5 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-80.478

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00357

Titres et sommaires

INSOLVABILITE FRAUDULEUSE - Eléments constitutifs - Elément légal - Décision de justice - Exclusion - Décision en réparation d'un harcèlement moral - Nature contractuelle

La somme allouée au salarié par le juge du contrat de travail en réparation d'un harcèlement moral est une créance de nature contractuelle, ce qui l'exclut des condamnations visées par l'article 314-7 du code pénal. En conséquence, justifie sa décision la cour d'appel qui confirme l'irrecevabilité d'une constitution de partie civile du chef d'organisation frauduleuse d'insolvabilité au motif que la sanction d'un tel manquement relève de la responsabilité contractuelle

Texte de la décision

N° K 21-80.478 FS-B

N° 00357


MAS2
5 AVRIL 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 AVRIL 2023



Mme [U] [D], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 5 janvier 2021, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée des chefs de banqueroute et d'organisation frauduleuse d'insolvabilité, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant sa constitution de partie civile irrecevable.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un avis le 16 novembre 2022 (n° 9015).

Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de Mme [U] [D], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. d'Huy, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Sommier, greffier de chambre,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mme [U] [D], salariée de la société [1] ([1]), a fait l'objet d'un licenciement, qu'elle a contesté devant le conseil de prud'hommes. Par jugement du 6 mars 2014, cette juridiction a déclaré son licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et a condamné la société [1] à lui verser certaines sommes au titre de rappels de commissions, de rappels de salaires, de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'une somme de 35 000 euros en réparation de son entier préjudice.

3. Sur appel de la société [1], la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 1er septembre 2015, a confirmé le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne la somme allouée en réparation de l'entier préjudice, qu'elle a ramenée à 10 000 euros.

4. Le 3 mai 2019, Mme [D] a porté plainte et s'est constituée partie civile contre personne non dénommée des chefs d'organisation frauduleuse d'insolvabilité et banqueroute par détournement d'actifs.

5. Le procureur de la République a requis l'ouverture d'une information judiciaire de ces chefs.

6. Le juge d'instruction, par ordonnance du 9 mars 2020, a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme [D].

7. Celle-ci a fait appel de cette décision.

Examen du moyen

Énoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la partie civile irrecevable en sa constitution du chef d'organisation frauduleuse d'insolvabilité reprochée à son ex-employeur défaillant condamné à réparation du chef de harcèlement moral, alors « qu'une condamnation du chef de harcèlement, prononcée par le juge du contrat de travail dans le cadre d'un licenciement contesté, est de nature délictuelle au sens de l'article 314-7 du code pénal incriminant l'organisation frauduleuse d'insolvabilité ; qu'en déclarant irrecevable la partie civile au motif erroné que le harcèlement dans le cadre de la relation de travail relève de la responsabilité contractuelle de l'employeur, la cour a violé l'article 314-7 du code pénal ensemble l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles 2, 10 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de Mme [D] en ce qu'elle vise le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité, l'arrêt attaqué énonce que ce délit n'est caractérisé que lorsque le prévenu a commis les faits dans le but de se soustraire à l'exécution d'une condamnation patrimoniale prononcée dans le cadre d'une instance civile sur le fondement de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle.

10. Les juges ajoutent qu'en l'espèce, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a retenu l'existence d'un harcèlement pour allouer à Mme [D] une somme en réparation de son entier préjudice.

11. La chambre de l'instruction relève qu'il est de principe que le harcèlement dans le cadre de la relation de travail constitue un manquement à l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur, de sorte que la sanction d'un tel manquement fautif relève de la responsabilité contractuelle.

12. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas méconnu les textes visés au moyen.

13. En effet, il ressort de l'arrêt de la chambre sociale de la cour d'appel du 1er septembre 2015 que la somme de 10 000 euros allouée à Mme [D] visait à réparer le préjudice causé à cette dernière par un harcèlement moral subi dans le cadre de son emploi au sein de la société [1], consistant notamment dans des mesures de rétorsion prises à son encontre par son employeur.

14. La prohibition de tels agissements de harcèlement moral est instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail, selon lequel aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

15. Par ailleurs, conformément à l'article L. 4121-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, l'employeur doit mettre en oeuvre, sur le fondement du principe général de prévention, des mesures relatives, notamment, aux risques liés au harcèlement moral tel que défini à l'article L. 1152-1 précité.

16. Enfin, aux termes de l'article L. 1152-4, alinéa 1er, du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 26 juin 2014, l'employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

17. Il en résulte que l'obligation de prévention des risques professionnels en matière de harcèlement moral, de même que la prohibition de ce type d'agissements, sont les suites que donne la loi au contrat de travail.

18. La créance dont dispose le salarié qui s'est vu allouer par le juge du contrat de travail une somme en réparation de son préjudice lié à l'existence d'un harcèlement moral est donc de nature contractuelle, ce qui l'exclut des condamnations visées par l'article 314-7 du code pénal.

19. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.

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