5 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-21.184

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00257

Titres et sommaires

CAUTIONNEMENT - Caution - Caution professionnelle - Obligation de vérifier l'exactitude des informations communiquées par la banque (non)

Une société de caution est en droit de se fier aux informations qui lui ont été communiquées par la banque dispensatrice de crédit, sans être tenue de vérifier leur exactitude ni de procéder à des recherches complémentaires. En conséquence, ayant retenu que les informations communiquées par la banque à la société de caution ne faisaient pas apparaître que le prêt sollicité par les emprunteurs était inadapté à leurs capacités financières, une cour d'appel en déduit exactement que ces derniers échouaient à établir une faute de la caution professionnelle de nature à générer à leur profit une créance de dommages-intérêts

CAUTIONNEMENT - Caution - Caution professionnelle - Responsabilité - Exclusion - Cas - Prêt inadapté aux capacités financières de l'emprunteur

Texte de la décision

COMM.

DB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 avril 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 257 F-B

Pourvoi n° K 21-21.184




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 AVRIL 2023

1°/ M. [S] [D],

2°/ Mme [L] [D],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° K 21-21.184 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant :

1°/ à la société La Compagnie européenne de garanties et cautions (CEGC), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée la société Compagnie européenne de garanties immobilières, venant aux droits de la société Saccef,

2°/ à la société My Money Bank, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée société GE Money Bank,

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. et Mme [D], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société La Compagnie européenne de garanties et cautions (CEGC), de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société My Money Bank, et l'avis de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 juin 2021), par une offre de prêt du 16 avril 2007, acceptée le 30 avril 2007, la société GE Money Bank, devenue My Money Bank (la banque), a consenti à M. et Mme [D] un prêt immobilier de 330 450 euros. Ce prêt a été garanti par le cautionnement consenti par la société La Compagnie européenne de garanties et cautions (la société CEGC).

2. A la suite de la défaillance des emprunteurs, la société CEGC a désintéressé la banque puis assigné M. et Mme [D] en remboursement des sommes payées par elle.

3. M. et Mme [D] ayant formé une demande reconventionnelle en dommages et intérêts, la société CEGC a appelé la banque en garantie.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [D] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages et intérêts formée contre la société CEGC et, en conséquence, de les condamner à verser à cette société la somme de 331 886,88 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 août 2009, alors :

« 1°/ que constitue une faute engageant la responsabilité délictuelle de la caution professionnelle à l'égard du débiteur cautionné non averti, l'acceptation par ses soins d'un dossier présenté par le prêteur dont les éléments révèlent le caractère disproportionné de l'opération d'emprunt à cautionner par rapport aux capacités financières de l'emprunteur ; que l'arrêt a constaté qu'en sus des informations ressortant de la demande de prêt transmise par la banque à la société de caution, cette dernière avait reçu communication d'éléments dont il résultait que les époux [D] étaient propriétaires d'autres biens immobiliers à usage locatif estimés à 182 000 euros, sans que l'on sache si ces biens étaient ou non remboursés, et de leurs relevés de comptes courants, dont l'examen permettait de relever d'autres remboursements à la charge des candidats à l'emprunt, pour un montant mensuel de 1 666,81 euros correspondant à des prêts souscrits auprès d'autres établissements financiers ; qu'en retenant pourtant qu'au vu des éléments communiqués à la société de caution, l'endettement résultant de l'emprunt litigieux ne pouvait apparaître excessif et qu'il ne pouvait être reproché à l'organisme de caution d'avoir accordé sa garantie à l'opération litigieuse, sans mieux s'expliquer sur les conséquences que la CEGC devait déduire de l'existence des engagements financiers supplémentaires ainsi identifiés quant à l'endettement global des époux [D] et au caractère proportionné de l'emprunt envisagé par rapport à leurs capacités financières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ;

2°/ que le seul fait pour la caution professionnelle d'accepter un dossier de cautionnement dont dépend l'octroi du prêt est susceptible de constituer un manquement au contrat la liant à l'établissement de crédit et d'engager sa responsabilité délictuelle envers le débiteur cautionné, tiers au contrat, peu important qu'elle ne soit pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard ni même décisionnaire dans l'octroi du prêt ; que l'arrêt a constaté que la CEGC avait, conformément à sa convention-cadre avec GE Money Bank, été rendue destinataire d'informations précises incluant la demande de prêt des époux [D], leurs avis d'imposition et relevés de compte, et un document interne d'analyse établi par la banque, et relevé qu'il résultait notamment de ces éléments que les époux [D] étaient propriétaires d'autres biens immobiliers à usage locatif estimés à 182 000 euros, sans que l'on sache si ces biens étaient ou non remboursés, et débiteurs d'autres emprunts contractés auprès de différents établissements financiers pour un montant mensuel de 1 666,81 euros ; qu'en déboutant néanmoins les consorts [D] de leur demande indemnitaire à l'encontre de la CEGC, motif pris de ce qu'ils échouaient à établir une faute de la caution professionnelle, non décisionnaire dans l'octroi du prêt et non tenue à un devoir de mise en garde, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inaptes à exclure tout manquement contractuel de la caution professionnelle de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l'égard du débiteur cautionné, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir relevé que la société CEGC justifiait que, aux fins d'examen du dossier pour lequel son cautionnement avait été sollicité par la banque, il lui avait été communiqué des documents laissant apparaître que M. et Mme [D] percevaient des ressources mensuelles de 12 800 euros, avec des charges de 2 021 euros par mois, outre des remboursements de prêts souscrits auprès de Sofinco, banque Accord ou d'autres banques pour 1 666,81 euros, qu'ils étaient propriétaires de leur résidence principale estimée à 207 315 euros, déduction faite du montant du prêt restant à rembourser, qu'ils étaient propriétaires de deux autres biens immobiliers à usage locatif estimés à 182 000 euros, sans encours de prêt mentionné, et qu'ils disposaient de placements financiers à hauteur de 144 000 euros, l'arrêt retient que ces éléments sont corroborés par la fiche d'information du 16 avril 2007 signée par M. et Mme [D], figurant dans le dossier de l'offre de prêt et sur laquelle n'est reportée aucune charge immobilière autre que celles relatives au remboursement du prêt concernant la résidence principale ainsi que les remboursements des emprunts à court terme, peu important que cette fiche soit postérieure à l'octroi du cautionnement dans la mesure où elle est concordante avec les éléments en possession de la caution.

6. Ayant ainsi retenu que les informations communiquées par la banque à la société de caution, laquelle était en droit de s'y fier, sans être tenue de vérifier leur exactitude ni de procéder à des recherches complémentaires, ne faisaient pas apparaître que le prêt sollicité par M. et Mme [D] était inadapté à leurs capacités financières, la cour d'appel en a exactement déduit que ces derniers échouaient à établir une faute de la société CEGC de nature à générer à leur profit une créance de dommages et intérêts.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. et Mme [D] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages et intérêts formée contre la société My Money Bank, alors « que le juge ne doit pas méconnaître les termes du litige ; que pour confirmer le jugement en ce qu'il avait débouté les époux [D] de leur demande indemnitaire à l'encontre de la banque, la cour d'appel a énoncé qu'ils ne présentaient en cause d'appel aucune demande à l'encontre du prêteur pourtant attrait à la procédure ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait tant du dispositif que des moyens développés dans les conclusions d'appel des époux [D] qu'ils sollicitaient la condamnation de la banque à des dommages et intérêts, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé ensemble les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

9. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

10. Pour rejeter la demande de dommages et intérêts formée par M. et Mme [D] contre la société My Money Bank, l'arrêt retient qu'ils ne présentent aucune demande contre le prêteur pourtant attrait en la cause.

11. En statuant ainsi, alors que M. et Mme [D] demandaient, dans le dispositif de leurs conclusions d'appel, la condamnation de la société My Money Bank, in solidum avec la société CEGC, à leur payer à titre de dommages et intérêts les sommes de 331 886 euros et 173 558 euros, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de dommages et intérêts formée par M. et Mme [D] contre la société My Money Bank, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société My Money Bank aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société My Money Bank et condamne, d'une part, la société My Money Bank à payer à M. et Mme [D] la somme globale de 3 000 euros et, d'autre part, M. et Mme [D] à payer à la société La Compagnie européenne de garanties et cautions (CEGC) la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.

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