5 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-87.217

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00358

Titres et sommaires

ATTEINTE A L'AUTORITE DE L'ETAT - Atteintes à l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique - Manquements au devoir de probité - Prise illégale d'intérêts - Eléments constitutifs - Rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 - Définition - Equivalence avec la rédaction antérieure

Les prévisions de l'article 432-12 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, aux termes de laquelle l'intérêt doit être de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité de l'auteur du délit, sont équivalentes à celles résultant de sa rédaction antérieure par laquelle le législateur, en incriminant le fait, par une personne exerçant une fonction publique, de se placer dans une situation où son intérêt entre en conflit avec l'intérêt public dont elle a la charge, a entendu garantir, dans l'intérêt général, l'exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions publiques

Texte de la décision

N° K 21-87.217 FS-B

N° 00358


MAS2
5 AVRIL 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 AVRIL 2023



[X] [F], Mme [Y] [S] et Mme [V] [J] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 23 novembre 2021, qui a condamné, le premier, pour recel, à six mois d'emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d'amende dont 7 500 euros avec sursis, la seconde, pour prise illégale d'intérêts, à un an d'emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d'amende dont 7 500 euros avec sursis, la troisième, pour complicité de prise illégale d'intérêts, à trois mois d'emprisonnement avec sursis, chacun à trois ans d'inéligibilité et a ordonné des mesures d'affichage et de diffusion de la décision.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits.

Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de [X] [F] et Mme [Y] [S], les observations de Me Laurent Goldman, avocat de Mme [V] [J], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. d'Huy, Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La commune de [Localité 2] a initié un projet visant à permettre à des artisans, pour s'installer, d'acquérir des parcelles à un prix très inférieur à celui du marché dans un secteur à forte pression immobilière.

3. [X] [F], conjoint de Mme [Y] [S], nommée directrice générale des services de la commune le 1er septembre 2015, s'est porté candidat et s'est vu attribuer un des lots.

4. Le 29 décembre 2016, une promesse de vente a été conclue entre [X] [F] et la commune représentée par le maire,
Mme [V] [J]. L'acte précisait que le lot pouvait être cédé à toute société dont le gérant remplirait à titre personnel la condition d'immatriculation au registre des métiers.

5. Le 28 septembre 2017, Mme [J] a signé avec Mme [S], intervenant en qualité de gérante d'une société créée le 30 décembre 2016 avec [X] [F], l'acte notarié portant acquisition du lot attribué à ce dernier, alors qu'elle ne remplissait pas la condition posée par la promesse de vente.

6. Informé de ces faits, le procureur de la République a poursuivi Mmes [S] et [J] ainsi que [X] [F] qui ont été respectivement condamnés par le tribunal correctionnel du chef de prise illégale d'intérêts, complicité et recel de ce délit.

7. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.






Examen du pourvoi formé par [X] [F]

Vu l'article 606 du code de procédure pénale :


8. Il résulte des documents régulièrement communiqués que le demandeur est décédé le [Date décès 1] 2022.

9. L'action publique est éteinte à son égard en application de l'article 6 du code de procédure pénale.

10. Il n'y a pas d'intérêts civils en cause.

11. Il n'y a en conséquence pas lieu de statuer sur le troisième moyen présenté par [X] [F] seul.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen proposé pour Mme [S] et les premier et deuxième moyens proposés pour Mme [J]

12. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen proposé pour Mme [S] et le troisième moyen proposé pour Mme [J]

Enoncé des moyens

13. Le moyen proposé pour Mme [S] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable du délit de prise illégale d'intérêts par un chargé de mission de service public dans une affaire qu'il administre ou qu'il surveille, commis du 1er septembre 2015 au 29 septembre 2017 à [Localité 2], l'a condamnée à un emprisonnement délictuel d'un an, assorti d'un sursis total d'exécution en application de l'article 132-31, alinéa 1er, du code pénal, ainsi qu'au paiement d'une amende de 15 000 euros, cette peine étant assortie d'un sursis à hauteur de 7 500 euros, a prononcé à son encontre la peine complémentaire obligatoire de privation du droit d'éligibilité pour une durée de 3 ans, et à titre de peine complémentaire, a ordonné l'affichage de la décision en mairie de [Localité 2] pour une durée d'un mois et sa diffusion, limitée à un extrait du dispositif dans le quotidien Le Dauphiné Libéré édition dans Hautes-Alpes, dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal, alors « que les dispositions pénales nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; qu'en l'espèce, pour déclarer Mme [S] coupable des faits de prise illégale d'intérêts par un chargé de mission de service public dans une affaire qu'il administre ou qu'il surveille, commis du 1er septembre 2015 au 29 septembre 2017 à [Localité 2], la cour d'appel a retenu que cette dernière, alors qu'elle était la Directrice des Services Généraux de la commune, était également la co-gérante avec son concubin M. [X] [F] de la SCI [3], qui s'était vu attribuer le lot n° 4 de l'extension de la [Adresse 4], ce dont elle a déduit, faisant application de l'article 432-12 du code pénal, dans sa version issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, que « l'absence d'intérêt financier de la prévenue, ou de préjudice pour la commune ou des personnes privées, est indifférente à la constitution du délit, dans la mesure où le texte d'incrimination est extrêmement large et vise un intérêt quelconque qui peut être direct ou indirect » ; que l'article 432-12 du code pénal, tel que modifié par l'article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, dispose désormais qu'est constitutif d'une prise illégale d'intérêts le fait « par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement » ; qu'en application de cette nouvelle disposition, plus favorable à la prévenue dès lors qu'elle subordonne la qualification de prise illégale d'intérêt à la prise d'un intérêt « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité », Mme [S] ne pouvait être déclarée coupable de ce délit qu'à la condition que soit caractérisée la prise d'un intérêt « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement », non comme l'a retenu la cour d'appel d'un « intérêt quelconque » ; qu'il s'ensuit que l'arrêt encourt la censure en application des dispositions de l'article 112-1 du code pénal, ensemble l'article 432-12 du code pénal et les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

14. Le moyen proposé pour Mme [J] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité du délit de prise illégale d'intérêts, alors « que les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; qu'en retenant, pour apprécier la culpabilité de Mme [S] du chef de prise illégale d'intérêts, qu'il devait être recherché si pendant la période de la prévention, soit entre le 1er septembre 2015 et le 29 septembre 2017, la prévenue avait pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque à l'occasion de l'attribution d'un terrain de la zone artisanale à la SCI dont elle était gérante et dont elle avait la charge d'assurer la surveillance, l'arrêt attaqué, qui n'a ainsi pas été rendu en application des dispositions nouvelles moins sévères de l'article 432-12 du code pénal qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, subordonne la qualification de prise illégale d'intérêts à la prise par l'agent d'un intérêt « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » et non plus à un « intérêt quelconque », encourt l'annulation en application des articles 112-1 et 432-12 du code pénal. »

Réponse de la Cour

15. Les moyens sont réunis.

16. Pour déclarer les prévenues respectivement coupables des chefs susvisés, l'arrêt attaqué énonce, notamment, qu'en sa qualité de directrice générale des services, Mme [S] avait autorité sur l'ensemble des services de la commune et que son activité consistait, en particulier, à préparer et à exécuter les décisions du conseil municipal aux séances duquel elle assistait ainsi qu'à assurer une surveillance générale des affaires de la collectivité.

17. Les juges retiennent que Mme [S] avait en charge le contrôle de l'opération portant sur la zone artisanale conduite par la commune dans le cadre de ses fonctions de directrice générale des services et qu'en signant un acte d'achat d'un lot attribué au cours de cette opération pour le compte de la société dont elle était la gérante, Mme [S] s'est bien rendue auteur du délit de prise illégale d'intérêts.

18. En l'état de ces énonciations qui caractérisent le délit de prise illégale d'intérêts au regard du texte alors applicable, l'annulation n'est pas encourue.

19. En effet, les prévisions de l'article 432-12 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 aux termes de laquelle l'intérêt doit être de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité de l'auteur du délit sont équivalentes à celles résultant de sa rédaction antérieure par laquelle le législateur, en incriminant le fait, par une personne exerçant une fonction publique, de se placer dans une situation où son intérêt entre en conflit avec l'intérêt public dont elle a la charge, a entendu garantir, dans l'intérêt général, l'exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions publiques (Crim., 19 mars 2014, QPC n° 14-90.001 ; Crim., 20 décembre 2017, QPC n° 17-81.975).

20. Dès lors les moyens ne sont pas fondés.

21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé [X] [F] :

CONSTATE l'extinction de l'action publique ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur le pourvoi ;

Sur les pourvois de Mmes [S] et [J] :

Les REJETTE ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.

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