5 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-10.397

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00326

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 avril 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 326 F-D

Pourvoi n° F 22-10.397

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [B].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 novembre 2021.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 AVRIL 2023

M. [P] [B], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 22-10.397 contre l'arrêt rendu le 5 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à la société Technipipe, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [B], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Technipipe, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 février 2021), M. [B] a été engagé par la société Technipipe, à compter du 1er janvier 2013, en qualité de technicien de chantier.

2. Licencié, par lettre du 4 février 2016, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'il en résulte qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le salarié produisait un décompte des heures supplémentaires de janvier 2013 à décembre 2015 indiquant pour chaque mois la durée effective du travail, des feuilles d'attachement signées des clients de l'employeur indiquant le nombre d'heures travaillées dans la semaine, auquel il ajoutait une série de tâches pour obtenir les durées du travail mensuel revendiqué, soit le plus souvent 186,19 heures par mois sauf 190,19 heures durant deux mois et, durant un mois seulement pour chacune des durées suivantes : 187,19 heures ; 203,80 heures ; 189,19 heures ; 192,19 heures ; 193,19 heures ; que la cour a encore retenu que le salarié ne précisait pas pour chaque jour ses horaires de début et fin de travail ni ses horaires de pause et ne produisait pas de décompte hebdomadaire des heures supplémentaires, de sorte que les éléments produits ne permettaient pas de reconstituer ces données et qu'ainsi, il n'étayait pas suffisamment ses demandes pour que l'employeur puisse justifier des horaires effectivement accomplis ; qu'en faisant ainsi peser la charge de la preuve sur le seul salarié, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

5. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

6. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

7. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

8. Pour rejeter la demande en paiement d'un rappel d'heures supplémentaires, l'arrêt, après avoir constaté que le salarié produisait un décompte des heures supplémentaires de janvier 2013 à décembre 2015 mentionnant pour chaque mois la durée effective du travail, des feuilles d'attachement signées des clients de l'employeur indiquant le nombre d'heures travaillées dans la semaine auquel il ajoutait une série de tâches pour obtenir les durées du travail mensuel qu'il revendiquait, retient qu'il ne précise pas pour chaque jour ses horaires de début et de fin de travail ni ses horaires de pause, qu'il ne produit pas plus de décompte hebdomadaire des heures supplémentaires.

9. Il relève ensuite que l'ensemble des allégations, témoignages et productions de pièces ne permet pas de reconstituer ces données de sorte qu'il n'étaye pas suffisamment ses demandes pour que l'employeur puisse justifier des horaires effectivement accomplis.

10. En statuant ainsi alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de ses demandes au titre des heures supplémentaires entraîne la cassation du chef de dispositif le déboutant de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire à repos non-pris outre les congés payés afférents, de rappel de salaire sur treizième mois outre les congés payés afférents, à titre d'indemnité pour travail dissimulé, de rappel de salaire sur les heures supplémentaires et sur la contrepartie obligatoire en repos sur la base du taux horaire de la classification niveau F ainsi que la contrepartie obligatoire en repos outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ainsi que de ses demandes tendant à obtenir la remise, sous astreinte, de l'attestation Pôle emploi régularisée, du solde de tout compte, des bulletins de paie rectifiés sur la période de 2013 à février 2016 et des certificats rectifiés pour la caisse des congés payés sur la période d'emploi, et le déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [B] de ses demandes tendant à obtenir la condamnation de la société Technipipe à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires outre les congés payés afférents, de contrepartie obligatoire à repos non-pris outre les congés payés afférents, de rappel sur treizième mois outre les congés payés afférents et à titre d'indemnité pour travail dissimulé, de rappel de salaire sur les heures supplémentaires et sur la contrepartie obligatoire en repos sur la base du taux horaire de la classification niveau F ainsi que la contrepartie obligatoire en repos outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ainsi que de ses demandes tendant à obtenir la remise, sous astreinte, de l'attestation Pôle emploi régularisée, du solde de tout compte, des bulletins de paie rectifiés sur la période de 2013 à février 2016 et des certificats rectifiés pour la caisse des congés payés sur la période d'emploi et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Technipipe aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Technipipe et la condamne à payer à la Sarl Cabinet Rousseau et Tapie la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.

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