4 avril 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/05320

Pôle 5 - Chambre 8

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 4 AVRIL 2023



(n° / 2023, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05320 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOTJ



Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation du 19 janvier 2022 ( Pourvoi N° T19-12.696 - Arrêt N° 50FS-D) d'un arrêt rendu le 20 décembre 2018 par la Cour d'appel de Paris (RG 16/25967) d'un jugement rendu le 13 décembre 2016 par le tribunal de commerce de Paris ( RG 2015068773)





APPELANTS



Monsieur [L] [J]

Né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 19]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 16]





Monsieur [U] [J]

Né le [Date naissance 4] 1946 à [Localité 19]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 7]

[Localité 13]





Représentés par Me Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocate au barreau de PARIS, toque : B0653,

Assistés de Me Pierre-Edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0210,





INTIMÉS



S.A.R.L. LA FINANCIÈRE DE RENNES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 480 192 228,

Dont le siège social est situé [Adresse 5]

[Localité 10]





S.A.S. LA VIERGE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 498 872 571,

Dont le siège social est situé [Adresse 6]

[Localité 11]





Représentées par Me Bruno REGNIER de la SCP CHRISTINE LAMARCHE BEQUET- CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO R EGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050,

Assistées de Me Gilles VERMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 0513,





S.A. AUDACIA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 492 471 792,

Dont le siège social est situé [Adresse 9]

[Localité 14]



Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

Assistée de Me Louis-Marie ABSIL de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0030,





Monsieur [P] [Y]

Demeurant [Adresse 3]

[Localité 17]





Monsieur [I] [H]

Demeurant [Adresse 8]

[Localité 12]





Madame [S] [R]

Demeurant [Adresse 18]

[Localité 15]



Non constitués





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 905 et 1037-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2023, en audience publique, devant la Cour, composée de :



Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

Madame Constance LACHEZE, conseillère,



qui en ont délibéré.



Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, dans les conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL





ARRÊT :



- Réputé contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.




*

* *



FAITS ET PROCÉDURE:



MM. [U] et [L] [J] ont fondé en 1974 la SARL La Vierge, holding d'animation détenant des boulangeries sous l'enseigne Le Moulin de la vierge.



M. [Y] en a pris la direction en 2002.



Le 16 mai 2013, la société La Vierge a été transformée en SAS, à l'unanimité des associés, et l'EURL Lescollomb en a été nommée présidente. Le même jour, la société La Vierge a procédé à une augmentation de capital par incorporation de réserves et à l'émission de bons de souscription d'actions pour une nouvelle catégorie d'actions que la société Audacia, fonds d'investissement, a souscrites. Les nouveaux statuts stipulaient alors en son article 17 que les décisions collectives des associés étaient adoptées à la majorité des deux tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré.



Le 24 mai 2013, suivant les pouvoirs accordés par l'assemblée générale, le président de la société a accompli les formalités nécessaires à l'augmentation de capital et a modifié les statuts " pour tenir compte de l'existence de deux catégories d'actions et de l'augmentation de capital ". L'article 17 des statuts a ainsi été modifié, les décisions collectives des associés étant dorénavant adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré.



A l'issue de ces opérations, le capital de la société était réparti entre M. [Y], MM. [J], M. [H] et Mme [R], propriétaires d'actions de catégorie A, et la société Audacia, propriétaire d'une action de catégorie A et des actions de catégorie B émises.



En 2015 des dissensions sont apparues entre les actionnaires et, le 26 mai 2015, le commissaire aux comptes a déclenché une procédure d'alerte.



Le 25 juin 2015, les associés ont révoqué l'EURL Lescollomb de ses fonctions de président et désigné en remplacement la société Financière de Rennes.



Lors d'une assemblée générale extraordinaire réunie le 22 octobre 2015, la réalisation d'une augmentation de capital d'un million d'euros avec intégration d'une prime d'émission réservée à la société Financière de Rennes et la suppression du droit préférentiel de souscription des associés ont été adoptées à la majorité requise du tiers des droits de vote des associés présents ou représentés, soit 46 % des voix exprimées, tandis que 54 % des voix exprimées ont voté contre ces opérations, aucune abstention n'ayant été constatée.



Par acte du 24 novembre 2015, M. [Y] a assigné la société La Vierge et ses actionnaires et la société Financière de Rennes en annulation de cette délibération adoptée selon lui en fraude de ses droits. MM. [J] se sont associés à cette demande et

M. [L] [J] a en outre et reconventionnellement demandé au tribunal de prononcer la nullité de l'article 17 des statuts et la désignation d'un administrateur provisoire.



Par jugement du 13 décembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a dit irrecevable la demande de M. [L] [J] de prononcer la nullité de l'article 17 des statuts, débouté MM. [Y] et [J] de leur demande d'annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital, débouté M. [L] [J] de sa demande de désignation d'un administrateur provisoire, condamné solidairement MM. [Y] et [L] [J] à payer à M. [H] et aux sociétés La Vierge, La Financière de Rennes et Audacia la somme de 7.500 euros chacun et M. [U] [J] à payer à chacun la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, condamné M. [Y] aux dépens.



MM. [Y], [L] [J] et [U] [J] ont, chacun, fait appel de ce jugement, les sociétés La Vierge, Financière de Rennes et Audacia, M. [H] et Mme [R] étant intimés. Les instances ont été jointes. Par arrêt du 20 décembre 2018, la cour a pour l'essentiel donné acte à M. [Y] de son désistement d'instance et d'action et constaté l'extinction de l'instance et de l'action engagée par M. [Y] et le dessaisissement de la cour, confirmé le jugement en toutes ses dispositions, y ajoutant déclaré irrecevable au visa des articles 71 et 564 du code de procédure civile la demande de nullité de l'article 17 des statuts, condamné MM. [J] au paiement d'une indemnité procédurale et aux dépens d'appel, rejeté toutes autres demandes des parties.



Sur pourvoi de MM. [J] et par arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 20 décembre 2018 mais seulement en ce qu'il déboute MM. [J] de leur demande d'annulation de la délibération litigieuse et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile sauf en ce qui concerne

M. [Y].



Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a considéré que l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce laisse une grande liberté aux associés pour déterminer, dans les statuts d'une SAS, la majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu'il énumère, que

toutefois cette liberté dans la rédaction des statuts trouve sa limite dans la nécessité d'instituer une règle d'adoption des résolution soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires, que tel n'est pas le cas d'une clause statutaire stipulant qu'une résolution est adoptée lorsqu'une proportion d'associés représentant moins de la moitié des droits de votes présents ou représentés s'est exprimée en sa faveur, puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil, que, par conséquent, les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés.



Par déclaration du 10 mars 2022, MM. [J] ont saisi la cour de renvoi en appelant à la cause MM. [P] [Y] et [I] [H], Mme [S] [R] et les sociétés Financière de Rennes, La Vierge et Audacia.



Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 30 août 2022, MM. [J] demandent à la cour d'infirmer le jugement du 13 décembre 2016 et, statuant à nouveau, de juger que les résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 22 octobre 2015 sont nulles et que la suppression du droit préférentiel de souscription de MM. [J] est irrégulière, en conséquence de prononcer la nullité de l'assemblée générale extraordinaire de la société La Vierge du 22 octobre 2015 et, en tout état de cause, de condamner solidairement les sociétés Financière de Rennes et Audacia à leur payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.



MM. [J] soutiennent qu'au regard des principes énoncés par l'arrêt de la Cour de cassation, la nullité des délibérations de l'assemblée générale du 22 octobre 2015 en cause s'impose.



Ils font valoir que les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple de votes exprimés, que l'application de l'article 17 des statuts porte atteinte au droit des associés de participer aux décisions collectives en ce que " la majorité du tiers " conduit à un renversement du rapport de force au mépris de la notion de majorité, que cette " minorité majoritaire " expose la liberté statutaire à des abus compromettant l'intérêt social, qu'elle rompt l'égalité entre les actionnaires dès lors qu'elle instaure un décalage entre les droits et obligations des actionnaires qui contribuent aux pertes à proportion de leur participation au capital social. Ils ajoutent qu'il découle des articles L. 225-135 et L. 225-129 du code de commerce, qui appliquent les dispositions européennes prévues par la directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976 remplacée par la directive 2017/1132 du Parlement et du Conseil du 14 juin 2017, la suppression du droit préférentiel de souscription doit être décidée suivant une majorité qui ne peut être inférieure à la majorité simple.



Ils rappellent qu'en l'espèce la résolution litigieuse, portant non seulement sur une augmentation de capital mais aussi sur la suppression du droit préférentiel de souscription, a été adoptée par une minorité des droits de vote, avec 229.313 voix pour et 269.185 voix contre, et en concluent qu'elle doit être annulée.



Ils estiment que la société Financière de Rennes ne saurait être considérée comme elle le prétend comme un tiers de bonne foi dès lors qu'elle a, en tant que présidente de la société La Vierge, établi la minorité numérique l'emportant sur la majorité, et qu'elle avait un intérêt à l'adoption de la résolution, étant devenue actionnaire en exécution de la résolution. Ils ajoutent, d'une part, que l'application antérieure de l'article 17 des statuts sans opposition des associés dont il résulterait la mauvaise foi de M. [J] est sans incidence dès lors que jusqu'alors les délibérations n'avaient jamais été adoptées par une minorité de votes exprimés et que, d'autre part, l'article 17 des statuts a été modifié à l'initiative de la société Audacia et de M. [Y] et non à leur initiative.



MM. [J] ne répondent pas à la société Audacia sur la fin de non-recevoir qu'elle leur oppose.



Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 20 septembre 2022, les sociétés Financière de Rennes et La Vierge demandent à la cour de confirmer le jugement du 13 décembre 2016 en toutes ses dispositions, de débouter MM. [J] de toutes leurs demandes, subsidiairement de prononcer l'inopposabilité à l'égard de la société Financière de Rennes de la nullité de la délibération d'assemblée générale du 22 octobre 2015 qui serait prononcée et, en tout état de cause, de condamner solidairement MM. [J] à leur payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.



Elles soutiennent que la " majorité du tiers " ne contrevient ni au droit des actionnaires de participer aux décisions collectives ni à l'intérêt social ni au principe d'égalité entre associés, rappelant que la proportionnalité des droits de vote à la quotité du capital détenu n'est pas applicable aux SAS, que les conditions de suppression du droit préférentiel de souscription invoquées par les appelants sont propres aux sociétés anonymes.



Elles font valoir également que l'article L. 227-9 du code de commerce laisse aux statuts de SAS le soin de déterminer les conditions d'adoption des décisions et non la majorité exigée pour adopter des résolutions et que l'exercice collectif d'un droit par les associés ne signifie pas nécessairement l'exercice majoritaire de ce droit par les associés.



Subsidiairement, elles prétendent que la société La Financière de Rennes est un tiers de bonne foi à l'encontre duquel ni la société ni ses associés ne peuvent se prévaloir de la nullité de la délibération litigieuse faisant valoir qu'elle n'a pas participé au vote de cette délibération, que la règle appliquée avait été instaurée en mai 2013 avant sa nomination en qualité de président et qu'elle avait été appliquée par MM. [J] pour l'approbation des comptes annuels 2014, également le 22 octobre 2015.



Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 18 juillet 2022, la société Audacia demande à la cour de juger irrecevables MM. [J] à agir à son encontre en nullité de l'assemblée générale du 22 octobre 2015 et de la mettre hors de cause, subsidiairement de confirmer le jugement du 13 décembre 2016, en tout état de cause de débouter MM. [J] de l'ensemble de leurs demandes, de les condamner solidairement à lui payer la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.



Elle soulève l'irrecevabilité de l'action en nullité de l'assemblée générale du 22 octobre 2015 exercée à son encontre en ce qu'une telle action a vocation à être dirigée contre la seule société, à l'exclusion des associés, qui a seule un intérêt légitime au rejet de la prétention sauf à ce qu'elle ait pour fondement un abus de majorité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et qu'en outre elle ne représente plus aucun actionnaire de la société La Vierge depuis la cession par les porteurs d'ADP 2013, qu'elle représente, de leurs titres à la société Financière de Rennes le 29 avril 2019.



Sur le fond, la société Audacia soutient que la règle de " la majorité du tiers " est conforme au droit des sociétés. Elle fait valoir qu'aucune condition de majorité relative à l'adoption ou au rejet des décisions devant être prises collectivement par les associés d'une SAS ne figure à l'article L.227-9 du code de commerce et, qu'en jugeant qu'une décision collective doit être adoptée à la majorité simple, la Cour de cassation ajoute une condition non prévue par la loi, que, contrairement à ce que postule l'arrêt de la Cour de cassation, la " majorité du tiers " permet de départager les associés dès lors que la condition de seuil d'adoption ne peut être simultanément remplie par les partisans et les adversaires d'une résolution, que MM. [J] échouent à établir en quoi la règle de " majorité du tiers " contreviendrait au principe selon lequel chaque associé dispose du droit de participer aux décisions collectives, en quoi elle porterait atteinte à l'intérêt social, qui ne se confond pas avec l'intérêt de la majorité des associés, et en quoi elle entraînerait une rupture d'égalité entre les actionnaires, qu'enfin la suppression du droit préférentiel de souscription des associés est régulière car admise par l'article L. 225-138 du code de commerce et inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée générale extraordinaire.



La déclaration de saisine après cassation a été signifiée à MM. [Y] et [H] et à Mme [R], le 19 mai 2022, par actes déposés à l'étude de l'huissier. Aucun n'a constitué avocat.



La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 janvier 2023.




SUR CE,



Il a été définitivement jugé que la demande de M. [L] [J] formée en première instance puis en appel tendant à l'annulation de l'article 17 des statuts n'était pas recevable de sorte que la présente cour de renvoi n'est pas saisie de la question de la validité de cet article des statuts et qu'elle est saisie de la seule question de la validité de la décision de l'assemblée générale extraordinaire du 22 octobre 2015 portant sur une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription.



Sur la recevabilité de l'action en nullité en ce qu'elle est exercée à l'encontre de la société Audacia :



L'action en nullité des délibérations de l'assemblée générale des actionnaires portant sur une augmentation de capital et la suppression du droit préférentiel de souscription n'a pas vocation à être dirigée contre la seule société et les actionnaires sont susceptibles d'avoir un intérêt légitime au rejet de la demande d'annulation quel que soit son fondement.



La recevabilité de l'action en nullité de la délibération litigieuse, adoptée le 22 octobre 2015, s'apprécie au jour où elle a été exercée par MM. [Y] et [J]. Il s'ensuit que la circonstance que la société Audacia ne représente plus aucun actionnaire de la société La Vierge depuis le 29 avril 2019, date de cession de leurs titres par ces actionnaires, soit postérieurement à l'engagement de l'action en nullité, est sans effet sur sa recevabilité.



La fin de non-recevoir soulevée par la société Audacia sera donc rejetée.



Sur le fond :



L'article L. 227-9 du code de commerce dispose que, dans les SAS, " les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient. Toutefois les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction du capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices, sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés ".



Il résulte de l'article L. 227-9 du code de commerce que les associés d'une SAS sont libres de déterminer, dans les statuts, non pas - en l'absence de dispositions expresses - une règle de majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu'il énumère, mais les conditions dans lesquelles sont prises les décisions qui doivent l'être collectivement, que ce soit dans les matières définies par les statuts ou visées par son alinéa 2.



Il s'ensuit, la loi ne le prohibant pas et les dispositions des directives européennes invoquées par MM. [J] n'étant pas applicables aux SAS, qu'il est loisible aux associés de définir dans les statuts une procédure d'adoption par un vote des décisions collectives - y compris celles portant sur une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription - qui n'applique pas une règle de majorité, telle qu'une condition de seuil dont la seule atteinte permet de considérer comme adoptée la résolution soumise au vote.



En l'espèce, la délibération dont MM. [J] demande l'annulation a été adoptée, lors d'une assemblée générale où tous les actionnaires étaient présents ou représentés, par 229.313 voix pour (46 %) et 269.185 voix contre (54 %), soit dans les conditions prévues par l'article 17 des statuts, à savoir " les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. "



Ces conditions définies par les statuts de la société La Vierge ne prévoient pas l'adoption des décisions collectives selon une règle de majorité, nonobstant le terme maladroitement emprunté, mais selon une condition de seuil, la résolution soumise au vote étant adoptée dès que le seuil du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, est atteint. Une telle condition de seuil pour adopter une résolution ne peut pas être remplie simultanément par ses partisans et ses adversaires puisque l'article 17 des statuts ne prévoit pas de condition de rejet de la résolution.



Ainsi les conditions d'adoption des résolutions litigieuses ne sont pas prohibées par la loi.



Elles ne portent pas atteinte au droit des associés de participer aux décisions collectives, dès lors qu'aucun associé n'est exclu du processus d'adoption de ces décisions et qu'ils sont tous appelés à délibérer, ce qui a été le cas de la résolution litigieuse sur laquelle tous les associés se sont exprimés en étant présents ou représentés à l'assemblée générale.



Elles ne constituent pas en elles-mêmes une atteinte à l'intérêt social, lequel ne se confond pas avec l'intérêt d'une majorité d'associés, ni n'impliquent un risque d'abus compromettant cet intérêt social, un tel abus pouvant émaner autant d'une majorité que d'une minorité d'associés.



Elles n'entraînent pas non plus une rupture d'égalité entre les actionnaires, cette condition de seuil s'imposant à tous les associés quels qu'ils soient et le décalage invoqué par MM. [J] entre les droits et obligations des actionnaires qui contribuent aux pertes à proportion de leur participation au capital social existant également lorsque les décisions collectives sont prises selon une règle de majorité, les sociétés Financière de Rennes et La Vierge observant en outre à juste titre que la proportionnalité des droits de vote à la quotité du capital détenu n'est pas applicable aux SAS.



L'ensemble des associés a accepté la procédure d'adoption de la résolution litigieuse, puisque la modification des statuts intervenue le 24 mai 2013 n'a pas été remise en cause jusqu'à ce que M. [L] [J] en soulève la nullité par conclusions devant le tribunal le 30 novembre 2015, M. [Y], auteur de l'assignation devant le tribunal, ayant invoqué la seule fraude à ses droits pour obtenir l'annulation de la résolution.



Les associés ont appliqué la procédure d'adoption, aujourd'hui critiquée par MM. [J], lors de l'assemblée générale ordinaire tenue également le 22 octobre 2015 puisque la résolution portant approbation des comptes annuels 2014 a été adoptée par 233.879 voix (47 %) pour et 264.619 voix contre (53 %).



La cour observe en outre que l'augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription, permettant de réserver cette augmentation de capital à la société Financière de Rennes, décidée le 22 octobre 2015, était dans l'intérêt social de la société La Vierge puisqu'une procédure d'alerte avait été déclenchée par le commissaire aux comptes le 26 mai précédent, qu'elle se situait dans un contexte de différend aigu entre

M. [L] [J] et M. [Y], associés ayant des responsabilités opérationnelles, depuis plus d'un an, ayant des effets sur l'exploitation des boulangeries, que seul un renforcement des fonds propres permettait d'envisager un redressement et qu'il ne ressort pas des pièces aux débats que les associés avaient l'intention de participer à une augmentation de capital et qu'ils étaient prêts à mobiliser des ressources à cette fin.



La résolution litigieuse n'étant pas irrégulière et ayant été adoptée dans l'intérêt social de la société La Vierge, il n'y a pas lieu de l'annuler.



Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté MM. [J] de leur demande d'annulation.



Sur les demandes accessoires :



Parties perdantes, MM. [J] seront condamnés aux dépens d'appel et ne peuvent prétendre à une indemnité procédurale.



Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [L] [J] à payer solidairement avec M. [Y] à M. [H] et aux sociétés La Vierge, La Financière de Rennes et Audacia la somme de 7.500 euros chacun et en ce qu'il a condamné

M. [U] [J] à payer à chacun la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



MM. [L] et [U] [J] seront condamnés à payer, ensemble, une somme de 2.500 euros aux sociétés La Vierge et La Financière de Rennes, prises ensemble, et une somme de 2.500 euros à la société Audacia au titre des frais irrépétibles exposés en appel.



PAR CES MOTIFS



La Cour statuant par arrêt réputé contradictoire et dans les limites de sa saisine,



Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 décembre 2018,



Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2022,



Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Audacia ;



Confirme le jugement en ce qu'il a débouté MM. [L] et [U] [J] de leur demande d'annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital, en ce qu'il a condamné M. [L] [J] à payer solidairement avec M. [Y] à M. [H] et aux sociétés La Vierge, La Financière de Rennes et Audacia la somme de 7.500 euros chacun et en ce qu'il a condamné M. [U] [J] à payer à chacun la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Y ajoutant,



Condamne MM. [L] et [U] [J] aux dépens d'appel ;



Déboute MM. [L] et [U] [J] de leur demande formée en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne MM. [L] et [U] [J] à payer, ensemble, au titre des frais irrépétibles exposés en appel, une somme de 2.500 euros aux société La Vierge et La Financière de Rennes, ensemble, et une somme de 2.500 euros à la société Audacia.









La greffière,





Liselotte FENOUIL



La présidente,





Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

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