5 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-12.875

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C100238

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 avril 2023




Cassation partielle


Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 238 F-D

Pourvoi n° D 21-12.875




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 AVRIL 2023

Mme [C] [D], domiciliée [Adresse 2], agissant en qualité d'ayant droit de Mme [H] [U], épouse [R], a formé le pourvoi n° D 21-12.875 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 5), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [T] [O], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à Mme [G] [O], domiciliée [Adresse 4],

3°/ à Mme [H] [V], domiciliée [Adresse 5],

4°/ à Mme [S] [N], domiciliée [Adresse 6],

5°/ à la société CNP assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de Mme [D], de la SCP Ghestin, avocat de la société CNP assurances, de la SCP Richard, avocat de Mmes [T] et [G] [O], [V] et [N], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 février 2023 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Antoine, conseiller, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2020), [P] [U] est décédé le 23 janvier 2013.

2. Il avait souscrit deux contrats d'assurance sur la vie auprès de la Caisse nationale de prévoyance assurances (l'assureur), désignant, en qualité de bénéficiaire, [H] [U] et, à défaut, la fille de celle-ci, Mme [D].

3. Le 27 octobre 2012, il avait apposé sa signature sur deux avenants, rédigés par son assistante de vie, qui modifiaient les clauses bénéficiaires de ces contrats, pour le premier, au profit de Mme [G] [O] et, à défaut, de ses enfants, de Mme [N] et, à défaut, de ses enfants et de Mme [V] et, à défaut, de ses enfants, et, pour le second, au profit de Mme [T] [O] et, à défaut, de ses enfants.

4. Les avenants ont été adressés après son décès à l'assureur, qui a versé les fonds aux nouvelles bénéficiaires désignées.

5. [H] [U] a agi en nullité de ces avenants et en condamnation de chacune de ces bénéficiaires, solidairement avec l'assureur, au paiement des sommes correspondantes.

6. [H] [U] étant décédée le 31 mai 2020, son ayant droit, Mme [D], est intervenue volontairement à l'instance.


Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. Mme [D] fait grief à l'arrêt de dire que l'action introduite par [H] [U] est irrecevable en application de l'article 414-2-1° du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants en date du 27 octobre 2012 n'est pas encourue sur ce fondement, alors « que l'assuré peut modifier jusqu'à son décès la désignation des bénéficiaires de son assurance-vie, dès lors que la volonté du stipulant s'est exprimée d'une manière certaine et non équivoque ; que l'absence de consentement qui entraîne la nullité de l'acte peut découler d'une insanité d'esprit mais aussi de l'absence de consentement réel et sérieux en ce que l'auteur de l'acte n'a pas perçu la signification exacte et la portée de l'engagement qu'il prend ; que, distincte de l'insanité d'esprit, l'absence de consentement réel et sérieux peut être établie par des éléments extrinsèques à l'acte litigieux ; que la cour d'appel a certes relevé que M. [U] n'était pas le rédacteur des avenants, que sa signature était tremblante et mal assurée et que ces avenants avaient été adressés à la société CNP assurances après le décès de M. [U], mais a jugé que ces éléments ne permettaient pas de rapporter la preuve intrinsèque d'une insanité d'esprit, la clause bénéficiaire devant porter en elle même la preuve d'un trouble mental ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme l'y invitait Mme [D], si l'ensemble des circonstances extérieures entourant la signature des avenants du 27 octobre 2012 ne permettait pas de démontrer que M. [U] n'avait pas exprimé d'une manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier la clause bénéficiaire et qu'il n'avait pu avoir conscience de la teneur et de la portée de l'engagement qu'il prenait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-8 du code des assurances et 1108 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 132-8 du code des assurances :

8. Il résulte de ce texte que l'assuré peut modifier jusqu'à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d'une manière certaine et non équivoque.

9. Pour dire que l'action introduite par [M] [U] est irrecevable en application de l'article 414-2-1°du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants du 27 octobre 2012 n'est pas encourue sur ce fondement, l'arrêt retient que n'étant allégué aucun vice du consentement du souscripteur, cette action ne peut relever que des dispositions des articles 414-1 et 414-2 du code civil, et d'une part, que les dispositions des actes modifiant le nom des bénéficiaires ne sont en elles-même ni incohérentes ni absurdes ou démesurées, d'autre part, que l'apparence formelle, certes tremblée et mal assurée, de la signature de [P] [U] ne permet pas, à elle seule, de déduire de manière certaine un état de déficience mentale grave et donc l'insanité d'esprit de son auteur.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s'il ne résultait pas de l'ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants du 27 octobre 2012 que [P] [U] n'avait pas exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition ayant dit que l'action introduite par [H] [U] est irrecevable en application de l'article 414-2-1°du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants en date du 27 octobre 2012 n'est pas encourue sur ce fondement entraîne la cassation des chefs de dispositif ayant rejeté les demandes de Mme [D], venant aux droits de [H] [U], tendant au paiement par chacune des bénéficiaires désignées de la somme par elle reçue au titre du contrat d'assurance sur la vie la concernant, avec intérêts au taux légal à compter d'une certaine date et celle tendant à ce que ces intérêts puissent être capitalisés, ainsi que les demandes en paiement formées à l'encontre de l'assureur.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de Mme [D], venant aux droits de [H] [U], en requalification de la modification des clauses bénéficiaires en donation déguisée ou indirecte et la demande de nullité subséquente, l'arrêt rendu le 24 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mmes [G] et [T] [O], [N] et [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.

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