5 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.550

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00264

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 avril 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 264 F-D

Pourvoi n° J 21-19.550











R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 AVRIL 2023

1°/ la société Jeanne d'Arc, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ la société Olivier Zanni, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire de la société Jeanne d'Arc,

ont formé le pourvoi n° J 21-19.550 contre l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige les opposant à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire, société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la société Jeanne d'Arc et de la société Olivier Zanni, ès qualités, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 6 mai 2021), les 24 décembre 2003 et 30 septembre 2004, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire (la banque) a consenti deux prêts à la société civile immobilière Jeanne d'Arc (la SCI).

2. Les échéances de ces prêts n'ayant plus été payées à compter du mois de septembre 2016, la banque a prononcé la déchéance du terme le 17 novembre 2017, puis a assigné la SCI en paiement le 14 mars 2018. Celle-ci a reconventionnellement demandé la condamnation de la banque au paiement de dommages et intérêts, au motif que cette dernière avait manqué à son devoir de mise en garde lors de l'octroi des prêts des 24 décembre 2003 et 30 septembre 2004 ainsi que de trois autres prêts, souscrits les 14 et 28 décembre 2009.

3. En cours d'instance, la SCI a été mise en redressement judiciaire et la société civile professionnelle Olivier Zanni (la SCP Zanni) a été désignée mandataire judiciaire, puis commissaire à l'exécution du plan de redressement.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La SCI et la SCP Zanni, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité des demandes de la SCI, alors « que l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde de l'emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt se prescrit à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime ; que le dommage résultant d'un tel manquement consiste en la perte d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, ce risque étant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, de sorte que le délai de prescription de l'action commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face ; qu'au cas d'espèce, en jugeant au contraire que le délai de prescription de l'action en indemnisation du manquement de la banque prêteuse à son obligation de mise en garde avait commencé à courir dès la conclusion du prêt, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, ensemble l'article 1147 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La banque soulève l'irrecevabilité du moyen en ce qu'il est contraire aux écritures d'appel de la SCI et de la SCP Zanni, par lesquelles elles soutenaient que l'action en responsabilité contre la banque avait commencé à courir le 17 novembre 2017, date de la mise en demeure de payer adressée à la SCI.

6. Cependant, dans leurs conclusions d'appel, la SCI et la SCP Zanni invoquaient la jurisprudence selon laquelle le délai de prescription de l'action en indemnisation du dommage résultant du manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt, commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 2224 du code civil et l'article L. 110-4 du code de commerce :

8. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

9. Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

10. Pour retenir que la demande de dommages et intérêts formée contre la banque était prescrite, l'arrêt retient que le dommage résultant d'un manquement du banquier dispensateur de crédit à son obligation de mise en garde, consistant en une perte de chance de ne pas contracter, se manifeste dès l'octroi du crédit litigieux et en déduit que les demandes de la SCI se heurtent à la prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, acquise depuis le 19 juin 2013, s'agissant des prêts conclus les 24 décembre 2003 et 30 septembre 2004, et respectivement les 14 et 28 décembre 2014, s'agissant des prêts conclus les 14 et 28 décembre 2009.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y a lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il fixe la créance de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire au passif de la procédure collective ouverte pour la société civile immobilière Jeanne d'Arc, en principal et intérêts, et ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire et la condamne à payer à la société civile immobilière Jeanne d'Arc et à la société civile professionnelle Olivier Zanni, prise en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan, la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.

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