refusé de se rendre au consulat du Soudan aux fins que soient établis les documents nécessaires à sa reconduite vers ce pays.

4. Il a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, le 10 février 2022, pour avoir omis de communiquer à l'autorité administrative compétente les documents de voyage ou renseignements permettant l'exécution d'une obligation de quitter le territoire.

5. Par jugement du 25 février 2022, le tribunal correctionnel a accueilli une exception de nullité soulevée pour le prévenu et a prononcé sa relaxe.

6. Le ministère public a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait droit aux exceptions de nullité et relaxé le prévenu, alors que l'article L. 824-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'énonce pas que l'infraction qu'il réprime s'applique à une personne qui a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'une assignation à résidence ayant pris fin sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement, qu'en retenant que cette condition, prévue par l'article L. 824-3 du même code, doit s'interpréter comme un principe général s'appliquant non seulement au délit de maintien irrégulier sur le territoire national mais également à ceux d'obstruction et de soustraction à l'exécution d'une mesure administrative de reconduite à la frontière, la cour d'appel a violé le premier des textes précités et l'article 591 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

8. Pour accueillir l'exception de nullité soulevée par le prévenu, tirée de la violation des règles posées par la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et prononcer sa relaxe, l'arrêt attaqué retient que la poursuite a été exercée alors que le délai maximal de la rétention administrative n'était pas atteint.
9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.

10. En effet, la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants en séjour irrégulier, fixe les normes et procédures applicables, dans les États membres, au retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

11. L'article 15 de ce texte, pris en son paragraphe 1, énonce que les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet d'une procédure de retour, afin de procéder à son éloignement, en particulier lorsque la personne évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement.

12. Le même article, en son paragraphe 6, a), prévoit que la durée de la rétention, dont il fixe le maximum, peut être prolongée, lorsque, malgré les efforts déployés par l'État membre, l'opération d'éloignement se prolonge en raison du manque de coopération de la personne concernée.

13. La CJUE a dit pour droit que la directive précitée s'oppose à une réglementation d'un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n'étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n'a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l'article 8 de cette directive et n'a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention (CJUE, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11).

14. La CJUE considère qu'un tel emprisonnement est en effet susceptible de faire échec à l'application de la procédure d'éloignement et de retarder le retour, portant ainsi atteinte à l'effet utile de cette directive, dont l'objet est la mise en place d'une politique efficace d'éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d'une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.

15. Il en résulte que les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui doivent être éloignés, en application de la directive précitée, peuvent, en vue de la préparation et de la réalisation de cet éloignement, s'agissant d'une privation de liberté, tout au plus être soumis à une rétention.

16. Néanmoins, selon la CJUE, les États membres ont la faculté d'adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n'ont pas permis de parvenir à l'éloignement d'un ressortissant d'un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière, la procédure de retour établie par ladite directive ayant été menée à son terme (CJUE, arrêt du 28 avril 2011, C-61/11, El Dridi ; arrêt du 6 décembre 2011 précité ; arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15).

17. Telle est la situation de la personne qui a fait l'objet d'une mesure de rétention dont la durée maximale a été atteinte sans qu'elle ait pu être éloignée, malgré les efforts de l'État membre, et de celle dont la rétention a été levée au constat qu'il n'existe plus de perspectives raisonnables d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres, au sens de l'article 15, § 4, de la directive précitée, ce dont le juge saisi des poursuites doit s'assurer.

18. Il s'en déduit que les délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie, et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de cette dernière à l'exécution de la décision de retour, ne peuvent être poursuivis avant que la procédure d'éloignement ne soit parvenue à son terme.

19. Tel est le cas de l'article L. 824-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger qui fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire, d'une décision d'expulsion, d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire, de ne pas communiquer à l'autorité administrative compétente les documents de voyage, ou les renseignements qui permettent d'établir son identité, ou encore des renseignements inexacts.

20. Une telle infraction ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation ayant pris fin pour l'un des motifs visés au paragraphe 17, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement.

21. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.

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