13 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.540

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2023:C200385

Titres et sommaires

PROTECTION DES CONSOMMATEURS - Clauses abusives - Caractère abusif - Office du juge - Etendue - Détermination - Portée

Par un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a notamment dit pour droit : - que la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à une règle nationale qui interdit au juge national de réexaminer d'office le caractère abusif des clauses d'un contrat, lorsqu'il a déjà été statué sur la légalité de l'ensemble des clauses de ce contrat au regard de cette directive par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée ; - qu'en revanche, en présence d'une ou de plusieurs clauses contractuelles dont le caractère éventuellement abusif n'a pas été examiné lors d'un précédent contrôle juridictionnel du contrat litigieux clôturé par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que le juge national, régulièrement saisi par le consommateur par voie d'opposition incidente, est tenu d'apprécier, sur demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif de celles-ci. Il en résulte que lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à la créance, le juge de l'exécution est tenu, même en présence d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif, pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, sauf s'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée qu'il a été procédé à cet examen

POUVOIRS DES JUGES - Applications diverses - Contrats et obligations conventionnelles - Clauses abusives - Caractère abusif - Appréciation

JUGE DE L'EXECUTION - Compétence - Difficultés relatives aux titres exécutoires - Décision de justice - Autorité de la chose jugée - Contestation de créance - Clauses abusives - Office du juge - Etendue

JUGE DE L'EXECUTION - Pouvoirs - Etendue - Contrats et obligations conventionnelles - Clauses abusives - Caractère abusif - Appréciation - Conditions

Texte de la décision

CIV. 2

CM


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2023




Cassation partielle


Mme MARTINEL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 385 FS-B+R

Pourvoi n° P 21-14.540


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 AVRIL 2023

M. [B] [M], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-14.540 contre l'arrêt rendu le 7 janvier 2021 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la société BNP Paribas Personal Finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [M], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas Personal Finance, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Durin-Karsenty, Vendryes, M. Waguette, Mme Caillard, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mme Bonnet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 janvier 2021), sur le fondement d'un acte de prêt notarié du 25 juin 2008, ayant pour monnaie de compte le franc suisse et pour monnaie de paiement l'euro, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a délivré, le 11 octobre 2013, à M. [M] un commandement de payer valant saisie immobilière sur le bien immobilier objet du prêt.

2. Par jugement d'orientation du 10 juillet 2014, un juge de l'exécution a fixé le montant de la créance du poursuivant à une certaine somme, et ordonné la vente forcée.

3. Après avoir perçu une somme le 19 octobre 2015 à la suite de la vente du bien, la banque a fait pratiquer, le 4 septembre 2018, une saisie-attribution sur les comptes de M. [M] à fin de paiement du solde du prêt, mesure que M. [M] a contestée devant un juge de l'exécution.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir constater la prescription de la créance de la banque et de dire que la saisie-attribution pratiquée à son préjudice à la requête de la banque le 4 septembre 2018 entre les mains de la Banque postale produira son plein et entier effet à concurrence de la somme de 39 459,82 euros en principal, intérêts alors « que l'effet interruptif de la prescription attaché à la délivrance de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation, consécutive à un commandement valant saisie immobilière, produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance introduite par cette assignation, laquelle résulte, lorsqu'il n'existe qu'un seul créancier et en l'absence de contestation, du jugement d'adjudication ; que la cour d'appel qui, en présence de la BNP pour seul créancier inscrit et en l'absence de contestation relative au versement du prix, a retenu, pour écarter la prescription de sa créance, que le délai biennal de prescription, qui avait été interrompu par l'assignation à l'audience d'orientation, avait recommencé à courir pour deux ans à compter du versement du prix à la banque le 19 octobre 2015, a violé les articles 2242 du code civil et R. 332-1 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

5. En application de l'article 2244 du code civil, le commandement valant saisie immobilière interrompt le délai de prescription.

6. L'assignation à l'audience d'orientation interrompt ensuite le délai de prescription par application de l'article 2241 du code précité, et, en application de l'article 2242, cette interruption produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance de la procédure de saisie immobilière.

7. Or, la saisie immobilière et la distribution du prix constituent les deux phases d'une même procédure.

8. Dès lors, l'instance engagée par la saisine du juge de l'exécution à l'audience d'orientation ne s'éteint que lorsque ce dernier ne peut plus être saisi d'une contestation à l'occasion de la saisie immobilière.

9. Lorsqu'il n'y a qu'un seul créancier, le débiteur peut, en application des articles R. 311-5 et R. 332-1 du code des procédures civiles d'exécution, contester le paiement dans le délai de quinze jours à compter de la notification qui lui en est faite.

10. Il résulte de ce qui précède que l'effet interruptif de prescription d'une instance de saisie immobilière, qui n'a pas pour terme le jugement d'adjudication, se poursuit, lorsqu'il n'y a qu'un seul créancier répondant aux critères de l'article L. 331-1 du code des procédures civiles d'exécution, jusqu'à l'expiration du délai de quinze jours suivant la notification du paiement ou, le cas échéant, jusqu'à la date de la décision tranchant la contestation formée dans ce délai.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes et de dire que la saisie-attribution pratiquée à son préjudice à la requête de la banque le 4 septembre 2018 produira son plein et entier effet à concurrence de la somme de 39 459,82 euros en principal, intérêts, alors « que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; que bien qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, la cour d'appel qui, nonobstant l'absence d'appel incident sur ce point, s'est abstenue de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen, contestée par la défense

13. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est incompatible avec la thèse soutenue par M. [M] devant la cour d'appel, selon laquelle les poursuites n'étaient pas fondées sur le contrat de prêt notarié mais sur un jugement doté de l'autorité de la chose jugée, s'étant substitué au contrat.

14. Cependant, le moyen, en ce qu'il invoque l'obligation pour le juge d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle, est né de la décision attaquée.

15. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation :

16. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

17. Aux termes du second de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

18. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.

19. Le moyen conduit la chambre à s'interroger sur l'office du juge de l'exécution en matière de clauses abusives.

20. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).

21. Ensuite, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que, dans l'hypothèse où, lors d'un précédent examen d'un contrat litigieux ayant abouti à l'adoption d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, le juge national s'est limité à examiner d'office, au regard de la directive 93/13, une seule ou certaines des clauses de ce contrat, cette directive impose à un juge national, régulièrement saisi par le consommateur, d'apprécier, à la demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif des autres clauses dudit contrat (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-21/14).

22. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé les contours de cet office tel qu'il s'impose au juge national en retenant que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation nationale qui n'autorise pas une juridiction nationale, agissant d'office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l'égard de ce bien transférés à un tiers, à la condition que le consommateur dont le bien a fait l'objet d'une procédure d'exécution hypothécaire puisse faire valoir ses droits lors d'une procédure subséquente en vue d'obtenir réparation, au titre de cette directive, des conséquences financières résultant de l'application de clauses abusives (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco).

23. Il résulte de ce qui précède que, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d'un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l'exécution est tenu, même en présence d'une précédente décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen, et pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif.

24. Or, en matière de contrat de prêt libellé en devise étrangère, par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :

- l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;

- l'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

25. C'est à ce titre, sur le fondement de cet arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne , que la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, statuant dans un litige portant sur un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, a dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas un caractère abusif (1ère Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.600).

26. Après avoir rejeté l'exception de nullité de la saisie attribution et la fin de non-recevoir prise de la prescription de la créance, l'arrêt, sans examiner le caractère abusif des clauses du prêt libellé en devises étrangères, retient que la saisie attribution est justifiée dans son quantum.

27. En statuant ainsi, alors que, disposant des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, il lui appartenait d'examiner d'office si les clauses du prêt notarié libellé en devise étrangère, fondement de la saisie-attribution, revêtaient ou non un caractère abusif, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement en tant qu'il a débouté M. [M] de sa demande tendant à la prescription de la créance, l'arrêt rendu le 7 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.

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